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année, les Anglais se montrèrent devant La Hougue, mais sans tenter aucune descente (1).

Quelque téméraire que dut paraître un tel projet, dans l'état d'affaiblissement où notre marine était tombée, ce fut à cette époque qu'il vint à l'idée d'un marquis de Crénay, maréchal des camps et armées du roi (2), de proposer une expédition contre les îles. Il adressa, en 1748, à M. d'Argenson, un mémoire qui rappelle, par quelques détails, celui que M. de Caux avait rédigé en 1732.

D'après l'auteur, Granville était le seul port où les préparatifs de l'entreprise pussent se faire: la traversée sur Jersey n'étant que de trois heures par un temps favorable. La population de cette île s'élevait à environ huit mille habitants « y compris les naturels du pays, les réfu << giés françois, les religionnaires et les malfacteurs (3). » St-Hélier n'était qu'un gros bourg non muré et où il y avait justice et marché tous les samedis. La ville et le port, appelé le Havre-neuf, étaient défendus par le château armé de quatre-vingts pièces de canon de vingt-quatre

(1) Lettre du 13 janv. 1748 du même (Arch. Calv. Cahier renfermant une collection de lettres).

(2) La résidence habituelle du marquis était au château de Montaigu, près Villedieu, mais il habitait Caen au moment où il rédigea son mémoire, ainsi que cela résulte d'un certain nombre de copies de lettres réunies dans un cahier in-fo qui fait lui-même partie de la liasse classée dans l'Inventaire som., sous le no 2459 de la sér. C, et qui porte cet ancien titre: Garde-côtes et iles angloises. Le marquis, entré au service militaire en 1702, comme page de la petite écurie, vivait encore à Montaigu en 1769. Son fils aîné, M. de Montaigu, habitait le château de Notre-Dame-de-Cresnay, près Sourdeval. Les affaires personnelles de l'auteur du mémoire, qui paraît avoir été « un homme ■ à projets, étaient loin d'être prospères. Nous devons ces renseignements aux communications de M. Eug. Châtel, ancien archiviste, dont nous sommes heureux de reconnaître ici la gracieuse obligeance.

(3) Cette évaluation est erronée; d'après un document de même date, la population de Jersey devait être de quinze à seize mille habitants.

et de trente-six, la plupart en fonte, et occupé par cinq compagnies d'invalides anglais. La grande rade pouvait recevoir des vaisseaux de cinquante à soixante canons. Au fond, était un petit port protégé par la tour de StAubin et une compagnie d'invalides. Entre les pointes de Noirmont et des Pas, aux deux extrémités de cette rade, une redoute munie de seize canons avait été élevée depuis peu de temps.

Au-delà de Noirmont était le petit havre de St-Brelade; puis, venaient la baie de St-Ouen et le havre de la Crevasse, avec une batterie de quatorze pièces; le havre de Bonne-Nuit et quatre canons; la baie de Ste-Catherine commandée par le château de Montorgueil ou Vieux-Chateau, muni de cinquante pièces de canon et d'une compagnie d'invalides; une longue grève au milieu de laquelle une redoute; la pointe de La Roque ou de St-Clément, défendue par une ceinture de rochers qui s'avancent à deux lieues en mer; et, enfin, le petit havre des Pas, où il y avait une batterie de six canons. Chaque paroisse de l'île fournissait cinquante hommes garde-côtes. Le commerce principal était alimenté par la pêche de la morue à Terre-Neuve et l'importation du tabac en feuilles de la Virginie; mais les insulaires faisaient, en outre, le trafic de toutes les marchandises prohibées en France, qu'ils allaient chercher en Angleterre et acheter de la Compagnie des Indes, et qu'ils introduisaient en grande quantité en Normandie et en Bretagne.

Guernesey, à dix-neuf lieues de Granville et à dix de Carteret, avait cinq forteresses ou châteaux et une population de cinq ou six mille habitants (1) « de toutes espèces «< comme a Jersey, avec cette différence qu'il y a beau

(1) Même observation que pour Jersey. A cette époque, la population de l'ile était de onze mille ames (Hist. of Guern,, par B. Tupper, p. 400, 2° édit.).

« coup plus d'honnêtes gens et de plus gros négo<< ciants. >>

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La ville de St-Pierre était petite et mal bâtie. Vis-à-vis était le port fermé par deux jetées. Le château Cornet, entouré par la mer, était armé de cent pièces de gros canon et occupé par sept compagnies d'invalides. -Le château de St-Samson avait trente pièces et une compagnie d'invalides. Les trois autres châteaux, non armés, étaient les châteaux du Clos-du-Vale, de Rocquaine et de Pezerie. L'île n'était pas accessible du côté du nord; elle ne l'était qu'à la pointe St-Martin.

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Aurigny, à vingt lieues de Granville, cinq de Guernesey et trois de la pointe de La Hague, n'avait qu'une seule paroisse, le gros village de Ste-Anne, et cinq ou six cents habitants. On pouvait y débarquer aux havres de Braye, de Craby et de Longy. Le premier était le plus important. Depuis cinq ans, on y avait construit une jetée et un fort armé de douze canons. Chacun des deux autres havres était protégé par une redoute qui avait le même armement. Les habitants d'Aurigny faisaient le commerce de laine et la contrebande du tabac.

A deux lieues de Guernesey, la petite île de Serk renfermait environ trois cents habitants, une paroisse, deux petits hameaux et un moulin à vent. Le manoir servait d'habitation au seigneur. Le seul accès par lequel on pouvait entrer dans l'île s'appelait le Creux; quatre hommes armés de pierres pouvaient le défendre contre deux cents. assaillants.

Ce mémoire ne fut pas plus utilisé que celui de M. de Caux, mais son auteur, quelques années plus tard, nous le verrons, obtint le commandement de Granville (1).

La paix fut signée à Aix-la-Chapelle le 18 octobre 1748.

(1) Infr., chap. v.

La France ne possédait plus, dit-on, qu'un seul vaisseau de guerre (1).

Au milieu de ces 'humiliations, le Cotentin évita, du moins, la honte de laisser l'ennemi maître de Chausey. Depuis qu'ils en avaient brûlé le corps de garde, en 1744, les Anglais s'étaient tranquillement installés sur la GrandeHle. Trois à quatre cents ouvriers y étaient occupés à extraire des pierres, qui étaient transportées à Jersey, à Guernesey et à Aurigny et employées aux fortifications. Ils emportaient jusqu'aux débris de l'ancien château. Ils disaient aux marins français que l'île était leur conquête, et appartenait au roi, leur maître, qui la mettrait en si bon état de défense, qu'elle serait à l'abri de l'insulte « de << messieurs leurs voisins »>.

M. d'Argenson informé, un mois après les conclusions de la paix, de ces divers détails, donna l'ordre au duc de Praslin d'inviter les commis des traites à retourner à leur ancien poste, et, en outre, d'envoyer, de Granville, une garde qui serait relevée de temps en temps. Deux barraques en bois et couvertes en chaume servirent d'abri provisoire à douze soldats commandés par un officier et un sergent. Au milieu du mois de janvier 1749, on ne voyait plus un seul habitant de Jersey sur l'île ainsi reconquise (2). Cela ne dura pas longtemps.

(1) Précis du règne de Louis XV, par Voltaire, chap. LXXXVIII. Dans une lettre adressée de Granville à M. d'Argenson, le 4 août 1750, le marquis de Crénay, qui, malgré ses grands projets, était ruiné et sollicitait une pension, prétendait que, si la guerre eût encore duré un an de plus, il y avoit toute

apparence que les isles de Gerzey et de Guernesey seroient rentrées sous « l'obéissance de Sa Majesté et lui auroient procuré au moins 20 millions !... » (Arch. Calv. Copie sur papier sans signature.)

(2) Arch. du Calv. Cahier de copies de lettres adressées à MM. de Maurepas et d'Argenson. Lettres des 29 oct., 4 nov., 9 et 11 déc. 1748 et 9 et 14 janvier 1749.

CHAPITRE V.

Camp de Descente des Anglais sur

Nouveaux impôts et suppression de juridictions. — M. de Fontette intendant.—
Mémoire sur l'état des fortifications. Déclaration de guerre.
Cherbourg, de Granville et de La Hougue.
Chausey. Mémoire sur un plan d'invasion des îles.

La guerre de sept

ans, Camps du Mont-Epinguet, de Valognes et de La Houle.

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Siège de Le comte de Raymond. - DébarqueLe port ruiné. - 1749-1758.

Lorsqu'il affirmait que « l'Europe entière ne vit guère de plus beaux jours que depuis la paix d'Aix-la-Chapelle, <«<en 1748, jusque vers l'an 1755 », Voltaire parlait, non en historien véridique, mais en courtisan satisfait et trèsindifférent au sort du peuple, qu'il ne jugeait même pas digne d'être instruit (1). En réalité, la condition des contribuables était loin d'être heureuse. La guerre avait ajouté une somme énorme à la dette publique. On avait, au mois de mars 1748, frappé de taxes élevées divers objets de consommation, tels que la cire, la poudre à poudrer, le papier, etc. Les impôts furent ainsi augmentés d'un cinquième (2). Après la signature de la paix, un édit du mois de mai 1749, ordonna la levée du vingtième sur tous les biens et revenus sous le prétexte de créer une caisse d'amortissement (3). Cette nouvelle charge effraya les habitants de la Basse-Normandie. Ils savaient, par expérience, que le plus lourd fardeau retombait toujours sur leur

(1) Siècle de Louis XV, chap. xxx1. Corresp. litt, de Grimm, t. V, p. 76. (2) Journ. de Barbier, t. III, p. 31.

(3) Anc. lois, t. XXII, p. 225.

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