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l'être entre individus, sans la crainte du gendarme! Est-ce qu'aujourd'hui un vainqueur, si complet que soit son triomphe, oserait encore maltraiter les blessés, massacrer les prisonniers, piller les populations sans défense? Et que de progrès, plus frappants encore, accomplis dans la guerre maritime, sans autre garantic que la sanction de l'opinion! Il faut toujours avoir confiance dans le progrès des idées, et c'est par là que la théorie humanitaire est infiniment supérieure à la théorie martiale de l'occupation; elle est progressive, tandis que l'autre est immobile; c'est donc à elle qu'appartient l'avenir, si la loi d'évolution continue de l'humanité n'est pas un vain mot.

La théorie humanitaire de l'occupation, justement parce qu'elle ne subit point passivement les faits, parce qu'elle est une idée, a donc besoin, pour être efficace, de devenir une idée universelle. Et, pour en arriver là, il faut notamment qu'elle s'impose à l'esprit des soldats et, avant eux, à l'esprit de leurs chefs. Sa diffusion nécessaire est une application de cette question si complexe et si actuelle de l'éducation du soldat. La modération dans la victoire, le respect des droits du vaincu n'a pas d'autre garantie que l'humanité du chef et l'ascendant moral de celui-ci sur ses hommes. Le « suivezmoi » de la nouvelle Ecole du soldat (1) prend une portée bien plus vaste que celle d'un commandement donné par un instructeur entraînant sa troupe sur ses pas; c'est une formule de direction morale, autant que d'entraînement physique; il contient pour le chef un devoir d'éducation complète, devoir d'autant plus impérieux qu'aujourd'hui on tend, non sans quelque raison, à atténuer son pouvoir disciplinaire, son droit de punir.

(1) Règlement provisoire sur les manœuvres de l'infanterie, du 8 octobre 1902, bases de l'instruction, titre Ier, § 6.

Pour que cependant la discipline reste ce qu'elle doit être, il faut donc que l'officier regagne en autorité morale ce qu'il perd en droit de correction. Et dès lors il faut qu'il s'élève lui aussi constamment, que sa vie militaire ne soit qu'une longue éducation de lui-même en même temps que des autres, s'il veut être toujours à la portée des générations successives, de plus en plus instruites, de plus en plus affinées, qu'il est chargé d'initier, s'il veut enfin ne pas se trouver un jour un arriéré parmi ses hommes. Nous sommes donc bien loin aujourd'hui de cet officier de métier, borné au rôle d'instructeur, auquel on imposait pour premier devoir de ne pas s'occuper « de choses étrangères à l'armée ». Cette vieille formule est une légende que je veux croire disparue. Il n'y a plus de choses étrangères à l'armée, parce qu'elle est une école non plus seulement d'ins truction militaire, mais d'éducation générale, et que toute connaissance acquise par le chef est un moyen d'éducation et d'ascendant moral. Par la haute culture de soi-même dont il s'est fait une loi constante, l'auteur de cet ouvrage est, mieux que tout autre, à même de comprendre ce rôle si grand de l'officier d'aujourd'hui, et il est bien qualifié pour se faire le défenseur de l'une de ces grandes idées d'humanité, qui doivent entrer dans la conscience du soldat de demain. Je souhaite qu'il soit compris; il n'a pas d'autre ambition.

L. MICHON,

Professeur agrégé à la Faculté

de Droit de Nancy.

DE LA

NATURE DE L'OCCUPATION DE GUERRE

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE

DÉFINITIONS

1. En droit, le mot occupation a plusieurs significations, d'où dérivent des conséquences juridiques différentes (1).

2. En droit civil, c'est un mode d'acquisition de la propriété, consacré jadis par le Droit romain, et, fort probablement, par les droits primitifs antérieurs.

D'après les articles 539 et 713, « tous les biens vacants et sans maître appartiennent à l'État ». Il ne s'agit ici que des immeubles ou des meubles, considérés les uns comme les autres au point de vue de l'universalité. Quant aux choses mobilières isolées,

(1) Cf. DEPAMBOUR, Des effets de l'occupation sur la propriété. Paris, 1900, thèse; BRAY, De l'occupation militaire en temps de guerre. Paris, 1894, these.

ce sont elles qui tombent sous le coup de l'occupation. D'autre part, l'énumération légale des divers modes d'acquérir, contenue dans les articles 711 et 712 de notre Code civil, n'en fait pas mention, mais il est évident que l'occupation, considérée à ce point de vue spécial, s'applique à certaines res communes dans les conditions indiquées par l'art. 714; aux res nullius, en dehors de celles énumérées aux articles 539 et 713, c'est-à-dire aux produits de la chasse, de la pêche, anx plantes et herbages qui croissent sur les rivages de la mer, et des eaux courantes; aux res derelictæ, c'est-à-dire à toutes les choses que le propriétaire a abandonnées parce qu'il n'en voulait plus; enfin aux trésors et à certaines épaves, cas où l'occupation prend alors le nom d'invention (1). 2 bis. « Dans un sens moins restreint, « M. Bray (2), l'occupation s'entend du simple fait « de s'emparer d'une chose, abstraction faite de l'in<< tention de l'occupant, et du temps que dure ou

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dit

peut durer l'occupation. Ainsi, en matière de mines, « de travaux publics, de chemins de fer, on recon« naît à l'administration ou à ses concessionnaires « un droit dit d'occupation temporaire, en vert u duquel il leur est permis, moyennant indemnité,

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de déposer ou d'extraire des matériaux sur la pro

priété d'autrui, et d'y établir des chantiers et ate

<< liers. >>>

(1) Cf. BAUDRY-LACANTINERIE, Précis de droit civil, t. II; PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, t. I.

(2) BRAY, op. cit., suprà, p. 126.

3. En Droit international public, le mot occupation a plusieurs acceptions courantes, très distinctes les unes des autres, et dont la diversité tend à s'accuser encore sous l'influence des décisions rendues par les tribunaux d'arbitrage.

4. Par extension de la définition romaine, en vertu de laquelle l'occupation consistait à prendre possession d'une chose n'appartenant à personne, avec l'intention d'en rester propriétaire, on entend, de nos jours, par « occupation», en Droit international, un mode d'acquérir non plus la simple propriété, mais la souveraineté sur des territoires sans maître. Cette acception a reçu, pendant le dernier tiers du xix° siècle, et continue à recevoir encore des applications remarquables, notamment pour le partage de l'Afrique; la théorie de l'Hinterland en est une conséquence directe (1).

5. L'occupation peut encore se produire par suite de l'intervention d'un État dans les affaires d'un autre. État, que cette intervention soit le résultat d'un appel direct de la part du souverain de l'État occupé, comme il arriva en 1859, quand l'armée française occupa le Piémont du consentement de Victor-Emmanuel, ou qu'elle soit provoquée, dans l'intérêt des

(1) Cf. un article de FRANTZ-DESPAGNET, Revue de Droit international public, t. I; BANNING, le Partage politique de l'Afrique; ENGELHARD, Etude sur la déclaration de la Conférence de Berlin. Revue de Droit international, t. XVIII; DE MARTENS, la Conférence du Congo à Berlin, R. D. I., t. XIII; SALOMON, l'Occupation des territoires sans maître; GALTIER, Des conditions de l'Occupation des territoires. Toulouse, 1901, thèse.

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