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Ces droits sont de véritables servitudes, car ils constituent des charges imposées sur un fonds pour l'usage et l'utilité d'un autre fonds.

Les servitudes naissent à l'occasion des eaux, lorsqu'elles s'exercent sur le fonds du propriétaire inférieur, obligé de recevoir ces eaux, ou sur le fonds du propriétaire supérieur, obligé de les transmettre.

Elles sont établies sur les eaux, lorsqu'elles frappent plus particulièrement le cours d'eau lui-même, considéré abstractivement comme fonds asservi au profit de l'usine ou du fonds dans lequel ou pour lequel est pratiquée la prise d'eau.

» Les fonds inférieurs, porte l'art. 640, sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés, à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l'homme y ait contribué. Le propriétaire inférieur ne peut point élever de digue qui empêche cet écoulement. Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur. »

VII. Il peut importer beaucoup au possessoire de vérifier le fait de l'écoulement naturel des eaux. Si, par exemple, il n'a pris naissance que depuis moins d'un an, et que le propriétaire inférieur élève une digue qui opère un reflux dommageable au fonds supérieur, le propriétaire de celui-ci sera fondé à se plaindre, non du trouble à l'exercice de la servitude (sa possession n'est pas annale), mais du trouble à la jouissance de la propriété. Il en serait tout différemment d'un écoulement artificiel.

VIII. La même distinction serait encore utile, si la complainte était exercée par l'inférieur. Son action ne serait pas recevable pour l'écoulement naturel, car un fait indépendant de l'homme et qui rentre dans l'ordre naturel des choses, ne constitue pas un trouble. Elle devrait au contraire être admise pour l'écoulement artificiel.

IX. Si l'écoulement des eaux avait duré un an, la distinction serait indifférente, car, dans les deux cas, la complainte serait également recevable de la part du propriétaire supérieur. Elle serait fondée dans le premier sur une possession légale (art. 640), et dans le second sur la possession d'une servitude continue et apparente, la servitude d'égout (article 638).

X. L'art. 640 ne s'appliquerait pas aux eaux tirées d'un puits, d'un réservoir, pour l'irrigation du fonds supérieur, par la raison que leur écoulement ne proviendrait pas d'une cause purement naturelle. Cet écoulement, eût-il duré plus d'un an, n'autoriserait pas la complainte, alors même qu'un égout aurait été pratiqué pour recevoir les eaux et les faire

tomber sur le fonds inférieur. Dans ce cas, en effet, la servitude aurait besoin, pour être exercée, du fait actuel de l'homme; elle ne serait plus continue comme lorsqu'il s'agit d'eaux vives ou pluviales.

XI. Les eaux ménagères et l'égout des toits ne sauraient rentrer non plus dans la disposition de l'art. 640. La présence des premières sur le fonds supérieur ne peut être attribuée à une cause naturelle, et l'écoulement des autres, à l'aide d'une construction, est évidemment artificiel. C'est au surplus ce qu'ont jugé plusieurs arrêts. (Cour de Colmar, 5 mai 1819; Cour de cass., 15 mars 1830.)

D'ailleurs, tout propriétaire doit établir ses toits de manière que les eaux pluviales s'écoulent sur son terrain ou sur la voie publique. Il ne peut les faire verser sur le fonds voisin. (Art. 681 du Code civ.)

XII. Le juge de paix est sans contredit compétent pour vérifier en fait si l'écoulement est naturel ou s'il est artificiel.

XIII. La disposition de l'art. 644, sur laquelle est fondée l'obligation, pour le propriétaire supérieur, de transmettre à l'inférieur le cours d'eau qui borde ou traverse son héritage, donne lieu à d'assez graves difficultés.

Pour exercer l'action possessoire, il faut être en possession depuis un an. Le propriétaire inférieur, qui n'a fait aucun acte spécial de jouissance sur les eaux qui bordent son héritage, peut-il intenter complainte contre le propriétaire supérieur qui détourne ses eaux?

Son action sera recevable, car il lui était loisible d'user à chaque instant de ces eaux, et cette faculté équivaut à une possession réelle (voir Actions possessoires, t. 1, p. 77, n° 3 et 4). Aussi la cour de cassation, chambre des requêtes, at-elle jugé, par arrêt du 27 mars 1832, que « la possession d'une eau courante qui borde une propriété ou la traverse, résulte, au profit du fonds inférieur, de cela seul que l'eau, en suivant son cours naturel, arrive à ce fonds, et de l'obligation imposée au propriétaire supérieur de la rendre à son cours naturel, à la sortie de sa propriété »

XIV. Mais quelle sera pour le juge de paix la mesure de cette possession facultative du propriétaire inférieur ? Supposons que le propriétaire supérieur, en usant des eaux à leur passage, comme il en a le droit, absorbe la plus grande partie de ces eaux et ne les rende qu'en très-petite quantité. Pour quelle portion d'eau l'inférieur pourra-t-il prétendre qu'il a été troublé ?

Si la faculté qu'il avait, d'après la loi, de jouir des eaux, réunie au fait de leur écoulement devant sa propriété, équivaut pour lui à la possession, on doit en dire autant du pro

priétaire supérieur. N'y aura-t-il pas lieu d'arbitrer dans quelle proportion cette jouissance facultative peut être invoquée de part et d'autre ?

Nous pensons que l'affirmative est fondée, et qu'elle est la conséquence forcée du principe reconnu par l'arrêt du 27 mars 1832. Si le juge de paix est ainsi amené nécessairement à examiner les besoins respectifs des deux propriétés, ce n'est pas pour faire un réglement dans les termes de l'art. 645 et donner un titre aux parties; c'est seulement, et il fera bien de l'exprimer, pour s'éclairer sur cette possession facultative que les principes ne permettent pas de méconnaître.

XV. Le juge de paix pourrait encore, suivant nous, exercer cette sorte d'arbitrage, si le riverain inférieur, jouissant déjà d'une prise d'eau ou d'un moulin depuis une année et plus, prétendait être troublé dans sa possession par le propriétaire supérieur, qui userait de la faculté ouverte à son profit par l'art. 644. Le trouble n'existerait pas, en effet, si le propriétaire supérieur n'avait fait que réaliser la possession facultative dont nous avons parlé. Mais celle-ci ne peut être invoquée utilement que sous une double condition. Il faut que le riverain jouisse en droit et en fait de la faculté que lui donne la disposition de la loi.

Ainsi, nous avons vu précédemment que la faculté attribuée aux riverains par l'art. 644, était implicitement subordonnée aux dispositions prises par l'administration pour l'usage des eaux. Si donc le propriétaire inférieur change l'état naturel des eaux, en vertu d'une concession administrative, d'un titre, le propriétaire supérieur ne pourra pas s'opposer à cette innovation, en se fondant sur une faculté qui, en droit, n'existe plus. (Voir l'arrêt ci-dessus rapporté, du 14 février 1833.)

De même encore, si la possession annale du propriétaire inférieur est telle qu'elle ait innové à l'état primitif du cours d'eau devant la propriété du riverain supérieur, et que par conséquent celui-ci n'ait pas en fait conservé la faculté de jouir à chaque instant des eaux dans leur cours naturel, l'action du propriétaire inférieur devra être admise.

. C'est ce qui nous paraît résulter a contrario de l'arrêt sui

vant:

• Considérant qu'il est constaté en point de fait, 1° que les propriétés de Blache sont situées supérieurement à celles du demandeur; 2° que le ruisseau en question traverse librement et naturellement l'héritage de Blache; 3° que le demandeur ne prend les eaux que dans ses possessions inférieures; 4° que dans les ouvrages pratiqués par Blache, il se sert à la vérité des

eaux pour arroser ses fonds; mais qu'à la sortie de ses fonds il les rend à leur cours ordinaire ;

» Attendu qu'aux termes de l'art. 644, conforme aux anciens principes de la matière, celui dont l'eau d'un ruisseau traverse l'héritage peut en user dans l'intervalle qu'elle y parcourt, mais à la charge de la rendre à la sortie de ses fonds à son cours ordinaire ;

» Attendu que c'est là un droit purement facultatif dont le non-usage ne peut nuire au propriétaire du fonds supérieur; d'où la conséquence que, quand bien même ce propriétaire n'aurait pas profité de la faculté que la loi lui accorde, et aurait laissé couler l'eau tout entière le long de son cours naturel dans les fonds inférieurs qui en auraient profité, les propriétaires de ces fonds ne pourraient pas se prévaloir de ce non-usage pour en induire en leur faveur une possession exclusive, à titre de propriété ou de servitude. » (Cour de cass., 10 février 1824.)

XVI. Ce que nous venons de dire de la servitude imposée au fonds supérieur, au profit du fonds inférieur, et qui consiste dans l'obligation de transmettre l'eau courante, ne s'applique pas au fonds dans lequel existe la source. L'inférieur est bien obligé de souffrir l'écoulement naturel des eaux de cette source (art. 640); mais celui dans le terrain duquel elle se trouve n'est pas obligé de la livrer à son cours naturel. II en est propriétaire, et peut conséquemment en user comme bon lui semble (art. 641), sauf, ajoute la même disposition, le droit que le propriétaire du fonds inférieur pourrait avoir acquis par titre ou par prescription.

XVII. Quels actes le propriétaire inférieur pourra-t-il invoquer comme établissant une possession suffisante ? Le seul fait de l'écoulement des eaux sur sa propriété n'aurait certainement pas ce caractère, car il ne constituerait que l'exercice d'une servitude au profit du fonds supérieur. (Cour de cass. 25 août 1812.)

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Il en serait autrement, si l'inférieur produisait un titre. Dans ce cas, l'écoulement des eaux serait considéré comme étant la conséquence d'un droit, et non comme un fait de souffrance.

Hors cette exception, l'inférieur n'a d'action que si, depuis un an avant le trouble, il a fait et terminé des ouvrages apparents, destinés à faciliter la chute et le cours de l'eau dans sa propriété. (Art. 642.)

XVIII. Est-ce sur le fonds supérieur que doivent être faits les travaux dont parle l'art. 642 ?

M. Pardessus, Traité des Servitudes, no 95, semble penser

qu'il suffit que les ouvrages soient faits et terminés sur le fonds inférieur. La raison qu'il en donne, c'est que la loi exige seulement que les ouvrages soient destinés à faciliter la chute et le cours de l'eau dans la propriété inférieure.

Cependant le contraire a été jugé par arrêts de la cour de cassation, des 25 août 1812 et 6 juillet 1825.

Cette décision nous paraît être entièrement conforme aux vrais principes. La possession susceptible de faire acquérir un droit est celle-là seule qui peut être contredite par le propriétaire. Or, le propriétaire supérieur n'a en aucune façon le droit d'exiger la destruction de travaux faits sur le fonds inférieur. Garnier, Vazeille, Dubreuil, Henrion de Pansey et Toullier partagent notre opinion.

XIX. Il n'est pas toujours possible de connaître le véritable auteur des travaux, et il est évident que s'ils ont été exécutés par le propriétaire supérieur pour faciliter l'écoulement des eaux sur le fonds inférieur, le propriétaire de ce fonds n'aura pas le droit de s'en prévaloir. Dans ce cas, lorsqu'il résulte de l'inspection des lieux que les travaux ont eu pour objet l'utilité du fonds inférieur, on doit présumer qu'ils ont été faits par le propriétaire de ce fonds. (Même arrêt du 6 juillet.)

XX. Le canal souterrain, apparent seulement à l'entrée du fonds inférieur, et qui n'a pu être construit que dans l'intention de ramener les eaux sur ce dernier fonds, remplit suffisamment le vœu de l'art. 642. (Cour de cass., 12 avril 1830.)

XXI. Le propriétaire de la source ne pourrait en changer le cours, s'il fournissait aux habitants d'une commune, village ou hameau, l'eau qui leur serait nécessaire. (Art. 643.)

Si donc, depuis un an, la communauté jouissait des eaux, la complainte serait recevable contre le propriétaire de la source qui en changerait le cours. Peu importerait qu'aucun ouvrage n'eût été fait pour faciliter l'usage de ces eaux, car ici la servitude est fondée en titre, et ce titre, c'est la loi.

XXII. La disposition de l'art. 643 suppose que les eaux ont pris un cours, qu'elles sont sorties du fonds supérieur. S'il en était autrement, la communauté n'exercerait qu'une servitude de puisage, laquelle, aux termes des art. 688 et 691, ne saurait être acquise par la possession, et ne peut être l'objet d'une action possessoire.

XXIII. Si l'eau, au lieu d'être nécessaire, était seulement utile à la communauté, l'art. 643 serait sans application possible, et la communauté, se trouvant sans titre légal, rentrerait pour la possession sous l'empire des règles ordinaires.

XXIV. La disposition précitée doit s'étendre aux fontaines,

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