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parut devant le château Élisabeth et somma le gouverneur de se rendre. De Carteret reçut l'officier parlementaire avec une courtoisie affectée, et le renvoya avec une réponse ironique et dédaigneuse à l'adresse du comte de Warwick (1). L'affaire en resta là. Mais, entre temps, le parlement, à force d'insistance, obtint du conseil du prince de Galles la révocation ou la suspension des lettres de marque, et, comme cela produisait peu d'effet, il réussit à faire rendre par la reine régente de France un édit, en date, à Amiens, du 20 mai (1647), qui proclamait pirates et voleurs tous les capitaines qui attaqueraient, malgré la révocation de leurs commissions, les navires portant le pavillon du parlement; défendait de les recevoir dans les ports, et ordonnait la restitution des prises qu'ils y auraient amenées (2).

Cet édit ne fut connu dans l'île que vers le milieu de juin, au moment où l'on fêtait l'anniversaire du prince, et où l'on inaugurait le nouveau fort ajouté au château Élisabeth et appelé le fort du Prince Charles. 11 jeta la consternation parmi les royalistes, auxquels il enlevait leur unique ressource.

Quelques-uns des corsaires rentrèrent à Jersey, et désarmèrent; d'autres s'en allèrent en Flandre, au service de l'Espagne, et se vengèrent sur les Français de l'interdiction qui les frappait. Sir E. Hyde profita du passage de sir Fanshawe pour adresser au roi, alors à HamptonCourt (3), des observations sur les conséquences déplorables de cette mesure qui, bien entendu, n'avait nullement

(1) Historic. manusc.

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(2) Historic. menusc. Extrait de la Biblioth. Bodléienne. Calend. of Clarend., t. I, no 2518.

(3) Nous n'avons pas à rappeler ici l'arrestation du roi par l'ancien tailleur Joyce à Holmby, le 3 juin 1647, et son transfèrement à Newmarket, et ensuite, à Hampton-Court. (Hist, of the Rebel., t. VIII, p. 301 et suiv.).

empêché les vaisseaux du parlement de continuer leurs croisières. Au bout de deux mois environ, le prince leva la prohibition; le gouvernement français ferma les yeux; la course reprit avec ardeur.

La première expédition fut dirigée contre Guernesey par les capitaines Amy et Chamberlain. Elle échoua devant les forces supérieures qui stationnaient devant l'île. Des corsaires vinrent de Normandie et de Bretagne reprendre des lettres de marque. Ce furent, entre autres: de St-Malo, un capitaine Blaize, et, de Cherbourg, un capitaine Gernet, dont l'associé était un apothicaire de cette ville, du nom de Baudouin (1).

Les derniers mois de l'année 1647 ne furent signalés que par des faits peu dignes de remarque. Le 3 novembre, le parlement, saisi de la plainte des habitants de Guernesey contre le lieutenant gouverneur Russell, dont la vie était scandaleuse et qu'on accusait de malversations éhontées, délégua quatre commissaires (2), qui firent une enquête à la suite de laquelle Russell fut momentanément (3) remplacé par le colonel Alban Coxe (4).

A Jersey, sir Edward Hyde recevait, par la voie de Coutainville, de nombreuses missives qui le renseignaient

(1) Charles II, t. II, p. 154.

(2) Ces commissaires étaient les colonels Ludlow et Birch, et MM. Weaver et Harrington.

(3) Carey's mss. et Historic. manusc.-Russell fut rétabli dans ses fonctions le 20 juin 1649 et, de plus, nommé colonel.

Commission

(4) Duncan, Hist. of Guernesey, p. 83, 22 oct. 1648. donnée par le colonel Th. Fairfax au colonel Alban Coxe pour défendre Guernesey, avec les pouvoirs les plus étendus (Brit. mus., add. mss., 11,315, no 5.

10 nov. 1648. ordre de Th. Bradshow, présid, du conseil, au col. Coxe, de se rendre à Weymouth et de s'embarquer pour Guernesey (Brit. mus., n° 7). - 10 nov. 1648, mémoire de Russell aux membres du conseil pour se justifier (Guille's mss.).

sur ce qui se passait en France et en Angleterre. Il n'avait pas voulu quitter l'île dans laquelle il avait rencontré le calme et des amis dévoués. Il s'était fait construire sur l'Islet, contre la chapelle du château, une maison avec un petit jardin dans lequel il se plaisait à cultiver des légumes. C'était là qu'il avait commencé, sans se douter qu'il l'acheverait aussi dans l'exil (1), son Histoire de la Rébellion, son vrai titre à la célébrité. Au mois de novembre 1646, il annonçait au secrétaire Nicholas, en résidence à Caen, qu'à cette date il avait déjà écrit soixante feuilles de son ouvrage, et qu'il y travaillait trois heures par jour (2); et, à lord Berkeley, il affirmait que le meilleur service qu'il pût rendre au roi, en demeurant à Jersey, était d'y préparer une histoire de ses malheurs et de ses souffrances, et, en même temps, de veiller à garantir ces îles du danger de tomber au pouvoir de quelque état étranger (3), c'est-à-dire de la France, contre laquelle il ne cessa, à toutes les époques de sa vie, de manifester des sentiments peu bienveillants.

Le prudent chancelier ne partageait pas les illusions et les espérances de la cour de St-Germain, si futile et si pleine de mesquines intrigues, pas plus qu'il n'avait confiance dans la politique du Cardinal (4). Déjà, il considérait le roi comme une victime destinée au sacrifice (5).

Au mois de novembre, Charles Ier tombant dans le piège

(4) On sait que disgrâcié en 1667, il était venu s'établir à Rouen, où il mourut en 1674 (Hume, t. VI, p. 189).

(2) Calend. of Clarend., t. I, no 2354. Lettre du 15 nov.

(3) Ibid., ibid., no 2359.

(4) Lettre du 15 nov. 1646 au lord trésorier Collington à Rouen ( Calend., + I, n° 2355).

(5) Dans sa lettre à Nicholas, sir Hyde disait que son ouvrage dépasserait ce que Daniel a écrit des 12 rois, car tout un volume serait rempli par le Livre des martyrs · - to what a Book of martyrs will the whole volume swell. »

qui lui était tendu, s'était enfui de Hampton-Court, et avait été livré au commandant de l'île de Wight, créature de Cromwell, le colonel Hammond, qui l'avait aussitôt conduit dans le château de Carisbrook (1). Lorsque cette nouvelle parvint à Jersey, Ed. Hyde et G. de Carteret formèrent un plan d'évasion à proposer au prisonnier. Un bateau chargé de toile et de quelques quartiers de lard, naviguant sous pavillon français et monté par des marins jersiais qui ne parlaient que le bas-normand, mit à la voile, le 8 janvier 1648, et porta, à Wight, le major Bosville qui, après plusieurs jours d'efforts, réussit à faire arriver le message. Malheureusement, dans l'intervalle, la garnison avait été augmentée, et une surveillance de plus. en plus rigoureuse avait rendu toute évasion impossible. Le roi était désormais à la merci de ses plus implacables ennemis. Son infortune imméritée et les indignes procédés qu'il subissait, inspirèrent cependant des remords à quelques-uns et lui ramenèrent les sympathies de quelques autres. Au printemps de 1648, on crut même à un retour de la fortune.

Le duc d'York s'était échappé de Londres et réfugié en Hollande. Les comtés de Kent et d'Essex s'étaient soulevés. Une armée écossaise, sous le duc d'Hamilton, marchait sur Carlisle. Une partie de la flotte du parlement, s'étant déclarée pour le roi, était venue se mettre aux ordres des deux jeunes princes dans le port de Helvoetsluis. On prépara pendant l'été une nouvelle prise d'armes en Irlande.

Georges de Carteret, Osborne et Wake résolurent de profiter de ces conjonctures favorables. Au mois de septembre, lorsqu'ils surent que la flotte, composée de nombreux bâtiments, était aux Dunes avec le prince Rupert et

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le prince de Galles, ils s'adressèrent à ce dernier. Osborne lui écrivit de St-Malo que Dieu ayant permis qu'il parût sur la côte d'Angleterre, à la tête d'une force imposante, il le priait de ramener l'ordre et la paix dans son île de Guernesey; que la ville de St-Pierre seule paraissait hostile, mais que le reste du pays ne ferait aucune opposition, et que le major Russell, quoique récemment revenu, avait perdu toute autorité et toute influence (1). Sir Georges s'engageait, de son côté, à fournir quinze cents hommes, si le prince voulait bien mettre à sa disposition des navires pour les transporter.

Ed. Hyde s'occupa aussi de ce projet. Il n'était plus à Jersey. Appelé par la reine, il avait dû se résigner à quitter, au mois de juin (1648), sa résidence préférée. Il était, au mois de septembre, à La Haye, où étaient réunis la plupart des conseillers du prince de Galles. Le duc de Lorraine persistait à offrir ses soldats étrangers. Le chancelier fit rejeter, une seconde fois, cette offre, par les motifs qu'il avait déjà présentés. On décida de s'en tenir à ce que pourrait faire le prince Rupert, auquel on donna pour instruction de toucher à Jersey, en se rendant en Irlande; d'y embarquer les hommes que le lieutenant gouverneur tenait prêts, et de tenter l'occupation de l'île rebelle (2). Plusieurs mois s'écoulèrent. Au mois de janvier 1649, un agent de la reine, Jasper Cornelius, vint annoncer à Georges de Carteret que l'entreprise si souvent résolue était, une fois de plus, renvoyée à un temps. meilleur (3).

Tout s'était effondré autour du roi. Le Long parlement

(1) Historic. manusc.

(2) Mr Nicoll's memorial (sept. 1648), Calend. of. Clar., t. I, n° 2885.Lettre de Hyde à lord Jermyn, La Haye, le 28 nov. 1648.

(3) Historic, manusc.

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