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pagny, qui lui exprimait l'intérêt que le gouvernement avait pris à son sort, et qui lui faisait part du traitement que l'Empereur lui avait accordé.

Ce ministre avait reçu à la fin de juin le rapport du marquis. A ce moment-là, une négociation se poursuivait à Morlaix entre le gouvernement impérial et le cabinet de Saint-James pour un échange général des prisonniers de guerre. Le commissaire français était M. de Moustier. M. de Champagny lui écrivit le 27 juin, en le chargeant de prier le commissaire anglais, M. Mackenzie, de faire parvenir à Mme de Sassenay la lettre de son mari, et de s'intéresser à son retour en France. M. Mackenzie se prêta de fort bonne grâce à ce qu'on lui demandait et en écrivit à son gouvernement, le 5 ou le 6 juillet. Toutefois, par suite de circonstances qui retardèrent son voyage, la marquise ne rentra en France qu'à la fin de juillet ou au commencement d'août 1810. Lorsqu'elle arriva à Sasse

nay, son mari l'y avait devancée. En le retrouvant, elle fut effrayée du changement qui s'était opéré en lui. En deux ans, bien qu'il n'eût tout juste que la cinquantaine, l'homme mùr était devenu presque un vieillard. Le changement était si grand qu'à son retour le pauvre homme n'avait point été reconnu par ses domestiques, qui, le prenant pour un imposteur, lui avaient, au premier moment, refusé l'entrée de son château. C'est que des souffrances comme celles qu'il avait endurées laissent des traces profondes, et que sa santé, sinon détruite, du moins fort altérée, devait lui rappeler, sa vie durant, qu'il avait eu un jour l'honneur d'être, sans l'avoir ni désiré ni sollicité, choisi par l'Empereur pour remplir, dans un pays lointain, une délicate et périlleuse mission.

LA

CHAPITRE VIII

RÉVOLUTION ARGENTINE ET LA MORT
DE LINIERS (1)

(1809-1810)

Incapacité du nouveau vice-roi. Il est trompé et trahi par les chefs créoles. Soulèvement du 25 mai 1810 qui met fin à la vice-royauté. Efforts de Liniers pour relever le parti royaliste. Trahi et abandonné par ses troupes, il est fait prisonnier et mis à mort. L'Espagne réclame ses cendres.

En acceptant la succession de Liniers, Cisneros avait assumé une tâche au-dessus de ses forces. Pour la mener à bonne fin, il lui aurait fallu un génie politique qui lui faisait complè

(1) Gregorio FUNES, déjà cité, 2o vol., p. 367 à 368. Biographie de Funes dans le 1er vol., 10 à 12. p.

-

MITRE,

t. I, p. 283 à 351, et Appendice, n° 20, Rapport sur les événements du 25 mai. TORRENTE, déjà cité, Récit de don Pedro Alcantara Ximénès, chapelain de l'évêque de Cordoba, t. I, p. 69.

tement défaut. Malheureusement, en esprit borné qu'il était, il ne comprit pas son insuffisance, et il ne sut pas profiter des conseils absolument désintéressés que lui donna son prédécesseur avant de quitter Buenos-Ayres, et plus tard, du fond de sa retraite. Aux difficultés politiques qu'il ne percevait pas clairement, vinrent s'ajouter des difficultés financières. Le Trésor de la Colonie était à sec, et de lourdes dettes avaient été contractées pour faire face aux armements de 1807 et, depuis lors, à l'entretien des troupes qu'on n'avait pas pu licencier. Les dépenses s'élevaient à trois millions de piastres par an; l'état de guerre dans lequel se trouvait l'Espagne ayant tari les ressources du revenu public, les recettes ne s'élevaient pas à plus de 1,200,000 piastres, d'où un déficit annuel de 1,800,000 piastres. Pour remédier à cette situation désastreuse, Cisneros eut l'idée d'accorder la liberté du commerce. Les propriétaires terriens, presque tous créoles, applaudirent à cette mesure, qui

fut, au contraire, vivement combattue par les négociants espagnols, qui ne voulaient pas renoncer au monopole dont ils jouissaient. Cisneros ne tint pas compte de leur opposition et ouvrit les portes de la Colonie au commerce étranger. Les Anglais, qui étaient aux aguets, inondèrent le pays de leurs marchandises et en achetèrent à de bons prix les produits qui, depuis quelque temps, ne trouvaient plus d'acquéreurs. Les coffres du Trésor se remplirent rapidement, et les habitants s'enrichirent en même temps. Les Espagnols, profondément irrités, se détachèrent du vice-roi. Celui-ci chercha un contrepoids parmi les créoles, qui, n'ayant pas pour lui l'attachement qu'ils avaient eu pour Liniers, firent de lui un instrument inconscient de leurs secrets desseins, avec l'idée bien arrêtée de le renverser à la première occasion qui s'offrirait.

Les chefs du parti patriote manœuvrèrent avec suite et habileté. Comprenant l'influence acquise par le cabildo sur la population, ils

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