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CHAPITRE X.

Déclaration officielle de la guerre.- Le maréchal de Broglie commandant en Basse-Normandie et en Bretagne. Les camps de Vaussieux et de Paramé. -Les canonnières garde-côtes.

Projet de descente en Angleterre.

moire de Dumouriez. - Expédition du prince de Nassau contre Jersey ; elle échoue. L'armée de M. de Vaux. Camp de St-Sauveur-leVicomte. Projet de M. de Montbarrey contre les îles. — 1778-1780.

Le roi, dans une lettre adressée à l'amiral, le 5 avril 1779, déclara que l'insulte faite, par l'escadre anglaise, à son pavillon, en s'emparant de ses frégates, La Licorne et La Pallas, le 17 juin précédent, l'ayant mis dans la nécessité d'user de représailles, le commencement des hostilités devait être fixé à ce dernier jour (1).

Dans la guerre qui éclatait, les armées de terre et de mer étant obligées de combiner leur action et de s'appuyer l'une l'autre, il importait que les troupes fussent rassemblées dans les contrées maritimes les plus voisines du pays ennemi. Le maréchal de Broglie eut le commandement et l'inspection de celles qui furent concentrées en Normandie et en Bretagne. Il se rendit à Brest, au mois d'août, et revint dans le Cotentin trois semaines environ plus tard (2). On avait décidé l'établissement de deux

(1) Anc. lois franç., t. XXVI, p. 65. Une troisième frégate, La Belle-Poule, poursuivie le même jour, par une frégate anglaise, obtint un avantage qui la rendit célèbre et la mit à la mode à la cour: les dames portèrent une coiffure à la Belle-Poule (Gazette de France, supp. du 26 juin 1778, p. 51).

(2) Le maréchal était à Brest le 10 août, date de son envoi à M. Esmangart de « l'état des troupes se rendant au camp, près Bayeux » (Arch. du Calv., sér. C, n° 1802).

camps l'un dans la plaine, entre Bayeux et Caen; et l'autre à Paramé, auprès de St-Malo.

Le premier, connu sous la dénomination de Camp-deVaussieux (1), eut peut-être pour effet de jeter quelque inquiétude en Angleterre; en dehors de cela, il ne fut qu'une parade très-couteuse, organisée sous le prétexte ridicule de comparer les deux systèmes de tactique militaire l'ordre mince et l'ordre profond (2).

Le camp de Paramé, beaucoup moins nombreux, troubla beaucoup plus la sécurité des îles. Placé sous le commandement du prince de Lusace et du marquis de Castries, il ne comprenait que dix bataillons d'infanterie, neuf escadrons de cavalerie, six compagnies d'artillerie et une demi-compagnie d'ouvriers; mais il avait un parc de quarante pièces de canon (3).

Outre ces deux camps, on avait réuni sous les ordres du̟ duc d'Harcourt, à La Hougue, à Cherbourg et à Granville, des détachements de cent hommes empruntés à chacun des treize régiments qui étaient en garnison dans les villes de la presqu'île (4).

Jersey et Guernesey ne virent pas ce déploiement de forces sans éprouver de vives alarmes. Elles avertirent la cour de Londres qu'elles se croyaient sérieusement exposées à être envahies à cause de l'ardeur que leurs corsaires mettaient dans leurs poursuites. Le bureau de la

(1) Du nom du château où le maréchal avait établi sa résidence. (2) Mém. de Dumouriez, t. I, p. 337 et suiv. - Bayeux à la fin du XVIIIe siècle, par M. Pezet, p. 23 et suiv.- Arch. du Calv., sér. C, no 1802 à 1805. Les troupes s'élevaient à trente mille hommes, et les officiers du grand et du petit état-major, sans compter ceux des régiments, à cent vingt-quatre. (3) Arch. du Calv., n° 1802.-Ordre de bataille de l'armée campée à Para▪ mé, près St-Malo ( Placard imprimé à Bayeux, chez Antoine Nicolle).

(4) Etat des troupes chargées de la garde des côtes sous le duc d'Harcourt (Arch. du Calv., no 1802).

guerre leur expédia immédiatement des renforts, et, en même temps, établit aussi des camps dans les comtés de Kent, d'Essex, de Sussex et de Dorset; fit fortifier Liverpool, et retint, dans la Manche, plusieurs vaisseaux de ligne, sur le point de partir pour l'Amérique (1).

Les îles possédèrent, au milieu de juillet, plus de mille hommes de troupes régulières, composées de neuf cents montagnards écossais et de quatre compagnies d'invalides, indépendamment de l'artillerie et de la milice. Elles se rassurèrent leurs trente-huit corsaires continuèrent leurs exploits, au grand profit des habitants, qui avaient presque tous un intérêt commercial dans cette industrie (2). On ne fut pas, dans le Cotentin, sans redouter quelque surprise de la part de ces hardis forbans. Le duc d'Harcourt informa l'intendant qu'il avait, le 10 septembre, envoyé, de Granville, cinquante hommes du Royal-infanterie protéger, contre toute entreprise des Anglais, la foire de Lessay, qui se tenait à un quart de lieue seulement de la côte respective aux îles (3). »

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La tranquillité du Cotentin fut profondément troublée par ces continuels mouvements de troupes plus ou moins bien disciplinées. Il en résulta, sans compter les dommages particuliers, un renchérissement général des subsistances, et, parfois, des difficultés locales d'approvisionnement, qui équivalaient à une disette. Une sécheresse persistante, qui durait encore au mois de septembre, avait compromis la récolte. Le blé, à cette date, augmenta de vingt sous par boisseau. Le ́subdélégué de Mortain, M. de

1) Gazette de France. Lundi 8 et 22 juin et 16 juillet 1778, p. 204 et -249.

(2) Ibid., vendredi 17 juillet 1778. p. 255.

(3) Arch. du Calv. Fonds de l'Intend. Lettre du 10 sept. 1778, datée de Thury-Harcourt. —La foire se tient le 14 sept.

La Rocque, annonçait à l'intendant « que la situation de « son élection était effrayante (1).

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La situation des autres élections, surtout dans les paroisses riveraines de la mer, n'était pas meilleure. La marine française avait, cela était constant, grâce au duc de Choiseul, fait des progrès inespérés ; d'après un document du temps, elle comptait, en 1778, soixantequatre vaisseaux de haut bord, soixante-cinq frégates et cinq corvettes (2). Mais le désordre de l'administration de M. de Sartines laissait le commerce sans protection contre les corsaires qui couvraient la Manche et l'Océan. Le grand et le petit cabotage étaient ruinés et nos ports déserts. La flotte de Brest, après une troisième sortie, venait d'être obligée de rentrer, les équipages n'ayant pas reçu leur solde depuis plusieurs mois.

Les milices garde-côtes n'empêchaient rien. L'espoir, que jadis elles inspiraient, s'était évanoui. Établies sur de trop larges bases, elles n'avaient jamais fonctionné d'une manière satisfaisante, et elles ne fonctionnaient plus. En y comprenant tous les individus de seize à soixante ans, on était arrivé à n'avoir qu'une foule sans cohésion et sans direction. En 1776, le dénombrement avait donué des chiffres hors de toute proportion avec la nature des services attendus. Les trois élections de Valognes, de Coutances et d'Avranches fournissaient à elles seules l'énorme contingent de quarante-deux mille trois cent soixante hommes ! (3)...

(4) Arch. du Calv. Même fonds. Lettre du 6 sept. 1778.

(2) Le même document attribue à la marine anglaise cent cinquante-huit vaisseaux de ligne, soixante-neuf frégates et soixante-treize corvettes (Le Gouv.'de Norm., t. II, p. 431).

(3) Arch. du Calv., sér. C, no 1847. Le contingent de la généralité s'élevait au total de soixante mille sept cent trente-cing hommes ! et nous n'avons

Depuis longtemps, du reste, nous l'avons vu (1), le gouvernement songeait à opérer, dans cette institution, une réforme radicale. Elle se fit en 1778. Le règlement du 13 décembre (2) substitua le nom de canonniers gardecôtes à celui de miliciens; supprima les capitaineries ou bataillons, et les remplaça par des compagnies de cinquante hommes, désignés par le sort et commandés par un capitaine, un lieutenant, deux sergents et quatre caporaux. Trois écoles d'artillerie furent établies à La Hougue, à Cherbourg et à Granville. Une demi-compagnie du régiment de La Fère fournit des instructeurs. A ces écoles correspondaient des divisions renfermant elles-mêmes des compagnies au nombre de quarante-quatre (3). Dans ce dernier chiffre ne figuraient pas les huit compagnies des divisions d'Avranches et de Pontorson qui, trop éloignées de la mer pour faire un service effectif, constituaient une sorte de réserve et, au besoin, remplaçaient, à Granville, la troupe régulière (4).

Ces changements furent bien accueillis par la population. Elle y trouvait un allègement aux charges qui, avec

pas besoin de rappeler que les paroisses riveraines de la mer, dans un rayon de deux lieues, étaient seules sujettes aux guet et garde.

(1) Sup., chap. vi, p. 512.

(2) Anc. lvis franç., t. XXV, p. 464. Cette nouvelle organisation des canonniers garde-côtes, supprimée en 1814 et rétablie pendant les CentJours, fut définitivement abolie, en 1815, par l'ordonnance des 14-22 août. (3) L'école de La Hougue comprenait trois divisions: St-Martin-de-Varreville, La Hougue et Barfleur; l'école de Cherbourg, quatre: Fermanville, Cherbourg, Vauville et St-Georges: -et, l'école de Granville, le même nombre La Haye-du-Puits, Montsurvent, Muneville et Granville. - Chacune de ces divisions comprenait quatre compagnies.

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(4) Arch. du Calv., sér. C, no 1802. Lettres de M. de Montbarrey au maréch. d'Harcourt et du marquis d'Héricy au duc d'Harcourt (Le Gouv, de Norm., t. I, p. 88 et 95).

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