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partie des maisons étaient construites en bois et couvertes en «bardeau (1). ›

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Enfin, le subdélégué de Vire, M. de Mortreux, et le maire, M. Mauduit, exprimaient l'opinion que le règlement proposé renfermait des dispositions très-préjudiciables aux intérêts de la ville, et que, de plus, il était inutile. Depuis deux ans, le maire avait créé une compagnie de pompiers d'une cinquantaine de personnes appartenant aux diverses classes de la population. Si on les répartissait entre les autres compagnies, il n'y aurait plus d'émulation, plus d'esprit de corps; les pompes seraient mal entretenues, etc. La milice, telle qu'elle existait depuis longtemps, suffisait parfaitement. Elle formait six compagnies commandées par un colonel, un major, deux aide-majors, six capitaines et six lieutenants. Elle ne se réunissait que « dans les cas de Te Deum, de « feux de joie et de fête du Saint-Sacrement. C'en étoit << assez. » L'appeler plus souvent, c'était faire perdre le temps aux bourgeois et les exposer à des querelles, « Car, observaient les maire et échevins, en donnant une idée << peu flatteuse de leurs administrés, rarement la bourgeoisie s'assemble sans qu'il n'y ait quelque scène (2). » Les observations que nous venons de résumer, transmises par l'intendant, n'encouragèrent pas le ministre dans ses projets de réforme; il y renonça. Les troupes bourgeoises de la généralité restèrent dans leur ancien état. Elles auraient eu, cependant, une occasion prochaine et solennelle de se montrer sous une meilleure apparence. En 1786, le roi traversa toute la Basse-Normandie, et se rendit à Cherbourg.

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Les travaux de la digue avaient été poussés activement;

(4) Arch., n° 2113.

(2) Ibid., n" 2116.

mais deux caisses coniques, immergées en 1785, furent très-endommagées par une tempête survenue au mois d'août. La critique ne manqua pas de profiter de cet accident et de s'exercer, aux dépens de l'inventeur du système et du gouvernement qui l'approuvait. La cour crut qu'il ne fallait pas moins que la présence du roi pour imposer silence aux détracteurs. On envoya d'abord le comte d'Artois. Le jeune prince quitta Versailles le 25 mai 1786. Il revint enthousiasmé: on avait immergé sous ses yeux le septième cône (1).

Le roi partit à son tour. Il vint, par Argentan et Falaise, coucher, le 21 juin, au château d'Harcourt (2). Il passa par Caen, le 22, et fit son entrée à Cherbourg, le même. jour, à onze heures du soir. Il consacra trois journées à visiter les travaux du port et des forts. On lui donna aussi le spectacle de l'immersion d'un cône. Une flotte de dixsept navires de guerre manœuvra sous ses yeux. Il se promena en mer sur le vaisseau amiral Le Patriote. Partout, la réception fut chaleureuse. Les populations multiplièrent leurs manifestations de respect et de dévouement envers le monarque qu'elles appelaient, et elles étaient sincères, « le meilleur et le plus paternel des rois (3). » Louis XVI passa, en Basse-Normandie, les instants les plus heureux de sa vie; ce furent aussi ses derniers jours heureux. L'empressement des foules, les compliments officiels, les arcs de triomphe et les salves d'artillerie n'arrêtaient ni la marche du temps, ni les événements.

(1) Gazette, 1786, nos 43 et 47.

(2) Ibid., n° 49.

(3) Le récit du voyage de Louis XVI se trouve dans tous les historiens locaux, notamment dans l'Histoire sommaire et chronologique de Cherbourg ; Le voyage de Louis XVI dans la province de Normandie, etc. Il existe une série de gravures qui en reproduisent les principaux incidents.

Le roi, en rentrant à Versailles, se retrouva en face des difficultés que M. de Calonne avait voilées, et qu'il n'avait pas aplanies. Le trésor était vide, la baisse des effets publics énorme, la stagnation des affaires complète. Le contrôleur général, à bout de ressources, ayant épuisé tous les expédients les plus factices et les plus ruineux, résolut de sortir d'embarras par un coup d'éclat. Il demanda au roi, à l'imitation de ce que Richelieu avait fait en 1626, de convoquer une assemblée des notables; et, le 22 février 1787, à la séance d'ouverture de cette assemblée, il annonça l'établissement des assemblées provinciales semblables à celles qu'à titre d'essai M. Necker avait créées dans le Berry (12 juillet 1778); la substitution de l'impôt territorial aux vingtièmes; la suppression de la capitation pour la noblesse et le clergé; l'abolition des douanes intérieures, etc. M. de Calonne, dans son incurable légèreté et son aveugle confiance en lui-même, n'avait pas mesuré la portée, ou prévu les conséquences des réformes qu'il proposait. Il croyait « restaurer la «chose publique » et sauver la monarchie; et, sans avoir ni la force, ni les moyens d'en modérer ou d'en diriger le mouvement, il ouvrait les barrières à la Révolution (1). Cela ne le sauva pas lui-même; il fut disgracié, le 8 avril, et remplacé par l'archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, qui, pas plus que lui, n'était de ces hommes qui relèvent les gouvernements qui tombent. M. de Calonne n'emportait pas dans sa retraite les projets qu'il avait si solennellement annoncés: il était désormais trop tard pour les retirer, trop tard pour retourner en arrière...

(4) Mém. de Marmontel, t. II, p. 221.

CHAPITRE XIII.

Déclaration sur la liberté du commerce des grains. — Création des assemblées provinciales, d'élection et de paroisse. — Règlement pour la généralité de Caen. Première session des assemblées en 1787. Seconde session en 1788. Les assemblées d'élection dans le Cotentin. 1787-1788.

Moins de trois mois après son entrée aux affaires, le nouveau ministre reprit l'œuvre tentée sans succès par Turgot et Necker, puis annoncée par de Calonne. Une déclaration, du 17 juin 1787, rendit au commerce des grains la liberté d'exportation tant de fois accordée et tant de fois supprimée (1); et un édit du même mois créa, dans toutes les provinces, des assemblées semblables à celles qui, «< par forme d'essai », avaient été établies, en 1778, dans le Berry et la Haute-Guyenne (2).

La déclaration, malgré son long préambule, où l'on parlait, avec une certaine solennité, « des vérités politi<«<ques qui mûrissent et des fausses lumières qui se dis

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sipent», fut accueillie avec froideur. Tout le monde prévoyait qu'elle ne serait pas maintenue longtemps (3). La Basse-Normandie obtint, cependant, un certain avantage d'une décision postérieure, qui n'autorisa l'exportation des grains que par navires français (4).

(1) Anc. lois franç., t. XXVIII, p. 361.

(2) Ibid., ibid., p. 364.

(3) L'exportation fut, en effet, suspendue par un arrêt du conseil du 7 sept. 1788.

(4) Arch. du Calv. Lettre de M. Lambert à l'intendant, du 15 oct. 1787. L'intendant était alors M. Cordier de Launay, qui avait succédé au marquis de Brou, le 14 janvier 1787; son nom clôt la liste des intendants, qui furent supprimés au mois de juillet 1790.

L'édit était d'une toute autre importance. Jamais, à aucune époque, la royauté n'avait offert aussi loyalement à la nation de reprendre possession d'elle-même. C'était la décentralisation introduite dans les provinces et pénétrant jusqu'aux plus humbles paroisses, c'est-à-dire l'abdication du pouvoir absolu à tous les degrés. Nous n'avons pas ici à exposer, dans ses détails, cet acte législatif qui fut comme la préface des États généraux et de la Révolution: il nous suffira d'en rappeler l'économie générale.

Chaque communauté ou paroisse, chaque élection, chaque généralité eut son assemblée, et chaque assemblée une commission, dite intermédiaire, élue et prise parmi ses membres (1). Ces assemblées eurent dans leurs attributions l'assiette et la répartition de « toutes les impositions foncières et personnelles: tant celles dont le

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produit est versé au trésor que celles qui doivent être employées aux chemins, ouvrages publics, indemnités, << encouragements, réparations d'églises et de presbytères «<et autres dépenses quelconques propres auxdites pro«<vinces et aux districts et communautés qui en dépen<«<dent» (art. 2). On leur accordait, de plus, et c'était là la vraie réforme, le droit de surveiller, soit par leur commission intermédiaire, soit par leurs syndics, soit par des délégués spéciaux, l'emploi des fonds votés et l'exécution des travaux entrepris.

Conformément à l'engagement qu'il en avait pris, le roi donna, à la date du 15 juillet 1787, le règlement spécial à la généralité de Caen et relatif à la formation et à la

(1) On voit que là est l'origine de nos différents conseils et même de la commission départementale plus récemment établie. Seulement, les anciennes assemblées avaient des attributions beaucoup plus étendues et plus libérales (Voy. les articles de M. L. de Lavergne sur les Assemblées provinciales, ap. Revue des Deux-Mondes, années 1881 et 1882).

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