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berté telle que votre jugement pût ne jugement pût ne pas être exécuté, ce qui seroit le résultat des passions qui vous environnent; et, citoyens, prenez garde qu'en faisant exécuter votre jugement à l'instant, vous allez nécessairement hâter les malheurs dont vous êtes menacés. Souvent, à cette tribune, j'ai entendu blâmer des orateurs, blâmer ceux qui pouvoient avoir quelque inquiétude sur la guerre, dont l'Europe entière nous menace; mais je ne sais si c'est bien servir son pays que de hâter le moment où cette guerre viendra fondre sur nous; car enfin elle nous coûtera des hommes, et fera répandre le sang de nos concitoyens. Nos finances même peuvent en être épuisées, et l'ordre, l'industrie et le commerce ne peuvent pas renaître au milieu des orages et des désordres inséparables d'une pareille guerre.

Vous craignez peut-être que l'exécution de ce jugement étant retardée, ne laisse des dissensions parmi les Français, n'occasionne une diversité d'opinions qui pourroit devenir funeste à l'unité même si nécessaire au bonheur de la république. Mais, citoyens, calculez d'une part les maux inévitables que la précipitation de votre jugement doit entraîner, avec cette diversité qui ne peut naître, parce qu'elle n'a aucun sens commun, parce que vous-mêmes n'aurez pas donné lieu à son développe→ ment; tâchez de combiner ces idées de sagesse avec tous les dangers qui vous environnent, et voyez vous-mêmes si la nécessité publique ne vous commande pas de mettre un intervalle entre le jugement et l'exécution.

Je ne veux point éloigner ces jugemens à une grande distance, mais je veux seulement que vous preniez les mesures convenables pour assurer, non pas seulement aux membres de cette assemblée, non pas seulement aux Parisiens, mais encore à tout l'empire, que ce jugement a été rendu sans aucune influence; et je demanderois

d'abord que vous prissiez des mesures, car le moment est arrivé où vous devez en prendre. Je voudrois qu'aux yeux de la France, aux yeux de l'Europe entière, vous prissiez enfin le caractère qui vous convient, pour commander aux passions particulières, aux volontés partielles qui n'ont que trop souvent exercé leur empire dans nos assemblées. Je voudrois surtout que, pour écarter loin de nous toutes sortes de divisions, que pour qu'on sache enfin qu'en faisant mourir Louis sur l'échafaud, nous n'avons pas été les instrumens d'une faction quelconque, nous puissions mettre un sursis entre le jugement et l'exécution; afin que nous-mêmes, nous qui avons demandé l'appel au peuple, qui avons demandé la détention, nous ayons l'assurance que désormais il n'existera plus de roi en France, il n'y aura plus de parti qui veuille en mettre un autre sur le trône que l'on évacue.

Il faut donc, citoyens, mettre un intervalle entre le jugement et l'exécution; il le faut pour le bonheur, pour le salut public: j'ai l'intime conviction que l'on veut un roi à la place de celui-ci, qu'il existe un parti qui en

veut élever un autre.

Eh bien! je vous conjure, pour que nous n'ayons plus d'inquiétudes dévorantes, pour que l'on ne croie pas que nous avons été l'instrument de ce parti, de ne pas perdre de vue ce qui s'est passé en Angleterre dans une pareille occasion. Rapprochez les événemens de ceux où nous sommes, vous verrez que ce parti ne veut la mort de Louis XVI que pour y placer un autre roi. (On murmure.)

J'avoue que je ne m'attendois pas à ces murmures; ils ne viennent certainement que de ceux qui sont du parti d'Orléans (nouveaux murmures). Eh bien! citoyens, je ne vous le dissimule les murmures qui pas, s'élèvent

continuellement, quand il s'agit de cet homme qui me cause les plus cruelles inquiétudes, ne justifient que trop à mes yeux l'existence de ce parti. Ce sont ces murmures qui m'ont jusqu'à présent fait balancer à juger Louis XVI.

Je sais que les chefs de cette faction ont dit partout, ont écrit dans tous les journaux, ont juré sur tous les sens, qu'ils ne vouloient pas être rois. Et que n'importent, à moi, leurs dires, leurs sermens? Les fils des rois ne connoissent que leurs intérêts. Permettez à un vrai républicain de le dire, le crime et le parjure sont là; c'est avec cela qu'ils montent sur le trône, et qu'ils s'y perpétuent. Que l'on chasse donc d'Orléans et ses fils, et demain tous dissentimens cessent entre nous.

Je conclus à ce qu'il y ait intervalle entre le jugement et l'exécution, et que, dans cet intervalle, on exile tous les prétendans au trône, tous ces hommes qui ne peuvent aimer la liberté et l'égalité, tous ces hommes qui ne sont que les instrumens des puissances étrangères, des despotes, à qui il importe peu avec qui ils s'allient, pourvu qu'ils soient sur le trône.

No. 430. Brissot, dép. d'Eure et Loire.

Je conçois aisément les terreurs qui doivent agiter de bons patriotes, en voyant qu'on veut prolonger l'existence d'un homme qui a sacrifié à son ambition tant de milliers de ses frères. Et qui plus que moi a dû les partager? moi qui ai senti de bonne heure une haine profonde, et contre les tyrans, et contre leurs valets? Qui plus que moi désire leur destruction? Qui plus que moi est persuadé que tous les supplices ne peuvent expier les forfaits de cet homme? Mais une plus haute considération doit ici nous diriger; il ne s'agit pas de l'existence d'un

homme : ceux-là seuls ne sont pas à la hauteur de la question, qui ne voient ici qu'un homme, qui ne vous parlent que de ses crimes; il s'agit de l'existence, du bonheur ou du malheur de la république. C'est une fatalité bien déplorable pour les vrais amis de la liberté, que de voir de si grands intérêts attachés au jugement d'un individu si exécrable; mais cela est. Cherchons de bonne foi quel parti peut convenir le mieux à ce grand intérêt, et surtout ne calomnions pas réciproquement nos intentions. De quoi s'agit-ilici? de cette unique question: Est-il de l'intérêt politique de la France que l'exécution de Louis soit retardée ? Je dis oui, et le prouve. On ne me contestera pas que cette exécution blessera l'intérêt politique de la France; si je prouve qu'elle arme contre elle l'opinion générale de l'Europe, qu'elle sera un prétexte pour aliéner les nations amies de la France, qu'elle diminuera le nombre de nos amis, qu'elle augmentera le nombre de nos ennemis, sans nécessité, à une époque désastreuse, et sans que nous puissions opposer à cette coalition universelle cette grande association dans un seul jugement de la nation entière, association qui seule pouvoit nous donner les forces qui nous sont nécessaires. La nation n'a rien à craindre tant qu'il y aura unité d'opinion, parce que les cours malveillantes ne hasarderont jamais de heurter une masse aussi imposante; parce que, quoique ces rois aient à leur disposition des armées nombreuses, leurs efforts seront toujours impuissans dans une guerre contre une nation entière, tant qu'ils n'auront pas pour eux le vœu de leurs propres nations; car les choses en sont venues au point que, même sous le despotisme, l'opinion nationale fait tout, et est partout maintenant consultée; et voilà pourquoi ce cabinet de Saint-James prend tant de peine pour corrompre l'opinion des Anglais; voilà pourquoi la cour de Vienne joue aujourd'hui le même jeu dans l'Autriche, et cher

che, par tous les moyens, à nationaliser la guerre; voilà pourquoi Frédéric-Guillaume n'ose retourner à Berlin: il craint l'opinion et l'insurrection; voilà pourquoi tous défendent nos papiers. Mais les actes solennels d'une nation libre se jouent des inquisiteurs, proclament les droits éternels des peuples, et lui font partout des prosélytes; je le dis avec la confiance d'un homme qui, dans ses études de révolution, a pétri mille fois cette matière. Ayez pour vous l'opinion des nations de l'Europe, ou, en d'autres termes, soyez grands et justes, et la guerre sera bientôt finie, et les tyrans seront anéantis ou tranquilles. Pourquoi? c'est parce que tous les tyrans craignent des insurrections à l'instar de la révolution française, et Georges vous le prouvera. Ces insurrection peuvent être allumées à chaque instant par tous les fléaux qu'entraînent la guerre, pas les pertes d'hommes, les impôts, le renchérissement des denrées, la banqueroute, etc.; d'où il résulte une guerre longue et nécessairement impossible, et surtout une guerre de la tyrannie contre la liberté et presque impraticable, à moins qu'elle ne soit favorisée par l'égarement des peuples.

y a

Puis donc que l'opinion des peuples de l'Europe vaut pour vous des armées, il faut mettre cette opinion de votre côté dans toutes vos opérations; il faut la mettre de votre côté dans la question qui vous agite. Et maintenant de quel oil croyez-vous que l'exécution. œil immédiate de Louis sera accueillie en Europe? Il deux espèces d'hommes en Europe: les hommes libres de tous préjugés, et ceux qui tiennent encore aux préjugés derivant de l'esclavage. Les premiers, envisageant philosophiquement la question, n'y verront qu'un supplice inutile à la liberté, car jamais un républicain ne pourra être amené à croire que, pour que ving' cinq millions d'hommes soient libres, il faut qu'un

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