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lignes principales. Au point de vue de l'industrie, des transactions commerciales et de la défense du pays, l'achèvement de ces grandes voies de communication était indispensable dans le délai le plus rapproché possible. Il fallut confesser que la France eût fait une économie de plus de 120 millions, si, au moment des arrivages de grains étrangers, elle avait eu des moyens de transport rapides établis sur divers points du royaume. Il était donc du devoir de l'administration de venir au secours des compagnies dont la crise financière pourrait entraver momentanément la marche. Le gouvernement et les Chambres le, firent sans doute, mais dans une proportion insuffisante.

De toutes les lignes de chemins de fer en construction, aucune ne réclamait, par des motifs plus décisifs, une exécution immédiate, que celle de Lyon à Avignon. On comprend les immenses avantages que le pays devait retirer de l'établissement d'une communication rapide et économique entre Paris et la Méditerranée, entre Strasbourg et Marseille. Les retards apportés à l'exécution de ce tronçon devaient rendre en partie stériles les deux voies dont il serait la jonction indispensable.

Et pourtant, abandonnée à ses propres ressources, la société constituée pour la construction de ce chemin fut obligée de se dissoudre, sans que rien fût décidé pour l'avenir.

En résumé,

A l'ouverture de la session dernière une seule pensée préoccupait les pouvoirs publics et paraissait devoir dominer les travaux parlementaires. La France était menacée d'une disette, et les conséquences d'une telle épreuve, en laissant entrevoir les embarras les plus graves, ouvrirent des perspectives non moins sombres que nouvelles.

Cette situation difficile avait été traversée d'une manière plus heureuse qu'on ne pouvait raisonnablement s'y attendre. Les Souffrances des populations atténuées par une large dispensation du travail et une plus grande rapidité imprimée à notre machine administrative, l'ordre public et la liberté des transactions partout et toujours maintenus, malgré quelques excès

passagers, c'étaient là des serviees considérables rendus à la société, et dont il semblait juste de tenir compte au gouver

nement.

Toutefois, il ne fallait pas l'oublier, c'était encore en engageant l'avenir qu'on avait conjuré les dangers du présent. Les ressources de l'amortissement seraient, longtemps encore, appliquées à une destination détournée, et le découvert du budget n'avait fait que s'accroître. Les conséquences de cette situation financière ne pourraient-elles pas quelque jour s'étendre jusque sur notre situation politique? Une nation chargée d'une dette flottante de 800 millions garderait-elle la liberté de ses mouvements? Fallait-il laisser accréditer cette opinion que la France a besoin de la paix et qu'elle supporterait difficilement la guerre ?

L'administration sous laquelle s'étaient produites ces difficultés nouvelles en ressentit le contre-coup. Plusieurs fois, pendant le cours de cette année, sa durée fut mise en doute, et, malgré la majorité dont elle jouissait dans la Chambre élective, elle se sentit profondément atteinte dans sa position.

Un accident funeste lui enleva d'abord un de ses membres les plus distingués.

Vers la fin du mois de février, une maladie subite de M. Martin (du Nord) ouvrit une vacance dans un des départements ministériels les plus importants, celui de la justice et des cultes. M. Martin (du Nord) succomba le 11 mars. Ministre des travaux publics dans le cabinet du 15 avril, il avait jeté les bases de notre réseau de chemins de fer qu'il s'efforça vainement de faire exécuter par l'État. Ministre des cultes dans l'administration actuelle, il avait dû lutter à la fois contre les tendances les plus opposées; accusé de tyrannie par les uns, de faiblesse par les autres, il avait dû ménager les défiances les plus contraires, et T'heureuse issue de la négociation relative aux jésuites avait prouvé que sa conduite était la meilleure à suivre, sinon la plus facile.

M. Hébert, procureur général près la cour royale de Paris,

vice-président de la Chambre élective, fut appelé à remplacer celui que la France venait de perdre (14 mars).

Après le vote significatif de la proposition Rémusat, le ministère avait vu sa position sinon compromise, au moins affaiblie. La discussion de la loi sur les crédits supplémentaires avait été pour lui l'occasion de plus d'un échec. Attaqué personnellement, M. Lacave-Laplagne s'était vu abandonné par ses collègues, et M. de Mackau, combattu, non pas seulement par l'opposition, mais encore par des conservateurs éminents, avait rencontré des adversaires jusque dans le sein du conseil.

Cette situation ne pouvait se prolonger sans péril : il fallait un prompt dénouement à cette crise ministérielle. Le 8 mai, MM. Moline de Saint-Yon et de Mackau déposèrent leur démission entre les mains du Roi. M. Lacave-Laplagne ne crut pas devoir imiter l'exemple de ses collègues et attendit, pour se retirer, que l'ordre lui en fût donné par le chef de l'État. Après quelques difficultés survenues dans la recomposition du ministère, M. le général Trézel fut nommé au département de la guerre; M. Jayr, aux travaux publics, et M. le duc de Montebello, ambassadeur de France près S. M. le roi des Deux-Siciles, au ministère de la marine.

Les trois ministres nouveaux allaient faire leurs débuts dans les affaires. M. Jayr avait fait ses preuves dans la première préfecture de France. Le général Trézel portait un des noms les plus honorables de l'armée, et M. le duc de Montebello, diplomate habile, ne serait pas le premier exemple d'un homme d'État sans spécialité, placé utilement au département de la marine. Parmi les ministres sortis du Cabinet, celui qui excita le plus d'intérêt fut M. Lacave-Laplagne, qui apportait dans l'administration des finances des aptitudes spéciales très-remarquables. Les fautes qu'on put lui reprocher étaient peut-être surtout les fautes de la situation. Il avait paru, disait-on, qu'il n'avait pas l'autorité politique et l'ascendant nécessaires à son rôle. Des raisons de dignité personnelle empêchèrent d'ailleurs M. LacaveLaplagne de donner sa démission; mais la manière dont il quitta

l'administration ne put faire soupçonner de sa part aucun regret, aucune hostilité contre le ministère qu'il se voyait forcé de quitter. Rien de plus convenable que les explications données par l'ancien ministre, en réponse aux interpellations de M. Odilon Barrot. Les conseils pleins de sagesse qu'il adressa au parti conservateur puisèrent, dans sa position nouvelle, une autorité désintéressée qui réveilla un sentiment unanime au sein de la majorité.

Peut-être ce remaniement ministériel avait-il introduit dans le Cabinet un élément provisoire de plus, au lieu de lui avoir apporté la force définitive dont il avait besoin.

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Il y avait encore pour le Cabinet une autre cause d'affaiblissement qui devait devenir sensible sitôt que des difficultés se produiraient; à savoir, l'absence d'une direction visiblement imprimée au ministère par un président réel. Rien ne remplace dans une administration une autorité dirigeante officiellement attribuée. Sans doute, la principale influence appartient toujours à certaines supériorités; mais il est des circonstances où l'influence ne suffit pas, où il faut un pouvoir légalement reconnu, devant lequel toutes prétentions s'effacent avec une sécurité complète pour tous les amours-propres.

Depuis longtemps la présidence du conseil n'était plus entre les mains de M. le maréchal Soult qu'une distinction purement honorifique. La direction réelle du Cabinet appartenait à M. Guizot. Le titre était d'un côté, l'autorité de l'autre. Cette situation était contraire aux principes de notre gouvernement, qui ne veulent pas que les attributions et la responsabilité se trouvent divisées. Ce qu'il y avait là d'irrégulier devint encore plus manifeste quand M. le maréchal Soult eut résigné le portefeuille de la guerre. Enfin, M. le duc de Dalmatie pensa que le moment de la retraite était venu pour lui, et il demanda au Roi le repos mérité par ses vieux services. En se rendant à cette demande, le chef de l'État décora son plus illustre serviteur d'un titre qui, dans les anciens temps, avait été accordé aux plus éclatantes d'entre nos gloires militaires.

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Voulant donner au maréchal duc de Dalmatie un témoignage de satisfaction qui répondit aux grands et nombreux services qu'il avait rendus au pays, dans sa longue et glorieuse carrière, le Roi le nomma maréchal-général de France. C'était là une dignité dont notre histoire présente quelques exemples fameux. En 1660, elle fut créée pour le maréchal de Turenne, et accordée, en 1732, au maréchal de Villars.

En passant des mains de M. le maréchal Soult dans celles de M. Guizot (19 septembre), la présidence du conseil allait-elle reprendre toute son importance? M. le ministre des affaires étrangères verrait-il dans son avénement une obligation et un moyen d'imprimer à la marche des affaires une direction plus sûre et plus ferme? M. Guizot était porté par la force des choses à un poste qu'il ambitionnait depuis longtemps sans l'occuper : cette modification nouvelle du cabinet du 29 octobre devait-elle rester stérile?

Le ministre désormais officiellement placé à la tête de l'administration française, c'était celui qui naguère, à Lisieux, prononçait des paroles célèbres toutes pleines de promesses, et montrait la certitude des réformes dans la confiance accordée au parti conservateur. Mais aussi, aux yeux de l'opposition, c'était l'homme qui, oubliant ses promesses, venait de déclarer hautement à la France, du haut de la tribune, que les réformes si longtemps, si impatiemment attendues, il faudrait les attendre

encore.

On a vu que ce langage et cette conduite avaient eu pour résultat une scission momentanée dans la majorité.

L'opposition profita habilement des avantages que lui offraient les embarras du parti conservateur. Elle se prépara à exploiter, par l'agitation politique, le trouble et le découragement des esprits. C'était son droit, et on ne pouvait que déplorer l'inaction dans laquelle elle s'était si longtemps arrêtée. L'agitation politique, en effet, n'est-ce pas la véritable forme de l'esprit de liberté ? La campagne de l'opposition fut inaugurée par un banquet politique dans lequel elle proclama sa devise et

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