Page images
PDF
EPUB

équitable en fait, était, en droit, absolument contraire aux usages consacrés par les actes les plus authentiques. Il était incontestable que, de temps immémorial, les grèves étaient considérées comme une dépendance « du petit << domaine de l'état, et avaient pu être concédées aux seigneurs et aux abbayes du pays, qui prélevaient une dîme sur les sables « levés » dans les limites de leurs domaines. Il est certain, d'autre part, que, malgré l'avis des commissaires, ce droit continua, pendant longtemps encore, d'être perçu dans les baies du Mont-St-Michel, de Lessay, des Veys, etc. (1).

Sur le troisième point, les états se plaignaient des entraves apportées à la libre navigation de la Vire par les riverains, qui élevaient des barrages ou qui exigeaient un tribut des bateaux qui transportaient, par cette voie, des marchandises ou des engrais de mer. Cette question se rattachait à celle du commerce de la presqu'île avec Caen, Le Havre, Rouen et Paris, et touchait aussi à celle de la navigation et de la pêche maritimes. On rappelait au roi que « la grandeur de son royaume ne consistoit pas seule<< ment en la terre; mais aussi par toute l'étendue de la « grande mer Océane; » que les lois faites par ses prédécesseurs, en vue de la protection des marins et navigateurs, étaient mal gardées; que la piraterie était préférée au loyal trafic, et que tant d'abus se commettaient le long des côtes, que l'industrie de la pêche, qui était le seul moyen d'existence d'une foule de personnes, serait bientôt anéantie (2). Il était avéré que les pirates barbaresques, encouragés par les Hollandais, venaient de Tunis,

((

(1) Du domaine marit., etc., p. 44.

Accord passé, le 2 juin 1532, et

renouvelé, le 16 août 1673, entre les paroissiens de St-Sauveur de Pierrepont et Cauville et l'abbaye de Lessay, qui percevait un boisseau d'avoine par an sur chaque charrette levant de la tangue.

(2) Cah. des Etats, t. I, p. 46, 33, 37, 46, 86 et 130.

d'Alger et de Sallé (1), jusque dans la Manche, exercer leurs déprédations (2).

Le quatrième et dernier grief, articulé au nom du Cotentin, avait son origine dans la cession consentie, par Henri IV, au comte de Soissons, des vastes paluds et marais qui s'étendent, à travers la presqu'île, depuis les Veys jusqu'au littoral opposé. Une commission avait été. chargée par les héritiers du prince de vendre ces terres. Il résultait de là qu'un grand nombre de paroisses étaient exposées à perdre leurs droits de pacage, de pêche et de chasse, qui étaient leurs principales ressources. Les réclamations furent pressantes. Le gouvernement parut y faire droit. En 1617, il nomma sept députés des trois ordres qui eurent mandat de négocier une transaction « au profit <«< du public le mieux qu'il seroit possible et à meilleur « marché que faire se pourroit (3). Rien cependant n'était encore arrêté plusieurs années après. La commission fut maintenue par le conseil, sous la condition que les inféodations n'auraient lieu qu'au fur et à mesure du dessèche

(1) Chellah ou Sebilah, la Sella des Romains, ville du Maroc (Cah. des Elats, t. 1, p. 56).

(2) Au commencement de 1620, plusieurs navires turcs, entrés dans la Manche, furent assaillis par une tempête; l'un d'eux fut poussé sur les côtes du Cotentin, au havre d'Omonville, et fut pris par les habitants. L'équipage fut conduit dans la prison de Valognes et le capitaine condamné à être pendu. Il porta appel devant le parlement qui, sur l'ordre du roi, rendit un arrêt de sursis (Reg. secr., t. XIX, fo 430). Les pères Mathurins réclamèrent les captifs pour les échanger contre des chrétiens. Un récit de cet événement fut imprimé sous ce titre: «Histoire véritable des vingt et trois « Turcs qui ont esté pris sur mer en Basse-Normandie, vollans, pillans a plusieurs navires et sont prisonniers à Vallognes. A Paris, chez la veuvfve « du Carroy, rüe des Carmes, à l'enseigne de la Trinité, M DC XX avec permission. Plaquette de 8 p. in-8° (Biblioth. nat. Réserve).

[ocr errors]

(3) Cah. des États, t. I, p. 67, 99, 139 et 165. Le texte de la procuration donnée par les États se trouve à la page 322 du même volume.

ment des paluds et marais. En attendant l'exécution de ce grand travail, les habitants des paroisses intéressées furent autorisés, en 1620, à offrir au comte de Soissons et à sa mère, une honnête récompense », en échange de leur renonciation au projet qui avait causé dans le pays une si profonde et si longue émotion (1).

Le temps, il faut le reconnaître, n'était guère favorable à la solution de ces questions économiques. Les «< brouillons », selon le mot de Louis XIII, occupaient la scène. politique et paralysaient les forces vives de la France. Le gouvernement, livré à un favori aussi avide et aussi incapable que celui qu'il remplaçait, voyait se perpétuer les mêmes intrigues et les mêmes désordres. C'étaient aussi les mêmes cris de détresse dans les provinces épuisées par les impôts, éprouvées par de mauvaises récoltes et des maladies contagieuses, et incessamment parcourues par des troupes armées.

Au mois de janvier 1619, la ville d'Avranches, en considération de son extrême appauvrissement, sollicitait la décharge d'une contribution dont elle avait été frappée (2). Coutances présentait la même requête, fondée sur ce que la population de la ville n'était composée que de « gens << manouvriers », qui gagnaient leur vie « à la peine de << leurs bras », et sur les ravages causés par un incendie qui, dans le courant de l'année précédente, avait consumé plus de deux cents maisons (3). La paroisse des Biards, de l'élection de Mortain, dénonçait les exactions des agents

(1) Cah. des États, t. I, p. 192, et t. II, p. 16. La somme à verser, par les paroisses intéressées, à la comtesse de Soissons, fut fixée à 150,000 livres, payables par quart, en quatre années. Le dernier quart paraît n'avoir été payé qu'en 1633 (Reg. du bur., ann. 1626, fo 56; — 1630, fo 5 ; — 1631, f 89 ; 1636, f 40, 62, 65 et 115; — 1634, f° 65).

(2) Reg. du bur., ann. 1619, f° 1.

(3) Ibid., fo 2, janvier 1619.

--

du fiisc qui,« par animosité et appétit de vengeance »>, la surchargeait, depuis vingt ans, d'impôts toujours croissants, alors que plus des deux tiers des héritages et une quantité d'habitants étaient exempts de la taille (1).

Le duc de Luynes n'avait pas conservé longtemps la lieutenance générale; il s'en était démis, au mois de juin 1618, et avait été remplacé, au mois de novembre suivant, par le colonel des Suisses, Jean-Baptiste d'Ornano, marquis de Montlor, etc., qui présida les États ouverts à ce moment (2).

A la suite de son exil à Blois, de sa fuite à Angoulême et de sa réconciliation éphémère avec son fils, Marie de Médicis renonça définitivement au gouvernement de la Normandie. Il fut donné à l'un de ses partisans, Henri d'Orléans, duc de Longueville et d'Estouteville (3). C'était livrer la province qu'il importait le plus de maintenir dans le devoir. Déjà, nous l'avons vu, le château de Caen, la clef de la Basse-Normandie, était entre les mains du grand prieur de Vendôme « dont la reine faisoit tout ce « qu'elle vouloit (4). »

[ocr errors]

Les conséquences de ces choix, évidemment imposés au duc de Luynes, apparurent bientôt. Très-influent dans le Cotentin, où sa famille possédait, depuis plusieurs siècles, les opulents domaines de Bricquebec et de Hambie (5), lié avec la plupart des gentilshommes, par les rapports fréquents de voisinage, le duc de Longueville

(1) Reg. du bur., 1619, fo 103;30 déc. 4619.

(2) Les lettres patentes de nomination sont du 11 nov., et l'enregistrement est du 20 (Reg. du bur., ann. 1618, fo 96 verso).

(3) Les lettres patentes furent délivrées au mois de déc. 1619. Le duc prit séance au parlement, le 10 janvier suivant (Reg, sec., ms. t. XIX, fo 128). (4) Mem. de Fontenay. p. 144.

(5) Les anciens châteaux up. Mém. des antiq., 1824, p. 246).

s'efforça, par ses « pratiques et ses menées (1) », de les engager dans le parti des princes alors réunis à Angers. «En Normandie, tout branloit pour la reine (2). » Le Cotentin n'était pas la partie la moins troublée de la province« qui s'en alloit entièrement perdue (3).

>>

Le comte de Torigny, lieutenant général du bailliage, en même temps que capitaine des villes et châteaux de Cherbourg et de Granville, était cousin du duc gouverneur. Montgommery tenait toujours Pontorson. M. de Bellefonds était à peu près le seul qui se fût ouvertement déclaré pour le roi. Il avait, à ses frais, réparé le château de Valognes, dont il avait le commandement, et qui n'était plus habitable (4). Les gens des campagnes, effrayés des menaces de guerre civile qui se dressaient devant eux, abandonnaient leurs villages et ne payaient plus la taille. Les sergents étaient tellement « travaillés par les élus », qu'ils refusaient de se charger du recouvrement de cet impôt (5). Des troupes de pillards reparurent dans les environs de Mortain. On signala, à ce moment, un sicur de Chevreville, qui avait rançonné St-Hilaire-du-Harcouet et les paroisses environnantes, avec 50 à 60 bandits (6).

Tout cela décida le conseil à commencer par la réduction de la Basse-Normandie, afin de ne rien laisser derrière Paris, pendant que l'armée marcherait sur la Loire.

La ville de Caen, très-heureusement, était loin d'être

(1) Mem. de Pontchartrain, p. 414.

(2) Mém. de Rohan, p. 516.

(3) Déclaration du roi du 28 juillet 1620 (ap. Rec. de pièces, t. II, p. 262). (4) Reg. du bur., 1620, fos 30 et 46. La dépense s'était élevée à 9,446 liv. qui furent remboursées au capitaine (Arch. Calv., Invent. som., sér. C, n° 1699).

(5) Reg. du bur., 1626, fos 78 et 98. Requêtes des recev. des tailles de Carentan et Alençon des 7 août et 21 oct. 1620.

(6) Arch. de la Manche, Inv. somm., sér. A, no 601.

« PreviousContinue »