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L'intendant de la marine ne sortait pas de sa maison. Le roi d'Angleterre contemplait tout avec la même tranquillité d'esprit et sérénité de visage qu'il avoit fait << paroître pendant la première action. » Lorsque l'incendie *dévora nos vaisseaux, «< il y assista comme à un feu d'ar« tifice (1) », et, peut-être, avec une secrète satisfaction. Ses officiers eux-mêmes furent indignés de son attitude, et ne dissimulèrent pas le peu de respect qu'il leur inspirait. Beaucoup d'entre eux se détachèrent de sa cause et se rapprochèrent du prince d'Orange (2).

Ce désastre, dont le souvenir est toujours vivant dans le pays, causa une impression plus profonde encore que son importance matérielle ne le comportait; car les 15 vaisseaux brûlés furent facilement remplacés, et les pertes de l'ennemi avaient été plus fortes en hommes que les nôtres. Mais, en voyant avec quelle incurie le roi avait été servi, le peuple se demanda s'il n'y avait point là une cause cachée (3). Il la chercha, et crut la trouver dans la connivence des protestants et des nouveaux convertis. Il y était autorisé par une lettre de M. de Pontchartrain, qui, à la date du 7 juin, recommandait à M. Foucault de surveiller, ces deux catégories de personnes et de les

(1) Mém, de Fouc., p. 291.

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(2) Ibid., p. 289. On trouve encore un récit du combat de La Hougue : 4 dans un document conservé aux Archives de la Manche (Invent, som., série H, n° 2180) et portant ce titre Journal de ce qui a esté faict depuis que je suis arrivé à l'abbaye de Cherbourg. Dom Jean Bréard de Longmare en est l'auteur; 2° dans un pamphlet en hollandais, imprimé à Amsterdam, en 1692, et appartenant à la biblioth. d'Anvers (Mém. de l'Acad. de Cherb. 1875, p. 367); et 3°, dans la Gazelle, 1692, nos 23, 24 et 25.

(3) Voy. sur la question de responsabilité du désastre, l'article publié dans l'Ann. bulletin de la Soc. de l'hist. de Fr. 1877, p. 88; l'auteur la résout contre M. de Pontchartrain et en faveur de M. de Bonrepos; Jacques II, dans ses Mém. (t. IV, p. 309), fait tout retomber sur Tourville!..

avertir qu'elles seraient, le cas échéant, sévèrement châtiées (1). A. Caen, les catholiques se proposèrent de mettre le feu aux maisons de ces prétendus complices de l'Angleterre. Le maire, les échevins et le commandant du château parvinrent à maintenir l'ordre (2).

L'intendant n'avait que trop de penchant à sévir. Déjà, à son arrivée, en 1689, il avait été sur le point d'expédier une compagnie de dragons contre les protestants d'Athis, qui s'étaient réunis en assez grand nombre; et, en 1690, il avait obtenu du présidial une sentence de mort contre six nouveaux convertis qui avaient, avec quelques autres, chanté des psaumes. Hâtons-nous d'ajouter qu'il y eut commutation de peine, et qu'on se contenta d'envoyer les hommes aux galères et les femmes au couvent (3). Il est probable qu'en 1692, il ne fut pas nécessaire de recourir à de telles rigueurs.

Quant à l'armée qui devait envahir l'Angleterre, elle fut conduite en Flandre, et y servit sous le maréchal de Luxembourg.

Le roi Jacques repassa à Caen, le 20 juin, et rentra à St-Germain. Il se consola en écrivant au célèbre abbé de la Trappe, Armand de Rancé, « qu'il acceptoit avec joie « les châtiments qu'il plaisoit à Dieu de lui infliger, et « que lui et ses sujets n'avoient pas encore assez souffert « pour leurs péchés! (4). » Louis XIV accepta-t-il avec cette édifiante et facile résignation la perte de ses marins et de ses vaisseaux ?

M. Foucault insista de nouveau pour qu'on ne laissât aucun Irlandais dans le Cotentin, et qu'on se bornât à

(1) Mém. de Fouc., p. 293.

(2) Ibid., ibid.

(3) Ibid., p. 270.

(4) Mém. de Jacques II, t. IV, p. 310.

distribuer, dans les villes et bourgs voisins du littoral, 3,000 hommes de troupes réglées et un régiment de cavalerie. Il insista, également, sur la nécessité de créer un port à La Hougue, ou, au moins, d'y faire quelques travaux de défense, dont l'événement avait si bien démontré la nécessité. La question ne fut pas résolue; un siècle s'écoula avant qu'elle ne le fût au profit de Cherbourg.

Pendant les mois de juin et juillet, plusieurs vaisseaux ennemis croisèrent devant nos côtes, y firent quelques descentes et détruisirent par le feu un certain nombre de maisons (1).

La victoire de Steinkerque (4 août 1692) consola un peu la France de son désastre naval. Le fils du maréchal de Bellefonds trouva une mort glorieuse sur le champ de bataille. Ce fut comme l'expiation de la défaillance du père dans les funestes journées de La Hougue..... (2).

(1) Mém. de Fouc., p. 294.

(2) Le maréchal ne survécut que deux ans à son fils; il mourut le 5 déc. 1694.

CHAPITRE VI.

Disette.

Création d'offices. Le duc d'Orléans à Pontorson.

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La Hougue. La contrebande réprimée. — Bombardement de Granville.-
Le maréchal de Joyeuse au camp de La Hougue. Paix de Savoie.
Détresse des finances, de l'industrie et du commerce maritime.
dant visite le Cotentin. -- Travaux à y exécuter.

lité.

L'inten

· Mémoire sur la Généra

Déclaration du 13 déc. 1698. État du protestantisme. - Vauban

dans le Cotentin. - 1692-1699.

La récolte de 1692, contrariée par le temps, fut mauvaise. I survint une disette. Le prix du pain monta à sept sous la livre (1). C'était une grande difficulté de plus que le roi avait à surmonter au moment où ses plans de campagne et ses dépenses de guerre prenaient des proportions énormes. Il lui fallut demander à d'autres sources l'argent que les populations ne pouvaient pas lui donner. Il créa donc de nouveaux offices sous les dénominations les plus variées. Les registres du bureau des finances sont presque exclusivement occupés par les mentions d'enregistrement et de paiement des droits perçus à l'occasion de ces créations. Nous ne parlons pas ici des constitutions de rentes sur l'Hôtel-de-Ville de Paris, des dons gratuits des bonnes villes, des haussements de monnaie, etc., etc.

Un siège d'élection avait été rétabli à St-Lo, par un édit du mois de mars 1691 (2). Chacun des six élus qui le composaient eut à payer 4,500 livres de finance (3). A la même.

(4) Mém. du marquis de La Fare, p. 300. — Mém. de Foucault, p. 295. (2) Ce siège avait été supprimé en 1661 (voy. sup., p. 305, no 2). (3) Reg. du bur. 1692, 2 mai et 1699, 6 avril. On sait que ce droit fut nommé La Paulette, du nom du traitant Paulet, qui l'inventa en 1604.

date, on avait créé, dans chaque bailliage présidial, un conseiller d'honneur, qui eut le privilège d'assister aux audiences, auprès du président et avec l'épée au côté. La finance était de 8,200 livres. Le premier conseiller d'honneur, nommé à Coutances, fut M. Adrien Clérel, sieur de Sortosville et Rampan (1). Puis vinrent les charges créées héréditaires de conseiller-maire, de conseiller assesseur de l'hôtel-de-ville, de substitut du procureur et de l'avocat du roi, de commissaire particulier aux revues et logements des gens de guerre, de colonel major et des autres officiers de la milice bourgeoise (2), de greffier et secrétaire des villes et communautés, de sergent-gardebois, de président, juge et procureur aux droits de sorties. et entrées, etc., etc. (3). En une année, le produit du droit annuel et du marc d'or tripla. Dans la généralité de Caen, du chiffre de 12,699 liv. 13 s. 8 den. qu'il avait atteint en 1692, il arriva, en 1694, à 32,518 liv. 7 s. 3 den. (4). La finance des offices nouvellement créés s'éleva à plus de 100,000 liv. (5). En face des dépenses que l'entretien de quatre cent mille soldats entraînait depuis quatre ans, ce n'était pourtant là qu'un faible appoint.

(1) Reg. du bur. 1692, 24 mars. Le 14 du même mois, des lettres patentes nommèrent grand bailli du Cotentin Charles Claude, comte de Bréauté, en remplacement du marquis de St-Pierre. Adrien Clérel devint, le 19 févr. 1699, grand prévôt de Basse-Normandie, par résignation d'Adrien Morel, sieur de Courcy (Reg. 699, 2 oct.). Ce dernier cut le gouvernement de Valognes que possédait le comte de Bréauté (Reg. 1699, 29 déc.)

(2) Jusqu'à l'édit de 1694, la nomination des officiers de la milice avait appartenu aux maires.

(3) La charge héréditaire de maire de Caen avait été taxée à 36,000 liv. plus 70 liv. pour le marc d'or; à Avranches, le même office n'était taxé qu'à 4,500 plus 15 (Reg. 1694, 28 avril).

(4) Reg. du bur. 4694, 1er janv. Les registres de 1695, 1696 et 1697 manquent aux archives.

(5) Arch. Calv., sér. C, no 1050.

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