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commissaires, elle était mal armée et n'avait aucune instruction militaire. Il résultait de tout cela que les îles étaient loin d'être à l'abri d'une invasion, et qu'il était urgent de réorganiser une troupe qui, bien exercée, bien armée et bien commandée, défendrait facilement, contre deux ou trois mille ennemis, le pays déjà défendu par la disposition des champs, entrecoupés de banquettes ou de fossés, et de chemins étroits et à peu près impraticables (1).

Quant aux deux forteresses de Jersey, elles présentaient des inconvénients et des avantages que signalait le rapport. Le château Élisabeth offrait aux habitants de StHélier, en cas d'attaque, une retraite où ils pourraient attendre l'arrivée d'un secours d'Angleterre ; mais il serait nécessaire, pour parer à tout danger, de comprendre dans les fortifications l'îlot entier, sur lequel l'ancienne abbaye avait été construite. La colline qui domine la ville devrait aussi être fortifiée et occupée par une force suffisante (2). Le château de Montorgueil, quoique susceptible de protéger la partie orientale de l'île, était dominé par des hauteurs sur lesquelles l'ennemi pourrait établir des canons qui rendraient la résistance impossible.

Après s'être ainsi occupés de la situation militaire, les commissaires portèrent leur attention sur les difficultés qui s'étaient élevées entre les autorités civiles; ils s'efforcèrent de renfermer, dans leurs limites respectives, les attributions du gouverneur et du bailli.

La prospérité des îles laissait beaucoup à désirer. L'agriculture y était en décadence; on en attribuait la cause

(1) Constit. hist., p. 235. Acte du 20 août 1691, cité par M. Le Quesne. Les chemins ne furent remis en bon état que sous l'administration du gouverneur, le général Don, de 1803 à 1814.

(2) C'est la colline sur laquelle s'élève aujourd'hui le fort Régent.

principale à une industrie qui occupait la majeure partie de la population, et qui constituait l'article d'exportation le plus important avec le Cotentin et la Bretagne (1). Il s'agissait de la confection des bas tricotés. On prétendait que le gain produit par ce travail facile, qu'on apprenait dans les écoles, détournait les hommes eux-mêmes du labourage, et leur donnait des habitudes d'indolence et de paresse. A cette cause, on en joignait une seconde. Le nombre des navires à voiles et pontés était, à Jersey, d'environ quarante, sans compter une quantité d'embarcations plus petites. Or, ce nombre dépassait de moitié celui que les nécessités du commerce exigeaient. Il arrivait alors que les patrons et capitaines, cherchant l'emploi de leurs bâtiments, rapportaient, des marchés du dehors, des denrées et objets de toutes sortes, qu'ils vendaient à un prix inférieur à celui que les agriculteurs étaient obligés de demander; ou bien trafiquaient, à leur grand profit, avec la Normandie et la Bretagne, grâce aux troubles qui régnaient en France, et, surtout, au traité de commerce qui avait été conclu avec ce dernier pays en 1606 (2). Les jeunes gens étaient ainsi encouragés à se faire marins et à délaisser le labourage (3).

Au XVII siècle, on admettait difficilement qu'il y eût une autre source de richesse et de bien-être que la culture du sol. Les États de Jersey, partageant cette idée économique, s'efforcèrent d'apporter des entraves à l'industrie

(1) Lorsque, en 1627, la paix fut rompue avec la France, l'importation des bas fut prohibée. Les habitants de Guernesey adressèrent au conseil une pétition dans laquelle ils déclaraient que cette mesure entraînait leur ruine, la confection des bas étant leur unique ressource. (Ext. de J. D. W. Utermarck, communiqué par M. Mac Culloch. Voy. aussi Hist of Guern., par B. Tupper, p. 387, 2e édit.)

(2) Rymer, t. VII, 2o partie, p. 150 et suiv. (Voy. sup., t. III, p. 671.) (3) An account, elc., p. 100 et notes de Durell, n° 78 et 114.

son lieutenant, sir Amice de Carteret. Il revint en Angleterre, en 1616, avec l'intention de visiter Guernesey, et, dans une lettre qu'il écrivit à cette époque (17 avril), il annonçait qu'il s'occuperait d'envoyer au château Cornet tout ce qui serait nécessaire en munitions et en provisions (1). Mais l'année suivante, il était déjà retourné audelà des Alpes, et mandait à son lieutenant, au mois d'avril 1617 (2), qu'il était heureux d'apprendre que l'île jouissait de la paix, alors que ses voisins de France. étaient en combustion », et qu'il était très-important de surveiller avec attention ce qui se passait de ce côté. Il ajoutait qu'il déplorait l'état de discorde dans lequel la rivalité de John Peyton et du bailli Hérault avait jeté Jersey; qu'en ce qui le concernait, il ne pouvait rien dire de la question religieuse plus que n'en savait son correspondant, jusqu'au retour du roi qui, sans doute, ferait connaître sa volonté ; —qu'au surplus, il avait engagé Sa Majesté à recevoir gratuitement, dans l'un de ses collèges, quelques enfants de l'île, qui seraient instruits en conformité de ses désirs; - ce à quoi Sa Majesté avait gracieusement consenti.

Le 13 février 1620, lord Carew n'avait pas encore quitté la Savoie; car, dans une lettre adressée aux membres de la cour, il leur recommandait de prescrire toutes les mesures de défense que les événements du continent comportaient (3). Cette même année, il résigna ses fonctions de gouverneur. Son successeur fut Henry, lord Danvers, comte de Danby, qui prit comme lieutenant sir Peter

(2) Lettre datée de Greenwich du 17 avril 1616. (Ap. Brock Tupper, p. 184.) (3) Lettre datée de Savoie le 9 ou le 17 avril 1617 et reçue à Guernesey, le 6 mai. (Ap. Guille's mss. et Brock Tupper, p. 184.)

(1) Cette lettre en français, partie le 13 février de la Savoie, était parvenue le 22 mars à Guernesey. (Guille's mss. Communication de M. Mac Culloch.)

Osborne, son beau-frère (1), auquel il fit obtenir, en 1621, la survivance de son office. Sir Peter Osborne fixa sa résidence au château Cornet. Il lui était réservé de remplir, dans l'histoire des îles, un rôle d'une grande importance. Les dernières années du règne de Jacques ne furent pas exemptes de vicissitudes et de tracasseries. Le pauvre roi, infatué des idées d'absolutisme empruntées à ses prédécesseurs, les Tudors, n'avait ni l'énergie, ni la rectitude de jugement, ni l'autorité qui lui en auraient rendu l'application possible. Dominé par son insolent favori, le duc de Buckingham, il ne comprit pas que les temps étaient changés, et qu'il fallait, désormais, compter avec une puissance nouvelle, avec le parlement qui devenait le représentant et l'interprète des passions et des préjugés de la nation. La haine des masses contre le catholicisme était dans toute sa force; Jacques sembla la braver en persistant à choisir la femme de son fils dans une famille royale catholique. Ce projet, avant même d'être réalisé, l'entraîna dans la guerre continentale, contrairement à ses sentiments pacifiques les plus persistants. Mais il n'était plus là lorsque survint la tourmente. Il mourut le 27 mars 1625. Il léguait: à son fils, la lourde tâche sous laquelle l'infortuné Charles Ier succomba; - et à son royaume, les ferments d'une révolution qui n'épargna même pas les îles normandes, protégées, jusque-là, contre ces tristes catastrophes par leur origine particulière, leur esprit d'indépendance et leurs vieilles institutions.

(1) Warburton, p. 32. Brock Tupper, p. 217. Lord Carew mourut en 1630. Calend. of st. pap. Ch. Ier, t. IV, p. 387.)

CHAPITRE IV.

État du Cotentin au début de l'administration de Richelieu.
Richelieu se propose de restaurer la marine.

en Bretagne.
protestants du Cotentin.
La Rochelle.

- Il est découvert par Matignon. Arrestation et exécution de La Grossetière,

Hcylio, Paix de juin 1629. — Charles Ier et le parlement.

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1625-1630.

Richelieu, depuis son avènement au pouvoir, rencontrait à ses projets des obstacles qu'il ne pouvait écarter qu'à l'aide du temps et à force d'énergie. C'étaient dans les provinces, la misère du peuple, l'esprit d'opposition de la noblesse et la conspiration permanente des protestants; et, au dehors, l'hostilité déclarée de l'Espagne et la sympathie plus ou moins apparente que l'Angleterre conservait toujours à ses coreligionnaires de France.

Les doléances que les États de Normandie adressaient, chaque année, au gouvernement, étaient justifiées par les nombreuses demandes en décharge d'impôts que le bureau. des finances recevait, à Caen, de toutes les parties de la généralité. En 1626, 1627 et 1628, comme antérieurement, les maladies contagieuses avaient continué de ravager le Cotentin. A St-Georges-d'Elle, à Tinchebray, à St-Lo, à Cherbourg, dans plusieurs paroisses de l'élection de Valognes, la population était décimée. A Coutances, la peste avait enlevé le quart des principaux contribuables aux tailles; il y avait plus de douze cents pauvres qu'il fallait nourrir, etc. (1).

(1) Reg. du bureau, 1625, fs 136, 143 et pass.; 1626 pass. et notamment fo 7, 12 et 31, et 1633, fo 70, à la date du 27 avril.

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