mesures de prudence et pour éviter toute apparence de connivence avec le gouvernement français, ne me reçut pas seul, et fit venir, pour l'ouverture des dépêches, les membres de la Junta supérieure, et ce fut en leur présence qu'elles furent lues. Quand ils en eurent pris connaissance, il me fut répondu qu'on ne voulait point absolument d'autre roi que Fernando sept. Plusieurs d'entre les membres étaient d'avis qu'on prît des mesures violentes contre moi et qu'on s'assurât de ma personne, mais enfin la détermination qui prévalut fut de me faire embarquer immédiatement pour Montevideo où l'on m'enverrait la contestation officielle et où l'on me procurerait le plus tôt possible un bâtiment pour retourner en Europe avec les officiers du bâtiment qui m'avait apporté, et que je devais leur donner ma parole d'honneur de ne rien dire des événements qui avaient été le sujet de ma mission. Avant de m'embarquer j'eus cependant occasion de voir en particulier M. de Liniers; il s'excusa (je crois sincèrement) sur la manière dont il m'avait reçu, me disant que sa position l'exigeait, qu'il n'avait point de troupes réglées, que son autorité ne consistait que dans l'opinion et que tout l'attachement qu'on avait pour lui tomberait du moment qu'il s'écarterait de ce qui semblait le vœu général. Ce qui me convainquit encore plus de cette assertion fut la dépendance dans laquelle je vis qu'il était du cabildo ou corps municipal, pour avoir de l'argent pour payer ses troupes. Il m'assura qu'il ne demandait pas mieux que de voir changer un gouvernement qui n'avait pas été reconnaissant envers lui pour les services qu'il lui avait rendus, puisqu'on l'avait laissé vice-roi par intérim au lieu de lui en confirmer la propriété, mais qu'il fallait agir avec prudence et attendre que les circonstances lui permissent de se prononcer; que jusque-là il temporiserait; qu'il me procurerait les moyens de m'en retourner immédiatement afin de rendre compte de sa situation et faire en sorte qu'on lui envoyât quelque secours d'hommes et d'armes dont il manquait, et qu'alors il pourrait réussir dans ce qu'il désirait; que son intérêt et la haute estime qu'il avait pour l'Empereur l'attachait davantage à la nouvelle dynastie avec laquelle son sort serait fixé, au lieu de l'état d'incertitude dans laquelle il vivait. Je suis donc persuadé que s'il avait eu des moyens ou peut-être plus d'audace, et que j'eusse pu retourner en Europe, les événements eussent pris un autre cours. La proclamation qu'il fit après mon arrivée où il engageait les peuples à la tranquillité et à attendre, comme dans la guerre de Succession, la suite des événements, prouve d'une manière irrévocable que ses intentions étaient de servir l'Empereur, mais qu'il en a été empêché par les cir constances. Je passai toute la nuit avec lui et le lendemain, 14 août, je m'embarquai pour Montevideo où j'arrivai le 19 au soir; une goëlette arrivée de Cadix en cinquante jours venait d'y mouiller et portait, avec la nouvelle de la guerre entre l'Espagne et la France, l'ordre d'arrêter tous les Français. Je fus, en conséquence, mis à la citadelle seul et sans communication, dans une espèce de cachot, où je suis resté, abreuvé de toutes les amertumes possibles. J'y ai été en tout seize mois; mais voyant au bout de dix que j'étais sans espoir de sortir de ma prison, je cherchai les moyens de m'évader et j'y parvins; malheureusement je fus repris, mis aux fers que j'ai gardés cinq mois et j'ai été traité avec toute la barbarie qui appartient sans partage à la nation espagnole et dont le gouverneur de Montevideo est un digne chef. Je fus dépouillé de tout l'argent que j'avais, et ayant été conduit à Buenos-Ayres pour le conseil de guerre qui fut tenu au sujet de mon évasion, je trouvai le moyen de me procurer 400 piastres que je tirai sur les États-Unis et que j'ai aussi perdues. Ainsi, comme peut le voir V. E., ma mission a été sans succès et j'ai fait pour moi de mauvaises affaires. Cela n'a pas été de ma faute et j'espère en convaincre encore mieux Votre Excellence lorsque j'aurai l'honneur de la voir. Je vais m'acheminer vers la France, satisfait de quitter un pays que j'ai en horreur ainsi que ses habitants. Si V. E. avait quelques ordres à me donner, elle pourrait me les transmettre à Bayonne où, suivant toutes les apparences, je ne pourrai guères ariver que dans deux mois parce qu'il faut marcher en convoi. Ma femme a été en Angleterre pour trouver le moyen de me faire échanger; comme elle n'aura pu y aller sans votre protection, je vous supplie de lui faire parvenir la lettre ci-incluse, ainsi que les passeports nécessaires pour son retour. V. E. concevra facilement combien je désire retrouver une compagne aussi digne d'attachement, après une aussi longue et cruelle séparation. Je prie Votre Excellence d'agréer les assurances des sentiments d'estime et d'affection avec lesquels j'ai l'honneur d'être, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur. Signé SASSENAY. IV Lettre du ministre des relations extérieures à M. de Moustier, commissaire français chargé de négocier, avec M. Mackenzie, commissaire anglais, un échange général de prisonniers de guerre, pour faire parvenir à madame de Sassenay une lettre de son mari et faciliter son retour en France. (Espagne, t. DCLXXXII, fol. 349.) 27 juin 1810. MONSIEUR, J'ai l'honneur de vous envoyer une lettre adressée à Mme de Sassenay à Londres, par son mari qui se trouve actuellement à Séville. M. de Sassenay était parti de Bayonne le 30 mai 1808 avec une mission pour Buenos-Ayres. Après l'avoir remplie, il se disposait à s'embarquer à Montevideo pour retourner en Europe, lorsqu'il fut arrêté et constitué prisonnier. Sa détention y a duré seize mois. On le transféra ensuite dans la baie de Cadix et on l'y garda avec d'autres prisonniers français à bord du ponton la Castille. Vous connaissez de quelle manière les prisonniers détenus sur ce ponton ont recouvré leur liberté le 16 mai dernier. M. de Sassenay sauvé avec eux se propose de revenir incessamment en France. Quelques mois avant cet événement, Mme de Sassenay ne recevant de son mari aucune nouvelle et le croyant toujours détenu à Montevideo, avait formé le touchant projet d'aller solliciter elle-même sa mise en liberté ou de partager son sort. Elle obtint, pour son voyage, l'autorisation du gouvernement français, et elle s'embarqua pour l'Angle |