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merce. On sait, par une fatale expérience, combien les Anglais sont acharnés à la destruction de cette place, et comment ils ont opéré un débarquement dans l'anse de St-Anne. Il serait donc nécessaire de fortifier la ville par une enceinte flanquée de bastions, de demi-lunes et d'un bon chemin couvert, et de garnir les hauteurs voisines de forts, qui exigeraient un siège et donneraient ainsi aux secours le temps d'arriver. Le devis de ces travaux monterait à 10,762,501 livres.

Cherbourg a de sept à huit mille habitants. Son industrie de tissage est prospère, et son commerce maritime tend à s'accroître. On commence à armer des navires à destination de Terre-Neuve et des îles d'Amérique.

La batterie de Querqueville doit être agrandie; une redoute est à construire dans l'anse du Marais, et le fort d'Omonville est à réparer. Dans l'anse St-Martin, il existe un bon mouillage pour les bâtiments qui se préparent à doubler le cap de La Hague: il serait utile d'y placer une batterie de quatre canons.

Sur la côte qui s'étend du cap de La Hague à Granville, les ouvrages suivants doivent être exécutés: A Jobourg, au pied de la falaise, une batterie de neuf pièces; vis-à-vis la roche de Vauville, une redoute en fer à cheval, armée de dix canons et d'un mortier; à Diélette, près du Nez de Flamanville, sur le rocher d'Irongmousse, une tour avec logements et huit canons; à Carteret et à

Regnéville, une redoute avec six canons.

Le commerce de Granville a beaucoup augmenté. La ville est trop petite et mal assise. Il y aurait avantage à bâtir sur le Roc qui appartient au roi, est loué au duc de Valentinois, moyennant 150 livres et ne sert qu'à faire pâturer des moutons. La pêche de la morue et la vente de ses produits en France, en Espagne et en Italie emploient soixante-dix bâtiments. Trente autres seront mis

incessamment à la mér. On estime à deux millions de livres l'importance de ce commerce. Le département de Granville est celui qui, de tout le royaume, fournit le plus de marins. La ville et le port sont gardés par la milice bourgeoise, formant sept compagnies de soixante hommes chacune qui sont de service à tour de rôle. Les fortifications ne consistent que dans un ancien mur flanqué de quelques tours et redans en très-mauvais état. Le port est trop petit, il faudrait l'approfondir et construire un quai, une jetée, avec une batterie de quatre pièces, et un môle sur les moulières, avec dix-huit pièces.

En face et à trois lieues en mer, sont les îles Chausey, dont les Anglais s'étaient emparés pendant la dernière guerre. Il serait à désirer qu'on y relevât le fort qui y était autrefois.

Le reste de la côte jusqu'à Pontorson ne donne lieu à aucune observation nouvelle.

D'après M. de Léglisière, comme d'après les ingénieurs qui l'avaient précédé, la contrée la plus exposée de toute la France aux tentatives d'invasion était la presqu'île du Cotentin. Il revenait donc sur l'hypothèse, déjà présentée, d'une descente des Anglais sur la côte de La Hougue, d'une occupation de Carentan et du Pont-d'Ouve, et de l'inondation de la Gorge du Cotentin, de St-Sauveur de Pierrepont aux Veys, et il arrivait à la conclusion que la clef de cette partie de la Basse-Normandie était au Pontd'Ouve, et qu'il y avait un million de livres à y dépenser en ouvrages de défense. Il discutait, enfin, la question du canal de navigation, qui isolerait complètement l'extrémité de la presqu'ile, et qu'il serait, selon lui, facile à l'ennemi de faire exécuter par les habitants eux-mêmes. Il observait, en effet, qu'il suffirait d'ouvrir, entre Pierrepont et Portbail, une tranchée longue d'environ trois quarts de lieue, pour que la mer se précipitât dans les

prairies où coule la rivière d'Ouve: la marée, sur la

côte de Granville, montant à quarante-quatre pieds, tandis qu'elle ne monte qu'à dix-huit ou vingt pieds sur la côte de La Hougue. L'auteur affirmait, et c'était le dernier mot de son mémoire, que si les Anglais réussissaient une fois à se retrancher ainsi, ils pourraient résister à une armée considérable, et que Cherbourg serait perdu.

M. de Léglisière, en évoquant cette menace de l'avenir, pensait aux éventualités qui pouvaient naître d'un armement qui se faisait à Brest au moment même où il présentait son mémoire. Le duc d'Aiguillon avait eu l'apparente velléité de venger la Pologne en défendant la Suède contre la Russie; mais, sur l'avis officieux de l'ambassadeur d'Angleterre qu'une flotte se réunissait à Portsmouth et assisterait les Russes, les préparatifs furent docilement contremandés. Le péril s'éloignait encore une fois de la presqu'île.

Une ordonnance du 19 octobre 1773 prescrivit néanmoins une levée de la milice, et, dans des conditions tellement arbitraires qu'elle jeta l'épouvante dans le Cotentin. Le subdélégué de Carentan informa l'intendant que les ouvriers se retiraient de la ville, et qu'il y restait à peine six ou sept garçons sujets au tirage au sort (1). De Coutances, M. de Mombrière déclara que le contingent de son élection ne serait pas fourni, à cause de l'émigration considérable que la cherté des subsistances avait amenée, surtout du côté de Gavray, où le sol était peu fertile (2). Les habitants de Cherbourg et de Granville, enfin, protestèrent contre l'obligation qu'on voulait leur imposer, au mépris

(1) Arch., sér. C, no 1872. Lettre de M. Lavalley de La Hogue à M. de Fontette, du 16 fév. 1774.

(2) Ibid., sér. C, no 1874. Lettre du 13 fév. 1774.

des privilèges dont ils jouissaient depuis si longtemps (1). Le seul bon résultat produit par l'ordonnance fut de rendre les mariages plus fréquents qu'on ne les avait jamais vus: malheureusement, ce ne fut pas entre les riches (2).

Le duc d'Aiguillon vit qu'il avait dépassé le but, et que la prudence commandait de ménager la classe sur laquelle reposait la sécurité du littoral. I chargea le duc de Richelieu de rechercher les modifications qu'il lui semblerait utile d'apporter à l'institution des garde-côtes, en conciliant, autant que possible, les intérêts de l'agriculture et du commerce avec les nécessités de la défense du pays (3). Le ministre n'eut pas le temps de réaliser ses projets. Le roi, atteint de la petite vérole, mourut le 10 mai 1774.

(1) Arch., sér. C, n° 1880. Correspondance du mois de février.

(2) Ibid., ibid., nos 1880 et 1883. Lettres des 46 et 23 fév. 1774.

(3) Ibid., ibid, no 1820, Cette pièce a été reproduite dans Le Gouv. de Norm., t. I, p. 141.

CHAPITRE IX.

Louis XVI. -- Changements dans le gouvernement. — Rappel du parlement de Normandie. Turgot, contrôleur général. Troubles à l'occasion du commerce des grains. Retraite de M. de Fontette. - M. Esmangart lui succède. Disgrace de Turgot. L'impôt sur les salines du Cotentin. - Les assemblées de protestants. La déclaration d'indépendance des États-Unis d'Amérique. — Dumouriez commandant à Cherbourg. – Mémoires de Dumouriez, de La Briche et de La Bretonnière, etc., sur les iles. 1774-1778.

Après le règne qu'elle subissait depuis près de soixante ans, la France était impatiente de changements. Le nouveau roi s'empressa de la satisfaire. I renvoya le duc d'Aiguillon, M. de Monpeou et l'abbé Terray. Il rappela, de son exil de vingt-cinq ans, le comte de Maurepas, le disgracié de Mme de Pompadour, et accepta, comme contrôleur général, l'intendant Turgot, dont le nom seul eût été un programme de réformes utiles, si le nom de Maurepas n'en eût été la négation.

Le premier acte de M. de Maurepas fut le rappel des parlements. Le parlement de Normandie fut rétabli par un édit du mois d'octobre 1774. L'opinion publique nourrissait de telles préventions contre les conseils supérieurs qu'il eût été impossible de les maintenir. Le conseil de Bayeux, d'après le Journal d'Étienne Desloges, « étoit « en horreur au peuple (1). » Il fut donc dissous avec les autres, aux applaudissements de la ville même où il siégeait, qui fêta sa disgrâce par une indécente masca

(1) Journal, (o 410 verso.

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