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riterait plus d'attention. Il faudrait avoir des troupes à portée. L'anse de St-Martin serait à surveiller; sa situation inspirerait peut-être aux Anglais l'idée d'isoler l'extrémité de La Hague, mais au prix de quels travaux et dans quel pays! (1).....

Au point de vue du commerce, Granville était certainement le point le plus important et le plus digne d'attention. Le Mont-St-Michel se défendait de lui-même, et trente invalides, avec quelques canonniers et les habitants, suffiraient à le garantir de tout danger. En résumé, l'intendant émettait l'avis de cantonner les quatre bataillons conservés à Valognes, Coutances, St-Lo et Caen; d'échelonner un régiment de dragons et un régiment de cavalerie depuis la Dives jusqu'à Pontorson; et, enfin, d'armer deux corvettes qui croiseraient du Havre à Cherbourg et à St-Malo.

M. de Crémilles (2), dans sa réponse, datée de Versailles le 21 juin, tout en comprenant les sentiments de « bon « père de famille » qui animaient M. de Fontette, lui déclara qu'il ne partageait pas ses idées, et qu'il doutait beaucoup que le maréchal en fût touché. L'issue de la guerre continentale ferait, en cette matière, plus que tout le reste. Le maréchal avait eu des projets dans lesquels il serait, il est vrai, difficile de persévérer aujourd'hui; mais il y aurait, en tout cas, une grande imprudence à laisser Cherbourg et Granville exposés à des invasions subites.

L'intendant ne se tint pas pour battu. Il était sous l'impression des événements arrivés, au mois de juin, dans

(1) Les souvenirs de M. de Fontette le reportaient, sans doute, au HagueDick des anciens Normands.

(2) Lieutenant général, adjoint au ministre de la guerre. (Mėm, secr, de Duclos, t. II, p. 156.)

plusieurs localités de sa généralité. La cherté du pain y avait causé des émeutes sérieuses. A Caen, la halle aux grains fut pillée par le peuple. La garnison, trop faible, ne put remettre l'ordre dans la ville; il fallut appeler de l'extérieur un bataillon de renfort (1). Une grande agitation régnait aussi dans le Cotentin. On y répandait le bruit que l'Angleterre, n'expédiant plus de grains à Jersey et à Guernesey, c'était des ports du littoral que ces îles, repaire des plus hardis pirates, tiraient leur subsistance. Le duc d'Harcourt avait défendu ces embarquements; mais il lui était impossible d'empêcher la contrebande; la présence de troupes nombreuses dans la presqu'île ne ferait qu'y aggraver le mal et l'exposer à une disette terrible (2). M. de Fontette, en invoquant ces récents souvenirs, rappelait, en outre, l'exemple du siège de Lorient, en 1746, « où il étoit présent », et où les milices bretonnes avaient combattu courageusement et forcé l'ennemi à la retraite. I demandait donc s'il n'y aurait pas lieu, au moins, de ne garder les neuf bataillons que pendant les cinq mois d'été; et, en hiver, de se contenter des milices (3). Si l'intérêt que M. de Fontette portait à ses administrés était digne d'éloges, il ne s'accordait guère avec les exigences de la situation. Le danger était toujours menaçant et la milice bien incapable de le conjurer.

Vers le milieu du mois d'août, un courrier du duc d'Harcourt apporta, au comte de Raymond, une dépêche du maréchal de Belle-Isle; elle lui annonçait que les Anglais préparaient un armement de quinze mille hommes

(1) Lettre de M. de Fontette au duc d'Harcourt dn 24 juin 1757 (Le Gouv. de Norm., t. IV, p. 435.)

(2) Lettres du duc d'Harcourt à M. de Machault et à M. de Brou des 24 et 26 janvier 1757. (Le Gouv. de Norm., t. IV, p. 432 et suiv.)

(1) Mémoire du 13 juillet 1757. ( Arch., même liasse.)

destiné à agir, on le supposait, depuis Ostende jusqu'à StMalo; il lui recommandait la plus active surveillance (1). Depuis deux mois, William Pitt était rentré au ministère << par la volonté du peuple anglais ! ».....

Le comte de Raymond résolut d'établir un camp près de Valognes. Au préalable, il fit cantonner quelques détachements dans les environs le régiment de Guyenne à Montebourg; l'état-major et un escadron de Languedoc, à Yvetot, et, une compagnie de Royal-Vaisseaux, à Flamanville (2). Le subdélégué voyait, comme son chef, avec un certain déplaisir, ces rassemblements militaires dans le voisinage de sa résidence; il dut s'incliner devant les ordres du duc d'Harcourt (3).

Le camp de Valognes fut assis à un quart de lieue de la ville, et occupé par cinq bataillons d'infanterie et un régiment de dragons. Les forts de La Hougue et de Tatihou. reçurent des approvisionnements. Les camps de Granville et de Cherbourg furent maintenus. On était au milieu de septembre, et l'on espérait qu'à la fin du mois suivant, le pays serait délivré d'une partie de ces charges (4).

Les nouvelles venues d'Angleterre confirmaient les craintes que l'on éprouvait à propos de la campagne prochaine. La flotte de quatre-vingt-dix voiles, qui avait échoué dans son attaque contre l'île d'Aix (oct. 1757), n'ayant emporté que pour trois mois de vivres,

(1) Lettre du subdélégué de Valognes, M. Deslandes Le Fèvre, à M. de Fontette, du 44 août 1757 (Arch., même liasse).

(2) Lettres des 15, 17 et 20 août du subdélégué de Valognes à l'intendant. (Arch., même liasse.)

(3) Lettres des 3 et 4 sept. 1757. (Arch.)

(4) Lettre de M. de Paulmy, neveu et successeur de M. d'Argenson au ministère de la guerre, du 12 sept. · Ordre du duc d'Harcourt du 3 sept. (Arch., n° 1795.)

était rentrée à Portsmouth, et avait employé l'hiver à se réorganiser (1).

:

Au mois de mai 1758, les milices furent distribuées dans des camps d'instruction à La Houle près Granville; à Omonville-la-Foliot près Portbail (2); au Mont-Epinguet, dans la Forêt de Brix; à Carentan et près de Valognes (3). Il était temps. Le 2 juin, le duc d'Harcourt prévenait M. de Fontette que les escadres anglaises allaient sortir de Portsmouth, et qu'il envoyait, d'urgence, sept cents hommes à La Hougue, mille à Tatihou et autant à Granville. Les routes d'étapes passeraient par Troarn, Argences, Caen, Bayeux et St-Lo (4).

Une flotte de cent soixante voiles sortit, en effet, de Portsmouth, sous les amiraux Howe et Anson. Elle se divisa trente-huit vaisseaux s'en détachèrent, et devaient bloquer Brest et Rochefort; cent-quinze restèrent dans la Manche; les autres, sous le commodore Moore, firent voile pour les Antilles (5). Le 2 juin, on vit passer cet immense convoi au large de Cherbourg, doubler le cap de La Hague et prendre la direction de St-Malo. Le 5, eut lieu à la pointe de Paramé, le débarquement de quinze bataillons d'infanterie, de quatre cent quatre-vingts dragons et d'un corps de trois cents volontaires de la noblesse et de l'artillerie. Les Anglais croyaient n'avoir devant eux qu'une faible enceinte, et ils étaient en face de hautes murailles hérissées de canons. Ils se retirèrent, après six jours de

(1) Lettres des 6 et 11 oct. du prince de Croy au duc d'Harcourt, son oncle. (Le gouv. de Norm., t. I, p. 171.)

(2) Ordonnance de paiement du 30 sept. 1759. (Arch., no 1833.)

(3) Revue des milices aux camps de La Houle, etc. (Arch., E. 1794.) Il y eut aussi des camps dans les environs de Caen : à Argences, à Ifs et à Banville. (Arch., no 1833.)

(4) Lettre datée du Havre. (Le Gouv. de Norm., t. I, p. 174.)

(5) Extrait des nouvelles de Londres. (Le Gouv. de Norm., t. I, p. 183).

siège, à l'approche des troupes assemblées autour de Pontorson, et qui marchèrent rapidement au secours de la ville (1). Il y eut, dans les populations de la contrée, un de ces élans de patriotisme qui devenaient rares. Les habitants de Ducey, ayant à leur tête leur curé et son vicaire, se signalèrent entre tous; le roi leur fit exprimer sa satisfaction (2). L'ennemi, avant de partir, brûla, dans le port de St-Servan, quatre-vingt-cinq navires, la corderie et tous les bois de construction. L'église de Cancale subit le même sort (3). Le conseil de l'amirauté, en apprenant l'échec de St-Malo, envoya par un cutter l'ordre d'attaquer Granville; mais un rapport des ingénieurs, chargés de reconnaître la place, fit renoncer à ce dessein, dont le mauvais temps eût rendu, au surplus, l'exécution difficile (4).

Le mois de juin se passa dans de continuelles alarmes. La flotte anglaise promena son pavillon de l'extrémité de la presqu'île jusqu'à la Seine. Elle parut devant La Délivrande, dans le but, on le supposa, de tenter une surprise sur Caen. Le vent ne lui permit pas de débarquer (5). Le 24, vingt-six vaisseaux croisèrent de nouveau devant Barfleur, Fermanville et la pointe de La Hague. Le 29, ils étaient près de l'île Pelée, et opéraient des sondages dans la grande rade. Le fort du Galet leur envoya quelques boulets sans les atteindre. Pendant la nuit, il arriva du MontEpinguet trois mille huit cents. gardes-côte et un escadron des Dragons-Languedoc, qui campèrent dans les Mielles.

(1) Arch. du Calv., no 1799.

(2) Lettre de M. de Saint-Florentin à M. de Fontette, du 15 juillet 1758. (Arch. du Calv., nos 1795 et 1053.)

(3) Hist. de Cherb., par V. La Houge, p. 137.

(4) Nouvelles de Londres (sup. cit. ). — Hist. d'Anglet., par Smolett, t. IX, p. 286.

(5; Journ. de Desloges, ms., f 100.

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