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en France, que fi quelques écrivains, tels que Rouffeau, s'étoient permis de jetter des idées fur les limites de l'autorité royale & fur le principe de sa puissance, ces pensées sembloient moins former un fyftême férieux qu'un enchaînement de paradoxes obscurs. Auffi le Contrat focial fit-il à peine quelque sensation, malgré la réputation de son auteur; & tous nos modernes législateurs regrettèrent alors qu'il n'eût pas fait un roman d'un genre plus agréable & plus à la portée de fes lecteurs.

Il n'étoit pourtant pas impoffible de prévoir qu'un gouvernement où les autorités n'avoient pour contrepoids que les caprices d'une courtisanne, où il n'y avoit plus pour tribunaux que des fimulacres de juftice, pour régulateur des finances que la soif des richesses, pour reffort militaire que l'habitude d'obéir, pour lien entre les parties de l'empire que la foumiffion au même chef, pour vertu qu'une moralité craintive, pour crédit qu'une défiance timide, pour noblesse que celle des titres, pour lustre que l'éclat du vice, pour moyen de parvenir que l'intrigue & la flatterie, pour propriété que ce que le defpotifme confentoit à laiffer, pour mesure de l'impôt que le cri général; il n'étoit pas, dis-je, impoffible de prévoir qu'un pareil gouvernement qui cachoit fous Tome V.

N

un vernis brillant toute la dégradation de la vé tusté, ne tarderoit pas à crouler fi on ne se hâtoit d'en réparer les fondemens.

Je me fuis beaucoup étendu fur le règne de Louis XV, parce qu'il n'a malheureusement que trop préparé & amené les événemens dont tant d'individus gémiffent aujourd'hui. A la mort de ce doyen des rois de l'Europe, la plupart de fes favoris fe difperfèrent, les miniftres de fon autorité frémirent; mais les premiers laiffoient une génération qui avoit hérité de leur corruption, & les autres avoient femé autour d'eux tant de germes de rapines, qu'il auroit fallu faire paffer le foc tranchant de la charrue fur un fol qui ne produifoit plus que des plantes parafites ou véné neuses.

VI DISCOURS.

Du Règne de Louis XVI.

DEPUIS l'existence de la monarchie, jamais prince n'étoit monté fur le trône avec une autorité plus abfolue & une puiffance plus impofante que Louis XVI.

Le pacte de famille lui attachoit l'Espagne; l'alliance contractée avec la maifon d'Autriche, & confolidée par fon mariage avec la fille de l'em pereur, le mettoit à l'abri de toutes craintes du côté de l'Allemagne; l'Angleterre avoit tant de richeffes à conferver, de fi vaftes poffeffions à défendre, qu'il étoit de fon intérêt de ne pas s'exposer aux hafards d'une guerre nouvellę.

La Hollande n'étoit plus qu'une puiffance fecondaire; elle vendoit fes fervices aux deux mon des, & ne demandoit qu'à être admise dans leurs ports. Les difpofitions des états du Nord à l'égard de la France lui étoient fi indifférentes qu'elle pouvoit fe difpenfer d'entretenir avec eux d'au tres relatio as que celles du commerce.

Les parlemens plongés depuis plufieurs années dans le néant, étoient remplacés par une magif

trature qui n'avoit pas d'autre principe que celui d'une foumiffion aveugle aux ordres du monarque. L'impudeur d'un miniftre des finances, en faisant fubir aux divers créanciers de l'état des réductions arbitraires, avoit élevé la recette au niveau de la dépense. L'extinction journalière des rentes & des penfions; la poffibilité de réduire les dépenses du département de la guerre, d'après la certitude d'une longue paix ; les goûts fimples de Louis XVI rendoient faciles des diminutions progreffives fur l'impôt.

Le jeune roi n'avoit que des bénédictions à recueillir de fon peuple en fuivant les mouvemens de fon cœur. On lui confeilla malheureusement

d'appeller pour fon confeil un vieux miniftre qui avoit confervé dans fa retraite toute la frivolité d'un jeune courtisan. L'exil, les difgraces n'avoient point mûri fa tête. Ce nouveau vifir qui ne voyoit jamais que le moment préfent, peut-être parce qu'il n'ofoit pas envisager l'avenir, crut donner un grand éclat à fon ministère en reffufcitant des magiftrats enfevelis dans l'oubli, & qui ne manqueroient pas de fe croire néceffaires fans chercher à fe rendre plus utiles. Il plongea dans l'opprobre ceux qui avoient déjà dévoré tant d'humiliations en fervant la caufe de l'autorité royale, & il acheva de dégoûter ceux qui pourroient un jour être tentés de s'y attacher.

Il plaça dans le ministère des finances un homme dont les vertus, les lumières avoient fait le bonheur d'une province; mais qui, par son zèle inconfidéré & un fyftême trop uniforme, auroit renversé un empire.

Il confia le ministère de la guerre à un général qui avoit porté fes reffentimens chez l'étranger, & y avoit contracté l'habitude d'une févérité incompatible avec le caractère françois. Ses réformes brufques étonnèrent tous les efprits; il mit la crainte à la place de l'honneur; il fubftitua les pratiques minutieufes à une allure franche & libre. Son fyftême d'économie ne refpectant rien, dépouilla la majesté royale de ce cortège brillant qui faifoit tout à la fois fa force & fa fplendeur. La facilité avec laquelle il opéra tous ces changemens, prouvoit qu'il auroit produit le bien s'il l'eût mieux vu.

La magiftrature avoit befoin d'être contenue & dirigée par un chef d'un grand caractère, capable de propofer & de faire exécuter de fages réglemens; qui s'occupât de fimplifier les formes judiciaires, d'extirper tous les abus que la cupidité avoit multipliées; qui honorât fon ministère par un code de loix digne de l'Hopital. Elle n'eut qu'un courtisan rufé & flexible qui chercha plus à confolider fon exiftence qu'à l'ennoblir, qui

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