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adoptée par le roi, parce que, s'il refusait de convoquer vingt mille hommes régulièrement choisis, quarante mille se lèveraient spontanément et envahiraient la capitale. Dumouriez assura d'ailleurs qu'il avait un moyen d'annuler cette mesure, et qu'il le ferait connaître en temps convenable. Il soutint de même que le décret sur la déportation des prêtres devait être sanctionné, parce qu'ils étaient coupables, et que d'ailleurs la déportation les soustrairait aux fureurs de leurs adversaires. Louis XVI hésitait encore, et répondit qu'il y réfléchirait davantage. Dans le même conseil, Roland voulut lire, à la face du roi, une lettre qu'il lui avait déja adressée, et qu'il était par conséquent inutile de lui faire connaître une seconde fois par une lecture directe. Cette lettre avait été résolue à l'instigation de Mme Roland, et rédigée par elle. Déjà il avait été question d'en écrire une au nom de tous les ministres. Ceux-ci avaient refusé, mais Mme Roland avait insisté auprès de son mari, et ce dernier s'était résolu à faire la démarche en son nom. Vainement Duranthon, qui était faible, mais sage, lui objecta-t-il avec raison que le ton de sa lettre loin de persuader le roi, l'aigrirait contre des ministres qui avaient la confiance publique, et qu'il en résulterait une rupture funeste entre le trône et le parti popu

laire. Roland s'opiniâtra d'après l'avis de sa femme et de ses amis. La Gironde en effet voulait une explication, et préférait une rupture à l'incertitude.

Roland lut donc cette lettre au roi, et lui fit essuyer en plein conseil les plus dures remon

trances.

Voici cette lettre fameuse :

« Sire, l'état actuel de la France ne peut sub<< sister long-temps; c'est un état de crise dont << la violence atteint le plus haut degré; il faut qu'il se termine par un éclat qui doit intéres<< ser votre majesté autant qu'il importe à tout « l'empire.

<< Honoré de votre confiance, et placé dans « un poste où je vous dois la vérité, j'oserai la << dire tout entière; c'est une obligation qui m'est imposée par vous-même.

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<< Les Français se sont donné une constitution; << elle a fait des mécontens et des rebelles : la majorité de la nation la veut maintenir; elle a

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juré de la défendre au prix de son sang, et elle << a vu avec joie la guerre, qui lui offrait un grand << moyen de l'assurer. Cependant la minorité, << soutenue par des espérances, a réuni tous ses << efforts pour emporter l'avantage. De là, cette << lutte intestine contre les lois, cette anarchie « dont gémissent les bons citoyens, et dont les

<< malveillans ont bien soin de se prévaloir pour <«< calomnier le nouveau régime : de là cette divi« sion partout répandue et partout excitée, car <<< nulle part il n'existe d'indifférence; on veut ou << le triomphe ou le changement de la constitu<< tion; on agit pour la soutenir ou pour l'altérer. « Je m'abstiendrai d'examiner ce qu'elle est par << elle-même pour considérer seulement ce que << les circonstances exigent; et, me rendant étran<< ger à la chose autant qu'il est possible, je cher<«< cherai ce que l'on peut attendre et ce qu'il « convient de favoriser.

« Votre majesté jouissait de grandes préroga« tives, qu'elle croyait appartenir à la royauté; « élevée dans l'idée de les conserver, elle n'a pu << se les voir enlever avec plaisir : le désir de les << faire rendre était aussi naturel que le regret de << les voir anéantir. Ces sentimens, qui tiennent « à la nature du cœur humain, ont dû entrer << dans le calcul des ennemis de la révolution; << ils ont donc compté sur une faveur secrète « jusqu'à ce que les circonstances permissent << une protection déclarée. Ces dispositions ne pouvaient échapper à la nation elle-même, et << elles ont dû la tenir en défiance.

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<< Votre majeste a donc été constamment dans « l'alternative de céder à ses premières habitudes, << à ses affections particulières, ou de faire des

« sacrifices dictés par la philosophie, exigés par « la nécessité; par conséquent d'enhardir les «< rebelles en inquiétant la nation, ou d'apai<< ser celle-ci en vous unissant à elle. Tout a « son temps, et celui de l'incertitude est enfin << arrivé.

<< Votre majesté peut-elle aujourd'hui s'allier << ouvertement avec ceux qui prétendent réfor<< mer la constitution, ou doit-elle généreusement « se dévouer sans réserve à la faire triompher? Telle est la véritable question dont l'état actuel <<< des choses rend la solution inévitable: quant « à celle, très métaphysique, de savoir si les Français sont mûrs pour la liberté, sa discus<< sion ne fait rien ici, car il ne s'agit point de juger ce que nous serons devenus dans un siècle, mais de voir ce dont est capable la géné<< ration présente.

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<«< Au milieu des agitations dans lesquelles << nous vivons depuis quatre ans, qu'est-il arrivé? << Des priviléges onéreux pour le peuple ont été << abolis; les idées de justice et d'égalité se sont << universellement répandues; elles ont pénétré partout; l'opinion des droits du peuple a jus«< tifié le sentiment de ses droits; la reconnais<< sance de ceux-ci, faite solennellement, est de<< venue une doctrine sacrée; la haine de la no<< blesse, inspirée depuis long-temps par la féo

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<< dalité, s'est exaspérée par l'opposition mani<< feste de la plupart des nobles à la constitution, << qui la détruit.

« Durant la première année de la révolution, << le peuple voyait dans ces nobles des hommes « odieux par les priviléges oppresseurs dont ils << avaient joui, mais qu'il aurait cessé de haïr << après la destruction de ces priviléges, si la <«< conduite de la noblesse depuis cette époque <«< n'avait fortifié toutes les raisons possibles de «< la redouter et de la combattre comme une ir<< réconciliable ennemie.

<< L'attachement pour la constitution s'est ac<«< cru dans la même proportion; non seulement << le peuple lui devait des bienfaits sensibles, mais <«< il a jugé qu'elle lui en préparait de plus grands, puisque ceux qui étaient habitués à lui faire << porter toutes les charges chercheraient si puis<< samment à la détruire ou à la modifier.

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« La déclaration des droits est devenue un évangile politique, et la constitution française << une religion pour laquelle le peuple est prêt « à périr.

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<< Aussi le zèle a-t-il été déjà quelquefois jusqu'à suppléer à la loi, et lorsque celle-ci n'é<< tait pas assez réprimante pour contenir les perturbateurs, les citoyens se sont permis de << les punir eux-mêmes.

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