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prévôté, versaient en échange du droit de survivance de leurs charges (1). Mais les dépenses marchaient plus vite encore que les recettes.

Colbert avait réussi, au prix de grands sacrifices, à imprimer une activité prodigieuse aux constructions navales. En 1667, la marine royale ne possédait que cinquante - neuf gros vaisseaux de 30 à 80 canons et cinquante navires légers. - En 1672, elle comptait cent dix-neuf gros vaisseaux, vingt-deux frégates et cinquante-cinq autres navires de moyenne grandeur (2). Pour lutter contre les flottes formidables de la Hollande ou de l'Angleterre, et, peut-être, contre les deux réunies, il n'en fallait pas moins.

Au mois de mai 1672, l'invasion de la Hollande commençait. On fit partout des prières publiques pour l'heureux succès des armes du roi. Elles eurent lieu dans la cathédrale d'Avranches, vers le milieu de ce mois. M. de Matignon, le comte de Torigny et M. de Chamillart y assistèrent (3).

Les succès du roi et l'immense déploiement de ses forces ne garantirent pourtant pas le littoral de la Manche des insultes de l'ennemi. En 1674, la Hollande avait en mer deux escadres destinées à agir, l'une aux Antilles, et l'autre en Normandie. On disait que cette province était prête à se soulever, ainsi que la Bretagne et la Guyenne (4).

(4) Reg. du bur., 1677, 26 mars. Les arrêts du Conseil des 12 et 46 mars 1672 avaient consacré l'hérédité des offices en faveur des veuves et enfants, moyennant la retenue du quatrième quartier et son versement «ès coffres du roi.

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(2) Négociations relat. à la succes. d'Espagne (Doc. inéd.), t. II, p. 48 et 49. En 1681, le marquis de Sourches (Mém., t. I, p. 10), évaluait à 100 ou 420 le nombre des vaisseaux de guerre porteurs de 20 à 130 canons, et à 22 le nombre des galères prêtes à prendre la mer.

(3) La Gazette, 1672, no 62, p. 491.

(4) Masseville, t. VI, p. 244.—Mem. du marq. de La Fare, p. 274.

Au mois de septembre, le complot du chevalier de Rohan et de La Tréaumont avait été découvert; son but était de livrer aux Hollandais l'une de nos places maritimes (1).

Le duc de Roquelaure fut aussitôt envoyé « pour assu«rer les côtes » et prendre le commandement en chef des milices et de l'arrière-ban de la noblesse (2). Il vint dans le Cotentin accompagné de M. de Matignon (3). Sur ses ordres, on répara à la hâte les fortifications des villes, et, spécialement, celles de St-Lo (4). Il nomma M. de SaintDenis du Gast colonel de la cavalerie de l'élection de Coutances, et dirigea les troupes sur Granville et Cherbourg (5). Il appréhendait d'autant plus une surprise, que tous les officiers et archers de la prévôté des deux bailliages de Caen et du Cotentin avaient été appelés à l'armée, et venaient de partir pour Abbeville (6).

(1) Mém. du marq. de La Fare, p. 278.-Hist. de l'Édit de Nantes, t. IV,

p. 271.

(2) Lettres patentes du 11 août (Ap., Anc. lois franç., t. XIX, p. 438). (3) Le duc conserva le conmandement pendant 7 mois. Il fut, en 1676, appelé au gouvernement de la Guyenne. A son passage à Caen, le ministre protestant, Pierre Du Bosc, lui adressa une harangue, et en adressa aussi une à François de Matignon, qui mourut peu de temps après, le 29 janvier 1675, et fut remplacé par ses deux fils nommés l'un et l'autre lieutenants du roi en Basse-Normandie (La vie de Pierre du Bosc, ministre du saint Evangile, par Philippe Legendre (1 vol. in-8°, Rotterdam, 1694), p. 85, 86, 341 et 418).

(4) Reg. du bur., 1678, 1er décembre. Il s'agissait, dans cette séance, de statuer sur une requête des maire et échevins de St-Lo, réclamant contre le retranchement opéré par le bureau de la somme employée à la réparation des portes et des murailles de la ville. Cette dépense n'avait pas été justifiée par des pièces écrites. MM. de Roquelaure et de Matignon n'avaient donné qu'un ordre verbal, et avaient menacé, vu l'urgence, de faire exécuter militairement les travaux, si les habitauts refusaient d'obéir.

(5) Étrennes Coutançaises, par l'abbé Piton-Desprez, 1835 à 1838.

(6) Reg. du bur., ann. 4674, 10 oct. Le greffier de la prévôté de BasseNormandie exposait, dans une requête, que les archers ne pouvaient comparaître à la montre annuelle ainsi qu'il est accoustumé », parce qu'ils

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L'amiral Tromp croisa avec son escadre devant les côtes normandes, jusqu'au mois de novembre, dans l'attente d'un mouvement populaire, qui devait lui faciliter une descente sur quelque point convenu d'avance. L'exécution du chevalier de Rohan et de ses complices (27 nov.) lui montra qu'il ne lui restait qu'à ramener ses vaisseaux en Hollande. Rien ne remua en Basse-Normandie.

Le duc de Roquelaure fut néanmoins, pendant quelques mois, maintenu à son poste. La cour était, à ce moment, très-inquiète. D'un côté, elle se défiait des protestants de la province, quoique M. de Matignon, dans une lettre au conseil, eût répondu de leur fidélité (1); et, d'un autre côté, elle se trouvait, après les deux campagnes en Hollande, aux prises avec l'Allemagne.

CHAPITRE III.

Le jansénisme à Valognes. - État du protestantisme en Basse-Normandie. — Commencement de la persécution, — Le jugement des partages. Suppression des temples dans le Cotentin. Déclaration du 13 mars 1679.Mesures rigoureuses contre les protestants. Les temples de Gavray et de St-Lo interdits. Le temple de Caen démoli. Les dragonnades. Révocation de l'édit de Nantes. Ses effets dans le Cotentin. L'intendant de Morangis. — 1674-1686.

Le redoutable ébranlement imprimé à l'Europe par la réforme 'n'avait pas cessé de se faire sentir. En France,

étaient avec M. de Saint-Simon, prévôt général et leurs officiers partis depuis un mois, par ordre du roy, pour se rendre à Abbeville, et de là où il plairoit à Sa Majesté pour servir dans ses armées. » (1) Hist. de l'Édit de Nantes, t. IV, p. 272.

les grands problèmes religieux et les questions théologiques étaient devenus, à défaut d'autre aliment, l'objet principal et permanent des préoccupations publiques. Les classes élevées y avaient apporté leur goût de la controverse, leurs préventions et leur parti pris d'intolérance; et les classes inférieures, leurs passions aveugles et leurs instincts de violence.

Vers la moitié du XVIIe siècle, à côté du protestantisme, il s'était élevé une doctrine qui, quoique fort abstraite, et, par cela même peu populaire, n'en avait pas moins donné naissance à une sorte d'hérésie. La formule en avait paru, en 1640, dans l'Augustinus de Corneille Jansen, mort évêque d'Ypres. Nous avons nommé le jansénisme. Le Cotentin n'avait pas échappé à cette nouvelle secte qui, d'ailleurs, n'avait recruté ses chefs que parmi les intelligences d'élite, et ses adhérents, parmi les âmes pieuses jusqu'au mysticisme; l'un de ses foyers paraissait être à Valognes.

En 1654, l'abbé de La Luthumière, fils de l'ancien gouverneur de Cherbourg et beau-frère d'Henri de Matignon, comte de Torigny, avait acheté à fief, de l'évêque Claude Auvry, moyennant une rente de 150 livres, l'ancien Manoir de l'évêque (1). La condition de cette vente était la fondation d'un séminaire diocésain. Cette fondation fut autorisée par les lettres patentes du 11 février 1658 (2).

L'établissement prospéra, et acquit bientôt une grande réputation. Ce fut son malheur. A peine ouvert, il eut des ennemis déclarés. Malgré les réticences de Toustain de

(1) Ce domaine avait été donné par Guillaume-le-Conquérant, en 1056, à l'évêque Geoffroy de Montbray, qui y avait bâti la chapelle et le manoir (Voy. notre fer vol., p. 269). En 1570, Arthur de Cossé, pour payer la taxe qui lui était imposée, l'avait cédé, avec droit de réméré, à François de Cartot, moyennant 1,445 livres, et en était rentré plus tard en possession.

(2) Du Costentin, ms., f 227 et suiv.

Billy, il n'est pas difficile de deviner de quel camp ils sortaient, lorsqu'on sait que l'accusation portée contre le fondateur et son enseignement était d'être jansénistes. Il n'y avait pas à se dissimuler le péril, car, à cette époque, les jésuites, un moment étourdis du coup que leur avaient porté les Lettres Provinciales, avaient bientôt repris courage. Ils étaient soutenus par le roi, qui avait en horreur les puritains du catholicisme, à l'égal au moins des hérétiques, et qui voulait à tout prix les anéantir (1).

L'abbé de La Luthumière pensa que son plus sûr moyen de salut était de s'adresser à l'évêque récemment appelé au siège de Coutances, Eustache Leclerc de Lesseville. Il le pria d'ordonner une enquête sur les doctrines professées dans le séminaire, et d'y apporter les réformes qu'il jugerait convenables. L'évêque n'était point suspect, puisqu'il était du nombre de ceux qui, dans la conférence de Pontoise, du 15 avril 1660, souscrivirent les bulles d'Innocent X et d'Alexandre VII condamnant les cinq propositions de Jansénius (2). La commission qui procéda à l'enquête ne pouvait davantage être soupçonnée de partialité. Elle se composait, sous la direction de l'official, d'un chanoine, d'un curé, d'un jésuite, d'un dominicain et d'un capucin. Le 31 mars (1660), après un examen scrupuleux, elle proclama la fausseté de l'accusation (3).

Les adversaires ne se tinrent pas pour battus. Ils renouvelèrent leurs dénonciations auprès du successeur d'Eustache de Lesseville, M. de Loménie de Brienne (4). M. de

(1) On connait l'anecdote racontée par Duclos (Mém. secrets, p. 472, coll. Michaud, 3 série, t. X), qui ferait supposer que le roi préférait encore, en 1706, les athées aux jansénistes.

(2) Hist. ecclés, du dioc. ms. f 1685 et suiv.

(3) Du Costentin, ms., fo 242.

(4) Nommé le 5 déc. 1666, bullé le 12 déc. 1667 et installé le 18 oct. 1668 (Hist. du dioc., ms. f° 1737 et suiv.).

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