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Cette situation déplorable n'encourageait que trop les mécontents, qui n'avaient pas encore éprouvé, mais qui redoutaient d'instinct l'autorité grandissante du premier ministre. On cabalait partout. « Partout des brasiers « étoient préparés (1). » On conspirait en Bretagne. Le duc de Vendôme et son frère, le grand prieur, s'y fortifiaient et pressaient le duc d'Orléans de s'unir à eux. L'ancien lieutenant général de Normandie, le maréchal d'Ornano, était prisonnier à Vincennes. « Il y avoit dessein. «formé de partager le royaume (2). » Le malheureux Chalais déclarait, dans ses interrogatoires, que la Normandie devait fournir la cavalerie, et que des vaisseaux anglais étaient prêts, lui avait-on dit, à descendre sur le littoral, pendant que d'autres se rendraient à La Rochelle (3).

Un nouvel édit de pacification avait, cependant, été accordé aux protestants, le 6 février 1626. Il rappelait les dispositions de l'édit de Nantes. Il avait produit peu d'effet. Rohan et Soubise n'attendaient que l'occasion de reprendre les armes. Le duc de Vendôme les y excitait; et l'Angleterre, n'ayant d'autre désir que de rejeter la France dans la guerre civile, n'était pas éloignée de leur prêter son assistance (4).

L'Angleterre n'avait rien perdu de sa défiance haineuse contre le papisme. Le mariage de Charles le avec Henriette de France l'avait profondément irritée. Les extravagances de l'indigne favori, Buckingham, avaient achevé de tout compromettre. Le commerce avait été, comme

(1) Mém, de Richelieu (amuée 1626), p. 375. Mém. de M. Molé, t. Ier, p. 372, etc.

(2) Lettre de Mathieu Molé au chancelier, du mois d'août 1626 (ap. Mém., t. 1, p. 385).

(3) Mém. de Richelieu (4626), p. 403.

(4) Ibid., p. 379.

toujours, le premier à en souffrir. Les corsaires anglais s'étant emparés de trois navires normands, sous le prétexte qu'ils portaient des marchandises espagnoles, le parlement de Rouen avait, par un arrêt du 28 avril, ordonné la saisie de tous les vaisseaux anglais amarrés dans les ports de la province (1). On n'avait pas attendu longtemps les réprésailles. Buckingham fit, par des croiseurs, intercepter tout commerce entre St-Malo et les côtes de Normandie et de Flandre (2), et, par une proclamation du 10 juillet 1626, défendre aux habitants, voisins de la mer, de s'éloigner de leurs maisons, afin d'être prêts à repousser l'invasion dont ils étaient menacés (3). La piraterie redoubla d'audace et jeta l'épouvante sur toute la Manche (4).

Richelieu, dans l'assemblée de notables qu'il avait réunis à Paris, le 3 décembre, déclara qu'en présence de ces agressions, il y allait du salut du royaume de restaurer la marine, « non tant pour remettre en France la marine «en sa première dignité, que, par la marine, la France « en son ancienne splendeur (5) », et que le roi devait avoir en mer quarante-cinq vaisseaux armés, dont l'entretien ne coûterait pas plus, annuellement, que les cinquante voiles empruntées, pendant six mois, aux marines particulières (6). Quant aux huguenots, il estimait qu'il

(4) Mém. de Richelieu (1626), p. 443.

(2) Calend. of st. pap., Ch. Ier, t. III, p. 504 et 505.

(3) Rymer, t. VIII, II p., p. 71.

(4) Recueil de pièces, sup. cit., p. 497.

Requête des marchands anglais au parlement de Rouen pour obtenir main-levée de saisies.- Mém. de Rich., p. 410.

(5) Mém. de Richelieu, p. 437 et suiv.

(6) Ce vœu fut réalisé, au mois de janvier 1629, par la lengue ordonnance connue sous le nom de Code Michaud, art. 430 à 461 (Anc. lois franç., t. XVI, p. 319).

convenait de maintenir la paix avec eux, « jusqu'à ce qu'on « allât les réformer avec 30,000 hommes (1)... » Et, comme pour mieux marquer le rôle qu'il entenda se réserver dans cette œuvre, il supprima la charge d'amiral, en l'achetant 1,200,000 livres au duc de Montmorency, et se nomma lui-même grand maître et surintendant général de la navigation et du commerce (2).

Buckingham, après l'échec de sa seconde ambassade, ne garda plus de mesure. I envoya lord Montagut annoncer à Rohan que l'Angleterre allait équiper trois flottes, montées par 30,000 hommes, et qu'elles iraient l'une à l'île de Ré, l'autre, dans la rivière de Bordeaux, et, la troisième, en Normandie (3).

Vers la fin de juillet, Buckingham parut devant La Rochelle avec 10,000 hommes et un équipage considérable de canons, de munitions et d'engins de guerre de toutes sortes. Le cardinal quitta Paris, le 23 septembre, résolu à diriger en personne l'entreprise dont il regardait le succès comme le point de départ des vastes desseins que son génie avait conçus. Il voulait étouffer à tout jamais la faction bien plus politique que religieuse qui, en état constant de rébellion et en accord secret avec une noblesse séditieuse, frappait le gouvernement d'impuissance à l'intérieur et à l'extérieur.

Nous n'avons pas à raconter ici ce long et dramatique

(1) Mém. de Richelieu, loc. sup. cit.

(4) Lettres d'octobre 1626, enregistrées le 13 mars 1627. Mém. de M. Molé, t. I, p. 419. Ce fut Richelieu qui, entre autres mesures, obligea les capitaines à arborer leur pavillon et leurs enseignes, à donner les noms de leurs hommes, et à tenir un livre de bord, dont ils remettaient, à leur retour, un extrait à l'amirauté (Calend., t. V, p. 165, Charl. Jer). Voy. dans le Mercure françois de 1633, p. 5, le pompeux éloge de Richelieu, à propos de sa nomination.

(5) Mém. de Rohan, p. 301.

épisode du siège de La Rochelle qui, pendant quatorze mois, coûta tant de travaux gigantesques, tant de persistance héroïque dans l'attaque et dans la défense, tant d'argent et tant d'hommes. La Basse-Normandie, à cause de sa situation particulière, en ressentit, plus que les autres provinces, un certain ébranlement. Les huguenots y avaient des partisans, et l'Angleterre en était proche.

Au mois de juin 1627, c'est-à-dire à l'époque de la première expédition de Buckingham, il existait une conspiration entre plusieurs gentilshommes protestants du Cotentin, dont le but était de livrer aux Anglais quelques points fortifiés de la côte. Leur chef était de PiennesBricqueville, auquel appartenaient les châteaux d'Isigny et de Regnéville (1): le premier, situé à l'embouchure de la Vire, et, le second, commandant l'entrée du petit havre formé par la Soule, à une faible distance de Coutances.

Les principaux affidés étaient le sieur de Tracy et le sieur de La Forest, gendre de Montgommery. M. de Matignon fut informé de leurs projets par un individu qui leur servait d'intermédiaire et recevait la correspondance qu'ils échangeaient avec leurs complices d'outre-mer. Deux grands vaisseaux anglais devaient aborder près des Veys et mettre à terre des soldats, qui occuperaient « un «< château ou grosse tour dans la mer », et seraient ainsi maîtres de la rivière de Vire. On espérait ensuite recruter parmi les protestants des villes voisines: Caen, Falaise et autres, une armée qui s'élèverait bientôt à quinze mille. hommes, à l'aide de laquelle, en marchant vers Paris, on opérerait une puissante diversion en faveur de La Rochelle (2).

(1) Les anciens châteaux, etc., vol. de 1825, p. 276. (2) Les guerres de relig, dans la Manche, p. 234.

t. XIV, p. 214 et 212.

Le Mercure françois,

Malignon, ainsi mis au courant, se rendit à Coutances, et, sur l'ordre du roi, fit immédiatement mettre sur pied sa compagnie de cent hommes et les régiments de son fils, le baron de Gacé, et de son neveu, M. de Croisy (1). Il convoqua, en même temps, les commissaires des étapes nommés par les derniers États provinciaux, et leur demanda de voter une levée de deniers, en remplacement des fournitures en nature auxquelles les contribuables. auraient été tenus (2).

Le sieur Nicolas Chastel, seigneur de St-Pierre-Église, ancien colonel, fut chargé, par commission du roi, de surveiller le littoral du Val-de-Saire (3). Le baron de La Luthumière, gouverneur de Cherbourg, hâta les réparations qui se faisaient au château et au port (4), et leva une compagnie de cent hommes. Le sieur Antoine de Saint-Simon, baron de Courtomer, en leva une autre de pareil nombre, et le sieur de Sicqueville, capitaine et gouverneur, fit travailler aux fortifications et au château de Vire (5).

(1) M. de Croisy, de la famille d'Harcourt, était gouverneur de Falaise (Arch. du Calv., Reg. du bureau, etc., année 1628, f 46 verso).

(2) Cah. des États sous L. XIII, t. II, p. 323. Lettre de Matignon datée de Coutances, le 29 juin 1627, adressée au sieur Vercingétorix Poërier, sieur de Taillepied, commissaire pour l'élection de Valogues. D'après la mention du registre du bureau des finances de 1628 (fo 118, à la date du 18 août), la levée totale ordonnée par les commissaires des étapes fut de 121,684 livres. On remettait à chaque capitaine la somme qui lui était attribuée.

(3) Les guerres de relig, dans la Manche, p. 230.

(4) Reg. du Bur., 1628, fo 28. Hist. milit. des Bocains, p. 402.

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(5) Les habitants d'Aulnay et de Beauquay, ayant été requis par le capitaine d'envoyer, pour ces travaux, 25 hommes de corvée, réclamèrent auprès du bureau des finances et soutinrent que, «resséants et sujets du bailli haut justicier de Condé-sur-Noireau, sous le bailliage du Costentin, et rendant leurs aveux au baron d'Aulnay, leur seigneur, ils n'étaient tenus à aucun

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