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CHAPITRE VI

LES SUITES DE LA MISSION ET LA CHUTE DE LINIERS

(1808-1809)

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Situation difficile créée au vice-roi par la mission de Sassenay. - Mécontentement à Buenos-Ayres. Révolte de Montevideo. Intrigues du parti espagnol. - Soulèvement du 1er janvier 1809. · Destitution de Liniers par la régence Sa retraite et son abnégation.

de Cadix.

roi

Quelques précautions qu'eût prises le vicepour cacher l'arrivée d'un envoyé de l'empereur des Français, la nouvelle s'en était pourtant répandue dans Buenos-Ayres. La population s'était si bien habituée, depuis la chute de Sobremonte, à intervenir dans tous les actes du gouvernement, qu'il était, sinon impossible, du moins fort difficile de ne pas lui faire une communication officielle au sujet de l'événement dont elle se préoccupait. Aussi Liniers, après en avoir longuement délibéré

toute la journée du 14 avec les membres de l'audiencia, lança-t-il, d'accord avec eux, sous la date du 15 août, une proclamation qui, en fournissant des armes à ses ennemis pour le rendre suspect à la Junte centrale de Séville, fut cause de sa ruine. Cette proclamation n'est évidemment que la mise à exécution du système de temporisation et de ménagements qu'il avait exposé à Sassenay dans leur entretien secret. S'il ne la rédigea pas lui-même, comme on l'a prétendu, il en fut certainement l'inspirateur, et elle porte sa signature. Son authenticité, contestée par quelques auteurs, ne saurait plus être mise en doute, aujourd'hui que le général Mitre a retrouvé l'un des exemplaires imprimés répandus à l'époque dans le public.

Voici cette proclamation :

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« TRÈS FIDÈLES HABITANTS DE BUENOS-AYRES,

Depuis l'entrée du dernier vaisseau de

Cadix, annonçant les événements accomplis

« dans notre mère patrie, l'abdication de Charles IV, celle de son fils Ferdinand et la << retraite de toute la famille royale en France, « vous êtes, sans doute, impatients de fixer << votre opinion sur un objet qui intéresse si « vivement votre loyauté. Votre anxiété a dù << redoubler encore en voyant arriver ici un agent français.

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D'après les dépêches qu'il a apportées, l'empereur des Français a reconnu l'indépendance de la monarchie espagnole et de « ses possessions d'outre-mer, sans retenir ni demander la plus petite de ses provinces. « Il maintient l'unité de notre religion, nos

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propriétés, nos lois et nos usages, qui garan« tissent notre future prospérité; et, quoique le << sort de notre monarchie ne soit pas entière«ment décidé, les Cortès ont été assemblées « à Bayonne le 15 juin dernier. Elles sont

composées des députés des villes espagnoles << et de citoyens de tout rang au nombre de <«< cent cinquante. Sa Majesté Impériale et

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Royale, après avoir applaudi à vos efforts et « à votre courage, vous exhorte à maintenir « votre tranquillité, à conserver vos bonnes dispositions, et vous promet tous les secours << dont vous pourrez avoir besoin. Je n'ai pas « hésité à répondre à Sa Majesté Impériale << que cette ville se distinguera toujours par << son attachement à son légitime souverain, << et qu'elle recevra avec satisfaction toute espèce de secours consistant en armes, << munitions et troupes espagnoles.

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« Dans des temps si malheureux, rien ne << saurait contribuer davantage à notre sécu« rité qu'une réunion franche et pure de << sentiments et d'opinions sur un point aussi

« intéressant que celui dont il s'agit. Imitons « les exemples de nos ancêtres : ils évitèrent « à ce pays les malheurs qui accablèrent l'Es«pagne dans la guerre de Succession, en « obéissant au prince légitime qui fut placé << sur le trône.

« Je communique mes intentions aux dif

«férents chefs des provinces du continent,

« pour que leurs efforts et leur unanime con

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cours assurent la prospérité de cette ville,

qui, par son énergie et sa bonne conduite, << est devenue le boulevard de l'Amérique « méridionale. Je vous répète encore qu'il

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n'y a pas de salut à espérer pour vous sans

une union entière, sans une confiance sans << bornes dans vos autorités constituées. De « leur côté, uniquement occupées du bien public, elles verraient avec peine, mais réprimeraient avec fermeté tout excès et « toute disposition contraire (1). »

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Cette proclamation fut mal accueillie à Buenos-Ayres. Elle y mécontenta tout le monde, aussi bien les créoles que les Espagnols. Les uns et les autres croyaient à la con

(1) J'ai copié cette proclamation dans l'ouvrage de M. Jules Richard, p. 33. Les passages importants qu'en donne le général Mitre, p. 229, se retrouvent dans la traduction de M. Jules Richard, sauf un où Liniers se plaint des clameurs des oisifs qui, par de vaines conjectures, ont mis en doute son dévouement bien connu.

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