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D'après le récit du Mercure françois (1), M. de Matignon serait allé en mer au-devant du courrier venant d'Angleterre, et aurait découvert le nom des conspirateurs, qui auraient été saisis, au nombre de quatorze, par le sieur de La Roche-Baritaut (2) et conduits devant le roi. De La Forest aurait réussi à s'évader.

Masseville, suivi par plusieurs historiens locaux, adopte une autre version (3). Il place le château, qui devait être livré, et le havre où les Anglais devaient descendre, à Regnéville. La présence de Matignon à Coutances et les mesures militaires qu'il y prit rendent cette version assez vraisemblable. Du reste, le complot ayant été déjoué avant toute exécution, il n'est pas impossible que ses auteurs eussent formé le projet de se porter sur deux points opposés de la presqu'île. Masseville, remarquons-le, parle de deux tentatives qui échouèrent. De Piennes-Bricqueville fut arrêté; la mort de son fils, tué devant La Rochelle, le sauva d'une poursuite et lui valut sa grâce (4).

Après la défaite que Schombert infligea à Buckingham, dans l'île de Ré, les Anglais remirent à la voile, au mois de novembre 1627; ils avaient éprouvé des pertes énormes. Richelieu envoya aussitôt, à toutes les provinces maritimes, l'ordre de redoubler de vigilance dans le service du guet. Il avait réussi à obtenir de l'Espagne l'assistance de quelques vaisseaux qui n'arrivèrent dans le Morbihan que le 20 novembre, c'est-à-dire trop tard. Il proposa

service dans la vicomté de Vire. Le bureau leur donna gain de cause (Registre du bur., 1628, fo 134, à la date du 23 octobre).

(4) T. XIV, IIe part., p. 211. On sait que les nouvelles données par le Mercure doivent, assez souvent, n'être acceptées qu'avec réserve.

(2) La Compagnie de La Roche-Baritaut était en garnison à Vire (Reg. du bur., 1628, fo 134 verso).

(3) Masseville, t. VI, p. 117. (4) Id., t. VI, 117,

-

Séguin, Hist. milit., p. 401, etc.

alors à l'amiral, don Frédéric de Tolède, de « s'établir en << des lieux peu avancés dans la Manche, et où, ayant « pris un port, il demeureroit à couvert et attendroit le << retour de la saison (1). » L'Angleterre vit, dans cette proposition, une menace contre les îles. Elle ne s'en étonna pas. Depuis plus d'un an, elle était prévenue et avait pris ses précautions.

Au mois d'août 1626, un sieur Legge, marchand à St-Malo, avait écrit à son correspondant de Guernesey qu'une flotte de 60 voiles était réunie dans le port du Passage, en Biscaye; elle se composait de navires de 60 à 70 tonneaux, marchant à la rame et à la voile, et portant environ 6,000 hommes. La destination de cette flotte paraissait être Jersey et Guernesey. Deux Espagnols, accompagnés d'un Anglais papiste, attendaient à St-Malo et serviraient de pilotes (2). Cette nouvelle avait déjà inquiété les insulaires. Les Espagnols ne parurent pas; mais d'autres bruits non moins alarmants avaient bientôt circulé.

A la date du 9 juin 1627, le conseil privé ayant appris, par le rapport de trois espions, que 4,000 hommes étaient réunis à Coutances et 7,000 au Havre, prêts à s'embarquer et à envahir les îles, avait demandé à Buckingham d'y expédier trois ou quatre vaisseaux (3). Le 29 du même mois, on annonçait de Londres que le gouverneur de Guernesey, ou son lieutenant, sir Osborne, allait arriver dans l'île avec 10 vaisseaux (4). Le 30, le lord maire de

(1) Mém. de Richelieu, t. I, p. 497 et 498.

(2) Historical manuscripts extracts from Chevalier's Chronicle. Série d'articles publiés, par le docteur Elliot Hoskins, dans le Guernsey magazine, depuis 1876, et continués dans les années suivantes.

B. Tupper, p. 207 (2o édit.).

(3) Hist. of Guernsey, par B. Tupper, p. 208.

(4) Ibid., id,

Hist. of Guern., par

Londres avait reçu l'ordre de recruter 100 hommes de pied, parmi lesquels il y en aurait 19 de diverses professions notamment trois armuriers, deux couteliers, un fabricant de canons et cinq fabricants de poudre de guerre (1). Le 23 juillet, une autre levée avait été prescrite dans les comtés; elle était de 400 hommes, qui devaient être rassemblés le 5 août 200 à Portsmouth, et 200 à Plimouth, et transportés dans l'archipel normand, sous la conduite de Philippe de Carteret et de son lieutenant Elias de Carteret (2). Le 28, le comte de Danby avait reçu des instructions et avait été invité, en sa qualité de gouverneur, à se rendre à Guernesey et à en prendre la défense (3). Enfin, le 12 août, lord Conway avait adressé aux baillis et jurats des îles une lettre dans laquelle il leur rappelait que le roi attachait le plus haut prix à cette partie de son héritage, et comptait sur la fidélité des habitants, comme ils pouvaient compter sur sa vigilance (4).

Les rapports reçus de la Normandie laissaient supposer qu'une attaque était imminente. Le lieutenant gouverneur annonçait que tout était prêt à St-Malo et au Havre (5); et une autre dépêche prévenait lord Conway

(4) Calend., Ch, er, vol. II, p. 209, 229 et 234, aux dates des 9, 26 et 30 juin 1627.

(2) Ibid., p. 269.-Lettre de Th. Méautis à lord Conway.

(3) Ibid., p. 275.-Lettre du secrétaire Coke à Conway. Le comte de Danby, tout en protestant de son obéissance, écrivit au secrétaire Coke qu'il ne pensait pas, pour l'honneur du roi et son propre honneur, qu'il fût convenable, après l'avoir nommé général de l'expédition destinée à repousser une invasion de l'Irlande, de l'envoyer se renfermer dans le château de Guernesey, et que son lieutenant suffirait à cette tâche. Nous ne pouvons dire si sa réclamation fut accueillie à ce moment. Nous verrons bientôt que, deux ans plus tard, il accepta et remplit une mission dans les îles ( Calend., Ch. 1, t. II, p. 321, 322 et 325).

(4) Ilist. of Guern., by B. Tupper, p. 488.

(5) Calend. (loc. sup, cit.), p. 297. Lettre du 15 août 1627.

que le projet des Français était de surprendre les îles avant qu'elles ne fussent en état de résister (1). On allait jusqu'à donner la liste des vaisseaux armés pour cette entreprise, en montrant l'insuffisance - inadequacy - des forces qu'on aurait à leur opposer (2). La mer, disait-on, était, à St-Malo, couverte de vaisseaux de guerre (3).

Les quatre cents hommes recrutés dans les comtés étaient réunis à Southampton, vers la fin du mois d'août (4); ils furent retenus par les vents contraires pendant trois semaines; ils n'arrivèrent à leur destination que dans les derniers jours de septembre (5). Ils n'avaient quitté la côte d'Angleterre que le 28, après avoir été, la veille, obligés de relâcher à llurst (6).

On en était là lorsqu'on apprit la retraite de Buckingham; ce qui fut loin de calmer les inquiétudes, quoique les Espagnols n'eussent pas suivi le conseil de Richelieu (7). Au mois de février 1628, les insulaires n'étaient point encore rassurés (8). On parlait toujours, à Londres, des préparatifs qui se faisaient à Morlaix, à Dieppe, et dans d'autres ports de la Manche, d'où sortaient de nombreux corsaires. A cette date, sir Philippe de Carteret, qui s'était embarqué à Portsmouth sur le navire la Diana, avec des munitions pour Jersey, fut pris par l'un de ces

(1) Calend. loc. sup. cit., p. 306. Conway, du 21 août 1627.

(2) Ibid., ibid., p. 311. (3) Ibid., ibid., p. 317.

21 août 1627.

Lettre de Ferdinando Gorges à

Lettre du 27 août de lord Conway à Coke.

(4) Ibid., p. 317.- Lettre de lord Conway au trésorier et au chancelier

de l'Échiquier, du 27 août 1627,

(5) Ibid., p. 361. Lettre de W. Towerson à Henry Mervyn, du 23 septembre 1627 et p. 381. Ordre du Conseil du 29 décembre.

(6) Ibid., p. 351. Lettre du 28 sept. 1627, sup. cit.

(7) Mém. de Richelieu, t. I,

p. 446.

(8) Hist. of Guern., by B. Tupper, p. 488.

corsaires, et conduit à Dunkerque. Il écrivit à lord Conway que les nouvelles étaient mauvaises de tous côtés, et que la flotte anglaise avait été fort maltraitée à La Rochelle (1).

Les Rochelois n'en persistaient pas moins dans leur résistance. Au commencement de 1628, ils sollicitèrent, avec de nouvelles instances, les secours de l'Angleterre, pendant qu'ils s'efforçaient, par des agents dévoués, de soulever leurs coreligionnaires des bords de la Loire et du midi (2). Ils obtinrent qu'une flotte de 60 navires, 8 ramberges et 20 vaisseaux de guerre, sans compter une foule de brûlots et de barques chargées de vivres, essaierait de pénétrer dans leur port, ou, au moins, de les ravitailler. Le comte Denbigh, qui commandait cette flotte, parut devant La Rochelle le 11 mai; après plusieurs tentatives infructueuses, il remit à la voile le 19 du même mois (3).

Les assiégés firent aussitôt partir quatre émissaires chargés de rechercher avec le gouvernement de Charles Ier quelques combinaisons propres à les tirer de leur situation à peu près désespérée. L'un de ces émissaires, nommé La Grossetière (4), arrivé le 15 juin à Londres, en repartit, le 30, porteur de belles promesses. Il débarqua sur le littoral du Cotentin. Signalé aux autorités du pays, il fut arrêté à La Haye-du-Puits (5) et conduit à St-Lo, où il fut interrogé par M. de La Thuillerie (6). Cette capture était importante. Elle révéla l'étendue et les ramifications

(4) Historical mss.-Sir Ph. de Carteret ne resta pas longtemps prisonnier. Une lettre, du 30 juin 1628, indique qu'à ce moment il était à Portsmouth et se disposait à revenir à Jersey.

(2) Mém. de Richelieu, t. I, p. 506.

(3) Ibid., ibid., p. 532.

(4) Grossetier-Béraut, d'après le Mercure françois (t. XIV, IIa part., p. 214 et suiv.); il avait été page de la chambre du roi.

(5) Mém. de Rohan, p. 388.

(6) Mém. de Math. Molė, t. I, p. 516,

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