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ils dorment long-temps. Le réveil a lieu d'abord dans les classes les plus éclairées : celles-ci se soulèvent et recouvrent une partie du pouvoir. Le réveil est successif, l'ambition l'est aussi, et gagne les dernières classes, jusqu'à ce que la masse entière soit en mouvement. Bientôt satisfaites de ce qu'elles ont obtenu, les classes éclairées veulent s'arrêter, mais elles ne le peuvent plus, et sont incessamment foulées par celles qui les suivent. Celles qui s'arrêtent, fussent-elles les avant-dernières, si elles veulent s'opposer aux dernières, sont pour celles-ci une aristocratie, et en essuient le nom. Le simple bourgeois est nommé aristocrate par le manouvrier, et poursuivi comme tel.

L'assemblée constituante présente cette génération qui s'éclaire et réclame la première contre le pouvoir encore tout puissant: assez sage pour voir ce que l'on doit à ceux qui avaient tout et à ceux qui n'avaient rien, elle veut laisser aux premiers une partie de ce qu'ils possèdent, parce qu'ils l'ont toujours possédé, et procurer surtout aux seconds les lumières et les droits qu'elles donnent. Mais le regret est chez les uns, l'ambition chez les autres; le regret veut tout recouvrer, l'ambition tout conquérir, et une guerre d'extermination s'engage. Les constituans sont donc ces premiers hommes de bien

qui, secouant l'esclavage, tentent un ordre juste, l'essaient sans effroi, accomplissent même cette immense tâche, mais succombent en voulant engager les uns à céder quelque chose, les autres à ne pas tout désirer.

L'assemblée constituante, dans sa répartition équitable, avait ménagé les anciens possesseurs. Louis XVI, avec le titre de roi des Français, trente millions de revenus, le commandement des armées, et le droit de suspendre les volontés nationales, avait encore d'assez belles prérogatives. Le souvenir seul du pouvoir absolu peut l'excuser de ne pas s'ètre résigné à ce reste si brillant de puissance.

Le clergé dépouillé des biens immenses qu'il avait reçus jadis, à charge de secourir les pauvres qu'il ne secourait pas, d'entretenir le culte dont il laissait le soin à des curés indigens, le clergé n'était plus un ordre politique. Mais ses dignités ecclésiastiques étaient conservées, ses dogmes respectés, ses richesses scandaleuses changées en un revenu suffisant, et on peut même dire abondant, car il permettait encore un assez grand luxe épiscopal. La noblesse n'était plus un ordre, elle n'avait plus les droits exclusifs de chasse, et autres pareils; elle n'était plus exempte d'impôts; mais pouvait-elle faire de ces choses l'objet d'un regret raisonnable? Ses im

menses propriétés lui étaient laissées. Au lieu de la faveur de la cour, elle avait la certitude des succès accordés au mérite. Elle avait la faculté d'être élue par le peuple, et de le représenter dans l'état, pour peu qu'elle voulût se montrer bienveillante et résignée. La robe et l'épée étaient assurées à ses talents; pourquoi une généreuse émulation ne venait-elle pas l'animer tout à coup? Quel aveu d'incapacité ne faisait-elle point en regrettant les faveurs d'autrefois?

Les anciens pensionnaires avaient été ménagés; les ecclésiastiques avaient reçu des dédommagements; chacun avait été traité avec égard; le sort que l'assemblée constituante avait fait à tous, était-il donc si insupportable?

La constitution étant achevée, aucune espérance ne restait au roi de recouvrer, par des délibérations, les prérogatives qu'il regrettait. Il n'avait plus qu'une chose à faire, c'était de se résigner, et d'observer la constitution, à moins qu'il ne comptât sur les puissances étrangères. Mais il espérait très peu de leur zèle, et se défiait de l'émigration. Il se décida donc pour le premier parti, et ce qui prouve sa sincérité, c'est qu'il voulait franchement exprimer à l'assemblée les défauts qu'il trouvait à la constitution. Mais on l'en détourna et il se résolut à at

tendre du temps les restitutions de pouvoir qu'il croyait lui être dues. La reine n'était pas moins résignée. « Courage, dit-elle au ministre Bertrand, qui se présenta à elle, tout n'est pas encore perdu. Le roi veut s'en tenir à la constitution, ce système est certainement le meilleur.»> Et il est permis de croire que, si elle avait eu d'autres pensées à exprimer, elle n'eût pas hésité en présence de Bertrand de Molleville (1).

L'ancienne assemblée venait de se séparer; ses membres étaient retournés au sein de leurs familles, ou s'étaient répandus dans Paris. Quelques uns des plus marquans, tels que Lameth, Duport, Barnave, communiquaient avec la cour, et lui donnaient leurs conseils. Mais le roi, tout décidé qu'il était à observer la constitution, ne pouvait se résigner à suivre les avis qu'il recevait, car on ne lui recommandait pas seulement de ne point violer cette constitution, mais de faire croire par tous ses actes qu'il lui était sincèrement attaché. Ces membres de l'ancienne assemblée, réunis à Lafayette depuis la révision, étaient les chefs de cette première génération révolutionnaire, qui avait donné les premières règles de liberté, et voulait qu'on s'y tînt. Ils étaient soutenus par la garde nationale, que ses longs services, sous Lafayette, avaient entièrement attachée à lui et à ses principes. Les con

stituans eurent alors un tort, celui de dédaigner la nouvelle assemblée, et de l'irriter souvent par leur mépris. Une espèce de vanité aristocratique s'était déjà emparée de ces premiers législateurs, et il semblait que toute science législative avait disparu après eux.

La nouvelle assemblée était composée de diverses classes d'hommes. On y comptait des partisans éclairés de la première révolution, Ramond, Girardin, Vaublanc, Dumas et autres, qui se nommèrent les constitutionnels, et occupèrent le côté droit, où ne se trouvait plus un seul des anciens privilégiés. Ainsi, par la marche naturelle et progressive de la révolution, le côté gauche de la première assemblée devait devenir le côté droit de la seconde. Après les constitutionnels, on y trouvait beaucoup d'hommes distingués, dont la révolution avait enflammé la tête et exagéré les désirs. Témoins des travaux de la constituante, et impatiens comme ceux qui regardent faire, ils avaient trouvé qu'on n'avait pas encore assez fait. Ils n'osaient pas s'avouer républicains, parce que, de toute part, on se recommandait d'être fidèle à la constitution; mais l'essai de république qu'on avait fait pendant le voyage de Louis XVI, les intentions suspectes de la cour, ramenaient sans cesse leurs esprits à cette idée, et ils devaient s'y attacher

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