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Les auteurs de la loi se proposaient même d'aller plus loin et d'attribuer à la commission départementale ce qu'on appelle à tort, suivant nous, la tutelle des communes et des administrations hospitalières. « Une fois qu'on admet, en thèse générale, le gouvernement du pays par lui-même, disait le rapporteur, M. Waddington, le contrôle d'un corps électif inférieur ne peut être exercé que par un autre corps électif d'un ordre supérieur. » Il en concluait que la tutelle des communes devait appartenir aux conseils généraux ou aux commissions départementales.

Ces diverses innovations avaient été vivement combattues par une portion notable de l'Assemblée nationale, qui craignait de dépasser le but qu'on poursuivait et d'exagérer la décentralisation, en affaiblissant outre mesure le préfet, représentant du pouvoir exécutif. Le ministre de l'intérieur avait insisté pour obtenir que, si l'on croyait utile de créer une commission départementale, on ne lui donnât qu'un rôle purement consultatif, sans lui attribuer le pouvoir de prendre des décisions. Il demandait en outre qu'elle fût présidée par le préfet. Enfin, en ce qui touche le contrôle exercé sur les actes des administrations communales et hospitalières, il faisait remarquer qu'il avait beaucoup moins pour but de suppléer au défaut de lumières des administrateurs locaux que de les empêcher de nuire aux intérêts généraux et de violer la loi, ce qui était l'office du pouvoir exécutif central et de ses agents, placés sous la direction de l'Assemblée nationale représentant l'État.

Le système proposé par la commission a prévalu, sauf sur le dernier point'. Encore avait-il été adopté complètement

1 Un ainendement de M. Target, appuyé par le gouvernement, qui tendait à faire décider que les commissions départementales seraient exclusivement chargées de sur

lors de la deuxième délibération; mais avant la troisième lecture, la commission, sur les instances réitérées du chef du gouvernement (c'était alors M. Thiers), a modifié diverses parties de son projet pour atténuer les inconvénients qui lui avaient été signalés, et elle a consenti à ajourner les dispositions relatives à l'intervention de la commission départementale dans les affaires des communes et des hospices, jusqu'à l'époque où la loi organique municipale serait mise à l'étude. Il est resté cependant quelques traces de ce système dans plusieurs articles de la loi. Mais la loi municipale de 1884 en a fait disparaître une partie1.

Tel est l'esprit de la loi de 1871, que le législateur a tenu à faire ressortir lui-même par la rédaction des trois premiers articles ainsi conçus : « Il y a dans chaque département un conseil général. Le conseil général élit dans son sein une commission départementale. Le préfet est le représentant du pouvoir exécutif dans le département. Il est, en outre, chargé de l'instruction préalable des affaires qui intéressent le département, ainsi que de l'exécution des

veiller l'exécution des délibérations du conseil général et de donner des avis au préfet sur les affaires du département, a été repoussé, à la séance du 10 juillet 1871, par 358 voix contre 220.

1 Le projet primitif de la commission a été sensiblement modifié sur plusieurs autres points importants. Ainsi le texte primitif de l'article 14 donnait à la commission départementale le droit de convoquer extraordinairement le conseil général. Celui de l'article 45 donnait au conseil général le droit de nommer et de révoquer lui-même, sur la proposition du préfet, les titulaires des emplois rétribués sur les fonds départementaux. L'article 44 lui donnait le droit de déclarer d'utilité publique tous les travaux départementaux, à l'exception des chemins de fer d'intérêt local. L'article 77 autorisait la commission départementale à statuer, sans délégation du conseil général, lorsqu'il y avait urgence, sur tous les objets rentrant dans les attributions de ce conseil, sauf à lui en rendre compte. Ces dispositions ont été repoussées ou retirées par la commission elle-même.

Il importe donc d'y regarder de près lorsqu'on invoque le rapport fait au nom de la commission qui a préparé le projet pour expliquer le sens des articles adoptés par l'Assemblée. Il ne faut pas non plus oublier que des dispositions de loi qui modifient les règles antérieurement établies pour la distribution des pouvoirs publics doivent être interprétées d'après leur texte et non au moyen de considérations générales.

décisions du conseil général et de la commission départementale, conformément aux dispositions de la présente loi. »

Examinons, en suivant l'ordre tracé par ces articles, l'organisation et les attributions du conseil général et de la commission départementale, puis le rôle du préfet.

137. Le conseil général est composé d'autant de membres qu'il y a de cantons dans le département (loi du 10 août 1871, art. 4). L'élection se fait au suffrage universel, sur les listes dressées pour les élections municipales. Le vote a lieu par commune. Le recensement se fait au cheflieu de canton (art. 5 et 15).

Pour être éligible au conseil général, il faut être inscrit sur une liste d'électeurs ou justifier qu'on devait y être inscrit avant le jour de l'élection; être âgé de vingt-cinq ans accomplis, être domicilié dans le département. On peut toutefois suppléer à cette dernière qualité par l'inscription au rôle d'une des quatre contributions directes dans une des communes du département, ou par la preuve soit qu'on devait y être inscrit au 1er janvier de l'année où se fait l'élection, soit qu'on a hérité, depuis cette époque, d'une propriété foncière dans le département. Toutefois le nombre des conseillers généraux, non domiciliés dans le département, ne peut dépasser le quart du nombre total dont le conseil doit être composé (art. 6 et art. 17, S 2).

Les citoyens pourvus d'un conseil judiciaire et qui, sans être privés de la jouissance de leurs droits civils, sont dans une sorte de minorité, ne peuvent être élus au conseil général (art. 7).

1 En 1880 une proposition de loi a été faite en vue d'augmenter le nombre des conseillers généraux proportionnellement à la population. Elle a été adoptée par la Chambre des députés, mais rejetée par le Sénat.

De plus, la loi voulant éviter que les fonctionnaires de l'ordre civil et militaire, et les ministres des cultes n'abusent de l'influence que leur donne leur situation pour se faire élire, les a déclarés inéligibles dans le ressort où ils exercent leurs fonctions, ressort qui est tantôt celui du département, tantôt plus étendu ou plus restreint. L'énumération en est faite dans l'article 8 de la loi. On y voit figurer les préfets, sous-préfets, secrétaires généraux et conseillers de préfecture, les membres du ministère public des cours d'appel, les juges et membres du parquet des tribunaux de première instance, les juges de paix, etc. Nous devons signaler notamment les ingénieurs en chef de département (appartenant au corps des ponts et chaussées) et les ingénieurs ordinaires d'arrondissement qui sont inéligibles dans le département où ils exercent leurs fonctions, ainsi que les ingénieurs du service ordinaire des mines, inéligibles dans les cantons de leur ressort. Mais il a été entendu, dans la discussion, que les ingénieurs qui sont exclusivement attachés aux services spéciaux, comme ceux des chemins de fer, des canaux, etc., échappaient à cette exclusion.

Se plaçant à un autre point de vue, le législateur déclare les fonctions de préfet, sous-préfet, secrétaire général et conseiller de préfecture, ainsi que celles de commissaire de police, incompatibles avec le mandat de conseiller général par toute la France. Ces fonctionnaires pourraient être élus en dehors de leur ressort; mais ils ne pourraient exercer leurs fonctions, qui doivent les absorber tout entiers, en même temps que le mandat de conseiller général. Ils doivent opter entre les deux (art. 9).

La même incompatibilité existe, dans le département, entre le mandat de conseiller général et les fonctions des agents

salariés sur les fonds départementaux, notamment des architectes et agents voyers, ou la situation d'entrepreneur d'un service départemental (art. 10).

Enfin, nul ne peut être membre de plusieurs conseils généraux (art. 11).

Les élections peuvent être arguées de nullité par tout électeur du canton, par les candidats, par les membres du conseil général et par le préfet. D'après la loi du 22 juin 1833, les réclamations étaient soumises au conseil de préfecture, sauf recours au Conseil d'État. La loi du 10 août 1871, après de vives discussions, avait, dans son article 16, établi un nouveau système. Le conseil général vérifiait les pouvoirs de ses membres, et il n'y avait pas de recours contre ses décisions; on assimilait ainsi les conseils généraux aux chambres législatives. Mais ce système avait donné lieu à de graves abus. Les questions de droit relatives à l'éligibilité des candidats, aux formes à suivre pour les élections, aux influences illégitimes qui avaient pu vicier les opérations, étaient tranchées dans des sens différents, et parfois l'opinion politique, qui dominait dans le conseil général, exerçait une influence considérable sur la décision. L'Assemblée nationale elle-même a reconnu qu'il fallait un juge pour les résoudre impartialement et uniformément. La loi du 31 juillet 1875 a ouvert directement un recours devant le Conseil d'État, sauf au Conseil à renvoyer devant les tribunaux civils les questions préjudicielles d'état et de domicile.

D'après la loi de 1833, les conseillers généraux étaient élus pour neuf ans; le renouvellement se faisait par tiers. On voyait là une garantie, pour maintenir l'esprit de suite dans la gestion des affaires départementales. Différents systèmes ont été proposés, lors de la discussion de la loi de 1871,

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