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listes dressées dans chacune des élections de la généralité (1).

A cette époque, la situation de l'Angleterre était des plus critiques. L'Irlande se soulevait. Les émeutes remplissaient Londres de troubles et de rixes sanglantes. La ligue des nations neutres, pour la protection du commerce, s'était formée sous l'influence de la France, dont la marine militaire avait obtenu, sur l'Océan, quelques brillants succès. On reprit donc, à Versailles, les projets de l'année précédente, sans savoir exactement comment et dans quelle mesure on les réaliserait.

On commença par revenir à l'idée de former un camp dans la presqu'île. Il fut décidé que ce camp serait établi dans les environs de Valognes; que cette ville en serait le dépôt général; que le duc d'Harcourt en aurait le commandement en chef avec le marquis de Lambert comme maréchal des logis général, et Dumouriez comme aidemaréchal; et, enfin, que l'installation en devrait être achevée le 1er août 1780 (2).

Le subdélégué, consulté par M. Esmangart, pensa, avec le marquis d'Héricy et le chevalier de Buffedent, qui examinèrent les lieux, que l'emplacement le plus favorable serait la lande de Rauville ou Mont-de-la-Place, aux portes de St-Sauveur-le-Vicomte. Quelques réparations seraient à faire à la route nouvelle de Valognes (3).

Le camp se composa de 2,183 tentes qui furent occupées par les troupes suivantes: deux bataillons du régiment. de Bourgogne, en garnison à Valognes; deux bataillons de Beauce, venant de St-Lo; deux bataillons de Limousin,

(1) Arch. du Calv. Cartons de l'intendance. Listes des pauvres secourus. (2) Lettre du 16 juillet 1780 de l'intendant au commissaire des guerres à Valognes (Arch., sér. C, no 1508).

(3; Lettre du 19 juillet 1780 ( Arch., sér. C, no 1808 ).

venant de Coutances; deux bataillons de Vexin, envoyés de la Haute-Normandie l'effectif de chaque bataillon montant à 500 hommes; un escadron et demi de dragons: soit 150 chevaux; et quatre compagnies du 2° bataillon de Toul-artillerie, à 71 hommes par compagnie soit 284 hommes. Ce qui donnait un total de 4,434 hommes (2).

Le duc d'Harcourt arriva, le 5 août, à St-Sauveur. L'intendant et le duc du Châtelet vinrent l'y visiter à la fin du mois. Le camp fut maintenu jusqu'au 80 septembre (3). D'après le compte du commissaire organisateur, M. Cappe, la dépense s'éleva à 85,924 livres 9 sols. En 1789, les indemnités réclamées par les particuliers n'étaient pas encore réglées (3).

Le camp de Saint-Sauveur ne fut d'aucune utilité. Le comte de Blangy profita de la présence du duc d'Harcourt pour exercer les canonniers miliciens au service des batteries de la côte (4); et le duc, avant de quitter la contrée, alla à Cherbourg, à La Hougue et à Granville. Il fit prendre, dans ces places, quelques dispositions de défense rendues indispensables par les croiseurs anglais, dont l'audace était encouragée par les inexplicables lenteurs des flottes combinées de France et d'Espagne (5).

On ne savait ce que la cour de Versailles entreprendrait. Elle était livrée aux rivalités de ministres. M. Necker avait obtenu le renvoi de M. de Sartines, auquel, malgré l'opposition de M. de Maurepas, succéda le marquis de Castries (octobre 1780). Le prince de Montbarrey, menacé

(1) Arch., même liasse. Etat pour les subsistances des troupes.

(2) Ibid., no 1809.

(3) Ibid., no 1809.

(4) Ibid., no 1807. Lettres du 23 juillet 1780, de MM. Esmangart et de Blangy à M. Vardon.

(5) Ibid., même liasse. Lettre du duc d'Harcourt à M. Esmangart, du 5 août 1780.

à son tour, employa les derniers mois de son ministère à remettre en scène la fameuse Légion de Luxembourg et à préparer, une seconde fois, la conquête des îles. Le prince de Nassau n'était plus là; un de ses lieutenants prit sa place.

CHAPITRE XI.

Expédition contre les îles. La Légion de Luxembourg. - Le baron de
Rullecourt. Départ de Granville. - Descente à Jersey. Combats de La
Rocque et de St-Hélier. -Mort du majer Pierson et de Rullecourt.
Défaite des Français. - Projets de Versailles abandonnés.
de Luxembourg envoyés à l'île de Ré. — 1780-1781.

Les volontaires

Par une dépêche du 6 décembre 1780, le prince de Montbarrey informa le duc d'Harcourt que, sur la demande du chevalier de Luxembourg, propriétaire du régiment de ce nom, il avait adressé une route d'étapes au comte de Beauvoir, commandant au Havre. Cette route était délivrée à un détachement de volontaires qui se rendait à Vire, et, de là, à Granville, où il s'embarquerait sur le navire L'Indien. Le ministre invitait le duc à prévenir l'intendant de la généralité de Caen que le logement seul était dû par l'habitant, et qu'il fallait prendre les plus grandes précautions dans l'intérêt de l'ordre et de la discipline (1).

A la même date (2), le subdélégué de St-Lo, M. Robil

(4) Arch. du Calv., sér, C, no 1935.

(2) Ibid., ibid. Lettre du 9 déc. 1780 de M. Robillard à M. Guiard, premier secrétaire de l'intendance.

lard, reçut la visite d'un sieur Moutardeau, capitaine à ce même régiment, qui le prévint que le mercredi suivant il lui amènerait, de Granville, deux cents recrues qu'il aurait à héberger, en attendant leur jonction, à Vire, avec leurs camarades du Havre.

Le subdélégué fut très-perplexe. On ne lui avait envoyé aucune instruction, et il savait depuis longtemps ce que valait la légion : « C'étoit un rebut de tous les régiments, « composé de tous déserteurs ou de gens chassés de leurs « corps avec ignominie. Le seul parti à prendre était de les renfermer à l'Abbatiale (1), avec deux sentinelles à la porte, et d'empêcher tous rapports entre ces mauvais sujets et les soldats singulièrement paisibles de la garnison..... Par bonheur, les deux cents recrues se réduisirent, d'abord à cinquante, puis, finalement, à huit hommes et à trois sergents (2).

La troupe entière se composait de neuf cent cinquante soldats et de trente-et-un officiers, ayant, à leur suite, quatre-vingts matelots et quatre chariots de munitions (3). La plupart de ces individus, comme l'écrivait M. Robillard, avaient été recrutés parmi les déserteurs condamnés à la chaîne que le ministre de la guerre avait fait sortir des prisons du Havre. On avait aussi emprunté aux bataillons provinciaux de Mantes et de Paris ce qu'ils renfermaient

(1) L'abbaye de St-Lo était, à cette époque, comme la plupart des établissements de ce genre, en complète décadence. Son abbé titulaire était alors le baron d'Hallebert, chanoine de Cologne; et, sur les trois moines qui y restaient, deux étaient en fuite: l'un pour éviter les poursuites de deux filles qu'il avait séduites, et l'autre pour se soustraire à une condamnation pour faux, en complicité d'un individu qui avait volé 42,000 liv. au receveur des consignations. (Arch. du Calv., sér. C, no 2262. Lettre du subdél. à l'intendant, du 14 déc. 1780.)

(2) Lettie du même au même et à la même date (Ibid.).

(3) Lettre du subdél. de Vire à Guiard, du 20 déc. 1780 (Ibid.).

de vagabonds et de gens de sac et de corde. Et pour donner à cet assemblage son caractère tout picaresque, on voyait parmi les officiers de l'état-major, un Indou, jadis au service du Grand-Mogol, qui avait voulu s'embarquer pour aller, disait-il, tuer des Anglais. C'était un vigoureux gaillard de quarante-cinq ans. Il se faisait appeler Meer Seed, c'est-à-dire l'émir Seed. Affublé d'un « beau doliman « bleu », aux couleurs de la légion, il portait de brillantes. épaulettes et se coiffait d'un turban orné d'une bande verte, en sa qualité de descendant de Mahomet (1).

Le chef était digne des soldats. Il se nommait PhilippeCharles-Félix Macquart, et s'intitulait baron de Rullecourt. Né en Artois, le 9 juillet 1744, son père était un des secrétaires du roi. De bonne heure signalé par ses étourderies, il fut décrété de prise de corps par le parlement de Douai, se réfugia en Pologne, au moment des troubles de 1768, et manqua d'y être pendu. A son retour, il épousa MarieFélicité Wessel, fille du comte de La Ferté-Mortevieille et de Marie d'Arlington (2). Roué dans toute la force du terme, criblé de dettes et payant ses créanciers à coups de sabre, ne sachant où donner de la tête, il s'engagea dans la légion de Luxembourg et servit de second au prince de Nassau, dans son expédition contre Jersey. L'échec ne l'avait pas découragé. Il offrit au prince de Montbarrey de tenter de nouveau l'aventure, et le prince. n'éprouva aucun scrupule à l'accepter comme auxiliaire du roi de France (3).

(1) Mém. secrets pour servir à l'hist., etc., par Bachaumont, t. XVII, p. 10, édit. de Londres. « On raconte qu'il disoit l'autre jour: moi manger cochon,

moi boire vin et, par conséquent, moi chrétien; moi toujours conserver

« turban, parce que moi sang du prophète. On vouloit l'empêcher de s'em

« barquer, mais il a fallu céder à ses instances, 5 janvier 1781. n (2) Le gouv. de Norm., t. II, p. 296.

(3) Mém. secr., etc., loc. sup. cit.

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