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de Normandie en fut chargée. Mais aucun des ses membres ne se souciait de braver les menaces que Montgommery avait proférées, disait-on, en apprenant l'ordre du conseil. Ce fut Gentien Thomas, sieur du Fossé, l'un des maîtres de la chambre, qui se dévoua (1). Le terrible comte se montra beaucoup plus accommodant qu'on ne le supposait. Il accepta sans hésitation la proposition qui lui fut faite de résigner son commandement moyennant le remboursement des sommes qu'il avait employées aux réparations du château et des murs. Il remit la place à M. de Blainville (2), et se retira à Ducey. Peu de temps après, il reçut, avec une gratification de 100,000 écus, le commandement de la ville d'Argentan, dont le château avait été récemment démantelé (3).

Les huguenots n'avaient donc plus, en Basse-Normandie, une seule ville fortifiée sur laquelle ils pussent compter. Ils eurent recours aux manœuvres secrètes d'un agent originaire du pays pour y recruter des soldats et y provoquer l'agitation. Cet agent était le fils d'un apothicaire, qui était venu, on ne sait d'où, s'établir à Falaise. Il se nommait Antoine Montchrestien ou Mauchrestien (4); il se

(1) Cahiers des États sous Louis XIII, t. II, p. 252. – Mémoires de Pierre Thomas, sieur du Fossé (Édit. de la Soc. de l'Hist. de Norm.', t. I, p. 13). (2) M. de Blainville fut nommé, en 4625, ambassadeur en Angleterre (Mem. de Richelieu, liv. XVII).

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(3) Reg. du Bur. 1620, fo 10!. - Adjudication de la démolition du chàtean, du 29 oct. 1621, fo 87 et 103, adjudication des travaux à faire au château pour fermer le logis du roi et loger les chevaux du comte de Montgommery, capit. de 100 h. d'armes et gouverneur pour S. M. des ville et château d'Argentan », du 27 sept. et 15 nov. Ce fait n'a été, nous le croyons, mentionné par aucun des historiens normands.

(4) Le Mercure françois, t. VII, p. 814. L'auteur du Mercure adopte le nom de Montchrestien, quoique dans un passage il se rectifie lui-même, en disant que la vraie forme est Mauchrestien. Il est probable que le baron de Vatteville avait aussi modifié son nom patronymique.

disait de la religion. Mis au collège comme compagnon ou serviteur de deux jeunes gentilshommes, les sieurs de Tournebu et des Essarts, il profita des leçons qui leur étaient données et se mit à écrire en vers et en prose. A vingt ans, il apprit à tirer les armes et « fit le noble, le « vaillant, le hardy. » Une querelle qu'il eut avec le baron de Gouville, et dans laquelle il fut fort maltraité, lui valut, par arrêt de justice, une indemnité de 12,000 livres, « dont «< il s'empluma. » Après avoir, pendant quelques années, mené la vie la plus aventureuse, tantôt écrivant des tragédies, tantôt fabricant des couteaux qu'il allait vendre à Paris, tantôt entreprenant le commerce maritime (1), il épousa la veuve d'un gentilhomme normand, qui était infirme de corps et d'esprit, mais assez riche; - cela lui permit de se créer baron de Vatteville (2). Il se mêla alors au mouvement des églises réformées dans le Berry, l'Orléanais et le Gâtinais, et fut nommé, par le prince de Condé, gouverneur de Châtillon-sur-Loire (3). Au mois de juillet 1621, il quitta ce poste, et se jeta dans les villes de Sully, Jargeau et Sancerre, à la tête de quatre cents. hommes qu'il entraîna dans la révolte. L'arrivée du prince de Condé, revenu au service du roi, modifia sa résolution. Il capitula, sans attendre un siège, et se retira, vers la fin du même mois de juillet, derrière les murs de La Rochelle. Ce fut là qu'il reçut de nombreuses commissions pour lever, en Normandie et dans le Maine, plusieurs compagnies ou régiments de chevau-légers (4). Il partit de La

(1) Ilist. du Parlem. de Norm., t. IV. p. 393.

(2) Vasteville est un village de la Hague, situé à environ trois lieues de Cherbourg.

(3) Hist. gén, de la Rébellion, t. I, p. 603.

(4) Claude Malingre (t. I, p. 450) reproduit la formule de ces commissions; elles étaient données par l'assemblée des Églises de France soubs le nom

Rochelle, dans le courant du mois d'août, et se rendit en Basse-Normandie. Il parcourut, escorté de dix ou douze compagnons bien armés, les villes et les campagnes : distribuant de l'argent et des promesses, réveillant le zèle de ses coreligionnaires, et recrutant tout ce qu'il rencontrait, parmi eux, d'hommes décidés à reprendre la vie d'aventure. Il avait réussi, au mois de septembre, à former un certain nombre de compagnies, dont l'ensemble s'élevait, d'après une évaluation que nous croyons fort exagérée, à cinq ou six mille gens de toutes sortes, qui se concentraient dans les forêts d'Alençon, d'Andaine et du Maine, et qui voloient, pilloient et ravageoient les bourgs et « villages voisins (1). » Domfront devait être livré par le capitaine Le Mesnil; Pontorson, par le sieur de Pontécoulant; Cerisy-la-Salle et Carrouges, par d'autres gentilshommes protestants. Les châteaux de Vire et de Falaise furent même surpris par deux de ces bandes, qui les occupèrent pendant quelque temps (2).

L'attention du duc de Longueville et de Matignon avait été bientôt éveillée sur cette audacieuse entreprise. Le parlement en avait aussi été informé ; il avait chargé le conseiller du Rozel de se transporter sur les lieux et de procéder à une enquête et à l'arrestation des conspirateurs (3). Des troupes avaient été dirigées sur Domfront. Le baron de Vatteville n'avait échappé aux poursuites qu'en changeant à chaque instant de refuge. Dans la nuit du 7 octobre, il arriva au bourg des Tourailles, situé entre Athis et Putanges. Il était accompagné de son escorte.

■ et authorité de Sa Majesté, bien de son service et défense et protection de « ses sujets de la Religion.

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(2) Cahiers des États, t. II, p. 218.

(3) Reg. secr, de sept. et oct. 4624 (Ap. Hist. du Parl,, t. IV, p. 398).

habituelle. Il alla loger dans l'hôtellerie du lieu, et recommanda de tenir ses chevaux prêts à partir dans deux heures. Mais le seigneur des Tourailles, Claude Turgot, l'un des 24 gentilshommes ordinaires près la personne du roi, capitaine d'une compagnie de chevau-légers, et qui, depuis dix ans, servait loyalement son pays (1), avait été immédiatement averti de l'arrivée du baron. Il put réunir, à cinq gentilshommes qui se trouvaient chez lui, trois soldats du voisinage et ses propres domestiques, et, avec cette petite troupe, il cerna l'hôtellerie, et somma les conspirateurs de se rendre. Ceux-ci répondirent en déchargeant leurs carabines et leurs pistolets sur les assaillants. Deux des gentilshommes et un soldat tombèrent. Un combat s'engagea. Montchrestien fut tué par le sieur Turgot, et son valet fait prisonnier. La plupart de ses compagnons furent blessés; ils purent, à la faveur de la nuit, s'échapper et se cacher chez quelques-uns de leurs affidés.

Les juges de Domfront firent le procès au cadavre, et le condamnèrent à être traîné sur la claie, rompu sur la roue, brûlé et les cendres jetées au vent. Sur l'ordre du roi, le parlement évoqua l'affaire. On saisit chez un sieur des Ventes, parent de Montchrestien et demeurant à deux lieues de Domfront, quarante-huit des commissions délivrées par l'assemblée de La Rochelle. L'affaire se termina, au mois de décembre, par l'exécution, sur la place du Vieux-Marché, à Rouen, des complices du baron, qui avaient été arrêtés à la suite de l'information ordonnée

(1) Nous rencontrons plusieurs fois le nom de Claude Turgot, mentionné dans les registres du bureau des finances, année 1622, comme créancier d'une rente de 85 livres 12 sols et 2 den. sur la recette des aides de l'élection de Caen; nous le retrouverons, en 1639, avec Gassion, dans l'affaire des NuPieds (Inf., chap. vir).

par le parlement (1). Parmi eux, figuraient quatre gentilshommes huguenots qui prétendirent avoir le droit d'être jugés par la chambre de l'édit. Le roi décida que «< tous «< ceux qui avoient pris part aux desseins et factions de « ceux de La Rochelle » avaient perdu ce privilège (2).

Cette sévère répression arrêta le soulèvement qu'on préparait dans le Cotentin, et dont l'affaire de Montchrestien n'était qu'un incident. L'assemblée de La Rochelle avait, en effet, chargé d'autres émissaires d'y coopérer. Au mois de juillet, un navire de guerre nommé La Religion et commandé par le capitaine Josué Ferrant, de St-Martin-de-Ré, était sorti du port et avait débarqué, à Guernesey, deux membres de cette assemblée, qui devaient se rendre secrètement dans le Cotentin, et s'y procurer des hommes et des armes. Le navire, dans sa route, s'était emparé d'une barque du Conquet chargée d'oranges et de limons, et avait vendu sa prise à Darmouth. Le gouvernement anglais refusant de reconnaître la légalité d'une commission signée par des sujets en état de rébellion, fit, après une enquête, restituer la barque à son propriétaire (3), et sortir une flottille destinée, sous la direction de sir Robert Mansell, à croiser dans la Manche et à empêcher ces actes de piraterie (4). Les protestants avaient réussi à mettre en mer un nombre de vaisseaux qui dépassait celui que le roi ne pouvait armer qu'en s'adressant aux marines de Bretagne et de Normandie; c'était donc une véritable guerre qu'il fallait soutenir avec des finances en détresse et un pays ruiné. La crainte de rencontrer des objections de la part

(1) Hist. du Parlem. de Norm., t. IV, p. 399.

(2) Reg. secr., ms., t. XIX, fo 210 verso. 2 décembre 1621.

(3) Calend, of st. pap. James, t. III, p. 276. Lettre du 45 juillet 1621,

du vicc-amiral Will. Kifte à Buckingham.

(4) Calend., etc., t. III, p. 289. Ordre du conseil du 15 sept. 1621.

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