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DIMANCHE 13 JANVIER 1850.

(N° 4926.)

L'AMI DE LA RELIGION.

De la question slave.

Foris pugnæ, intus timores. Cette parole nous revient dans la pensée, quand nous songeons à la situation éternellement militante, éternellement dangereuse, si je puis même dire éternellement précaire, et en même temps éternellement victorieuse de l'Eglise. La lutte et le péril sont pour elle de tous les jours, dans tous les lieux, sur tous les points. Nous la voyons de nos yeux soutenir le combat contre l'irréligion et contre l'hérésie. Ce sont là, pour ainsi dire, les ennemis du dedans : ils habitent avec nous et au milieu de nous. Mais il y a un autre ennemi plus éloigné et peut-être plus redoutable. L'Eglise grecque, livrée à elle-même, à sa dégradation et à sa décrépitude, n'était certes pas pour le catholicisme un adversaire bien dangereux. Mais l'Eglise grecque, devenue la propriété des czars, leur instrument et leur servante, trouve auprès d'eux l'appui du pouvoir temporel, si nécessaire à toutes les fausses religions. Il faut donc au milieu de toutes ses sollicitudes et de tous ses dangers, que l'Eglise tourne les yeux de ce côté-là, en même temps qu'elle lutte à l'Occident contre le protestantisme, dans les Missions contre l'idolâtrie, partout contre l'impiété.

La propagande religieuse et politique de la Russie s'étend sur les points les plus éloignés et s'adresse aux races les plus diverses. Susciter des ennemis au latinisme, rallier contre lui tout ce qui, sur un point quelconque, s'en sépare, tel est son but. Et ce qu'elle appelle le latinisme, c'est, en politique, l'influence, l'indépendance, la nationalité des peuples de l'Occident; c'est, en religion, l'Eglise catholique. Contre cet ennemi, elle appelle à elle toutes les races, tous les intérêts nationaux, toutes les tendances politiques, étrangères à celles de l'Occident; comme aussi dans l'ordre spirituel elle prétend réunir en un même faisceau toutes les hérésies, tous les schismes, même les plus contradictoires et les plus divers, non-seulement le Grec, qu'elle appelle son coréligionnaire, mais aussi le Nestorien qui prononce contre elle l'anathème et parfois jusqu'au protestant qu'elle déteste. Le czar aspire à devenir le patriarche de toutes les hérésies. Il n'y a pas jusqu'au mahométisme qui ne trouve en Russie une tutelle bienveillante; jusqu'à l'idolâtrie qui ne soit abritée avec quelque amour, jusqu'à l'impur chamanisme des nomades Sibériens qui n'ait été dans l'occasion défendu contre les tentatives du prosélytisme chrétien. L'erreur, quelle que soit sa forme, a toujours rendu à l'Eglise ce témoignage involontaire, de l'attaquer de préférence, de la tenir pour la grande, la suprême, l'irréconciliable ennemie. L'Ami de la Religion. Tome CXLV.

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Mais cette ligue de toutes les erreurs contre la vérité est tout autrement redoutable, aujourd'hui qu'elle a pour chef le plus puissant monarque du monde. Sous le patronage de la force matérielle la plus redoutable qui soit au monde, sous la garde d'une volonté absolue autant que volonté royale le fut jamais, forte à la fois de toutes les ressources de la civilisation et de tous les élans de la barbarie, les ennemis les plus opposés entr'eux s'embrassent et se reconnaissent; l'Eutychéen, le Nestorien, l'Arménien, le Grec, qui ont tant de fois et non sans raison prononcé l'anathème les uns contre les autres, les hérétiques du quatrième siècle comme les schismatiques du dixième siècle, ne font qu'un seul corps contre l'Eglise. Depuis la Vistule jusqu'au Jourdain, ils gagnent pied à pied et comme avec une force invincible le terrain qu'occupait la vérité.

Ils dépouillent les catholiques des sanctuaires de la Palestine en même temps qu'ils livrent au schisme les couvents de la Pologne; avec une désespérante uniformité d'action, ils ont toujours les mêmes armes, la chicane, la ruse, la menace, la violence, la persécution au profit du mensonge contre la vérité. La même pensée, qui est grecque à Constantinople pour y persécuter les Latins, est arménienne à Tiflis pour en expulser les religieux catholiques, nestorienne en Perse, pour persécuter les missions chrétiennes. Redoutable spectacle qui nous montre d'un côté toutes les forces humaines, toute l'habileté, toute la puissance, toute la politique, et de l'autre nulle force visible que quelques moines sans asile, sans pain, quelques légats sans cortége, obscurs envoyés d'une Papauté elle-même gémissante et exilée, quelques missionnaires sans défense livrés à la merci du premier pacha, ou plutôt du premier consul russe qui sollicitera leur expulsion.

Mais cette guerre faite à l'Eglise catholique et en même temps à l'indépendance et à la civilisation des peuples latins, n'est sur aucun point plus redoutable et plus ardente qu'elle ne l'est aux portes mêmes de l'Europe occidentale, sur la Vistule, sur le Danube, sur tous les points habités par la race slave. Tout le monde sait ce qu'est ce Panslavisme russe, qui a la prétention de réunir sous le patronage du czar tous les peuples si divers de la race slave; comme en même temps l'orthodoxie russe a la prétention de les réunir dans le sein de son Eglise. Le czar leur serait alors imposé et dans l'ordre spirituel comme patriarche, et dans l'ordre temporel, comme protecteur de ceux dont il n'est pas encore le souverain. Toute l'Europe occidentale, 80 millions d'hommes qui habitent depuis la Baltique jusqu'au golfe de Venise, et depuis la Silésie jusqu'au Wolga, formerait alors l'immense armée, qui au premier mot parti du palais impérial, serait prête à marcher contre l'Occident latin ou germanique, catholique ou protestant; contre l'Eglise, la civilisation, la liberté. Par ses fautes, malheureusement, pour me servir d'un terme bien adouci, par ses déchirements, par ses révolutions, par ses hai

nes de peuple à peuple, et ses jalousies de peuple à roi, l'Occident s'affaiblit chaque jour et rend chaque jour sa défense plus difficile. La Russie, il ne faut pas se dissimuler, a fait, dans la récente guerre de Hongrie, un grand pas en ce sens ; elle l'a fait avec cette modération apparente, cette politique calme et comme désintéressée qui lui appartient. Peu lui importe; elle a poussé plus loin ses avant-postes. Elle a fait voir aux Slaves de la Hongrie et de la Transylvanie les armées de ce grand empereur, dont ils avaient tous déjà le portrait dans leurs chaumières; elle a fait résonner plus haut le nom russe à l'Occident. Elle a fait faire quelques pas de plus à cette propagande politique et religieuse à laquelle la Russie travaille depuis des années, et qui marche devant elle comme l'avant-garde de ses armées.

Aujourd'hui donc, cette croisade, entreprise contre la cause plus identique que jamais de l'Eglise, de la civilisation et de l'indépendance des peuples, cette croisade est évidemment en progrès. Elle s'adresse surtout à ceux des Slaves, qui, dans le sein de l'Eglise catholique, conservent le rit propre à leur nation et que lui ont donné ses premiers missionnaires.

La Russie, qui a conservé le même rit, sait bien faire valoir cette ressemblance auprès de ces chrétiens séparés d'elle par le dogme. En leur inspirant pour la conservation de leur rit des craintes imaginaires, en donnant une importance exagérée à ces questions de formes, d'images, de liturgies, de cérémonies, devenues fondamentales dans l'Eglise grecque depuis que le fondement de la foi a disparu; en se prévalant de cette communauté d'usages, de la solennité de ces formes et de la magnificence de ces chants, par laquelle ils touchent à elle, elle les rapproche d'elle, elle se fait aimer d'eux, elle les soutient contre les latins; elle mêle la nationalité à la religion, et leur fait hair le Pape comme latin plus encore que comme catholique. Elle abuse, en un mot, de la simplicité de ces hommes toujours prêts à mettre leur religion dans l'extérieur, et plus frappés de la ressemblance du culte que de la différence de la foi. C'est par cette jonglerie, appuyée au besoin de toutes les ressources de la persécution, qu'elle a fait de déplorables conquêtes. Cinq millions de Polonais du rit grec slave ont été d'un seul coup enlevés à l'Eglise, et, comme des troupeaux, menés au schisme par leurs infidèles pasteurs. Il ne reste plus en Pologne qu'un seul Evêché de ce rit, bien vacillant encore et bien précaire.

Il est certes bien temps que le catholicisme occidental vienne au secours : nous ne devons pas oublier, nous chrétiens de France et d'Allemagne, comment l'épée du catholique slave nous a défendus contre le croissant. C'est à notre tour de lui rendre le même service, non par notre épée, notre épée est pour longtemps occupée ailleurs, mais par le zèle de notre foi. Sur 80 millions de Slaves, la Russie en possède déjà par sa souveraineté 54; par son Eglise, 56; 20 millions

de catholiques latins, 3 millions de catholiques greco-slaves sont aujourd'hui tout ce qui reste à l'Eglise, de ces peuples qu'elle a évangélisés, instruits, civilisés par un labeur de plusieurs siècles.

Il s'agirait de maintenir dans la foi ce petit nombre qui y reste encore. Il s'agirait d'aider son clergé à se retirer de l'isolement, de l'abandon, de l'infériorité où il se trouve; de lui fournir dans un des pays libres de l'Europe, un point d'appui, un lien d'assistance, une source de lumière. On parle donc de former à Paris, puisque Paris est encore la capitale de l'Occident libre et civilisé, un certain nombre de prêtres slaves, Latins pour le rit latin, Grecs pour le rit grec, qui, sans perdre ni la langue, ni la tradition, ni la nationalité de leur pays, y reporteraient les lumières, les traditions de zèle et de discipline qui leur auraient été enseignées parmi nous. Une simple chapelle, où on célèbrerait le culte divin dans les deux rits, serait le centre modeste de cette fondation; humble commencement, parce que les chrétiens aiment toujours ce qui commence humblement. Ce serait le premier point de ralliement, le premier centre, la première pépinière d'une mission slave, qui pour rait être une source de bénédictions pour les pays auxquels elle est destinée, et qui peut-être nous vaudrait aussi quelques bénédictions. FR. DE CHAMPAGNY.

De l'instruction publique en Piémont.

Nous recevons de Savoie une lettre qui renferme des renseignements et des détails très-importants sur les dangers que court en Piémont l'instruction publique. On ne lira pas cette correspondance sans un véritable intérêt :

« Monsieur le Rédacteur,

Je suis étonné que vous n'ayez pas encore dénoncé à l'univers catholique l'incroyable conduite du ministre de l'instruction publique de Turin; conduite que vous pourrez apprécier par le récit authentique que je vais vous faire.

Le 4 octobre 1848, M. Boncompagni, alors ministre de l'instruction publique, présenta à la signature du pieux Charles-Albert une loi sur l'instruction publique, dans laquelle il n'est pas question de l'Eglise depuis le premier article jusqu'au dernier. Je me trompe : il est fait mention de l'Eglise dans l'article 58; mais pour lui dire qu'elle ne se mêle ni de l'instruction, ni de l'éducation publique; qu'elle n'interviendra pas même dans la nomination des professeurs de théologie, des professeurs de religion, ou des directeurs spirituels et aumôniers des colléges!

Ainsi, dans un pays à peu près exclusivement catholique, nous ne savons pas si la théologie sera enseignée par des prêtres orthodoxes, ou par des ministres protestants, des rabbins ou des voltairiens. Nos Evêques ont signalé au ministre le germe de schisme et d'hérésie déposé dans sa loi; mais M. le chevalier Boncompagni a très-mal traité les princes de l'Eglise, et il a passé outre.

l'avo

M. Boncompagni est un doctrinaire. Lui tombé, il a été remplacé par cat démocrate Cadorna. Celui-ci a procédé à l'organisation, ou plutôt à la désor

ganisation générale de l'instruction publique. Dans chaque province, il a nommé proviseurs des hommes absolument étrangers à la carrière de l'enseignement, des avocats, des médecins, des procureurs, voire même des apothicaires, qui n'ont pas fait leur cours de collége! Jamais on n'avait vu rien d'aussi extravagant. Voilà le savoir-faire du ministre du progrès.

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Après Cadorna, nous voyons arriver au ministère de l'instruction publique un Sarde, M. Mameli. Celui-ci a écrit aux Evêques des lettres assez convenables ou plutôt assez courtoises; mais dans la chambre des députés, il a été assez faible pour donner toujours satisfaction aux démagogues dans leurs attaques contre l'Eglise et les congrégations religieuses.

Bien plus dans le courant de novembre dernier, il a présenté au parlement un nouveau projet de loi sur l'instruction secondaire, qui n'est pas plus satisfaisant que la loi Boncompagni. Heureusement nos Evêques, nos prêtres et tous nos concitoyens vraiment catholiques sont moins disposés que jamais à subir de telles prétentions. Espérons qu'après la tourmente déchaînée sur nous par l'esprit révolutionnaire, notre pays saura enfin en repousser les perfides et toujours désastreuses suggestions. «

Les catholiques de Piémont réclament comme nous la liberté de l'enseignement; mais comme nous aussi, ils se préoccupent avec juste raison de l'état de l'instruction publique ou officielle.

Ils ne veulent donc pas livrer cette instruction publique, c'est-à-dire lous les maîtres et tous les élèves actuellement réunis dans les institutions dont elle se compose, à la merci de la tyrannie et de l'arbitraire exploités par l'esprit voltairien, éclectique ou démagogique. Dans tout Etat où il existe un enseignement officiel, et où les catholiques sont en immense majorité et contribuent de leurs bourses à le payer, c'est bien le moins que cet enseignement ne soit pas dirigé en dehors d'eux et contre eux.

Nous lisons ce qui suit dans le Républicain neufchâtelois :

"Le Courrier de Lyon annonce, dans une correspondance de Genève, que l'empereur de Russie vient d'interdire aux instituteurs génevois l'entrée de ses Etats. Cette nouvelle est vraie : déjà plusieurs de nos jeunes compatriotes ont dû s'arrêter aux frontières et rebrousser chemin. >

Si les instituteurs génevois ressemblent à un grand nombre des nôtres, nous ne pouvons guère en cela blâmer l'empereur de Russie.

Séance de l'Assemblée.

L'Assemblée doit-elle quitter le hangar qu'elle occupe, hangar mal disposé, mal éclairé, où l'ordre est impossible, où la moitié des membres n'entendent rien, où le président ne peut dominer et gouverner l'assistance? doit-elle quitter ce détestable abri pour se transporter dans l'ancienne salle de la Chambre des députés? et, avant tout, y a-t-il moyen de loger les 750 représentants dans l'espace où siégeaient les 459 députés ? La commission et M. Leverrier, d'accord

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