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La guerre causa une joie générale.Les patriotes y voyaient la fin des craintes que leur causaient l'émigration et la conduite incertaine du roi. Les modérés, que les divisions effrayaient, espéraient que le danger commun y mettrait fin, et que les champs de bataille absorberaient tous ces hommes turbulens enfantés par la révolution. Quelques feuillans seulement, très disposés à trouver des torts à l'assemblée, lui reprochaient d'avoir violé la constitution, d'après laquelle la France ne devait jamais être en état d'agression. Il est trop évident ici que la France n'attaquait pas. Ainsi, à part le roi et quelques mécontens, la guerre était le vœu général de tout le monde.

Lafayette se prépara à servir bravement son pays, dans cette carrière nouvelle. C'était lui qui se trouvait particulièrement chargé de l'exécution du plan conçu par Dumouriez, et ordonné en apparence par Degraves. Dumouriez s'était flatté avec raison, et avait fait espérer à tous les patriotes, que l'invasion de la Belgique serait très facile. Ce pays, récemment agité par une révolution que l'Autriche avait comprimée, devait être disposé à se soulever à la première apparition des Français; et alors devait se réaliser ce mot de l'assemblée aux souverains : Si vous nous envoyez guerre, nous vous renverrons la liberté. C'était d'ailleurs l'exécution du

la

plan conçu par Dumouriez, qui consistait à s'étendre jusqu'aux frontières naturelles. Rochambeau commandait l'armée à portée d'agir, mais il ne pouvait être chargé de cette opération, à cause de ses dispositions chagrines et maladives, et surtout parce qu'il était moins capable que Lafayette d'une invasion moitié militaire, moitié populaire. On aurait voulu que Lafayette eût le commandement général, mais Dumouriez s'y refusa, sans doute par malveillance. Il allégua pour raison qu'on ne pouvait, en la présence d'un maréchal, donner le commandement en chef de cette expédition à un simple général. Il disait encore, et cette raison était moins mauvaise, que Lafayette était suspect aux jacobins et à l'assemblée. Il est certain que jeune, actif, seul de tous les généraux aimé par son armée, Lafayette effrayait les imaginations exaltées, et donnait lieu par son influence aux calomnies des malveillans. Quoi qu'il en soit, il s'offrit de bonne grâce pour exécuter le plan du ministre diplomate et militaire à la fois; il demanda cinquante mille hommes avec lesquels il proposa de se porter par Namur et la Meuse jusqu'à Liége, d'où il devait être maître des Pays-Bas. Ce plan était bien entendu, et fut approuvé par Dumouriez. La guerre était à peine déclarée depuis quelques jours; l'Autriche n'avait pas eu le

temps de couvrir ses possessions de la Belgique, et le succès semblait assuré. En conséquence Lafayette eut l'ordre de se porter d'abord avec dix mille hommes de Givet sur Namur, et de Namur sur Liége ou Bruxelles. Il devait être immédiatement suivi de toute son armée. Tandis qu'il exécutait ce mouvement, le lieutenant-général Biron devait partir pour Valenciennes, avec dix mille hommes, et se porter sur Mons. Un autre officier avait ordre de se diriger sur Tournay et de l'occuper soudainement. Ces mouvemens, opérés par des officiers de Rochambeau, ne devaient que soutenir et masquer la véritable attaque confiée à Lafayette.

Les ordres furent donnés pour être exécutés du 20 avril au 2 mai. Biron se mit en marche, 1792 sortit de Valenciennes, s'empara de Quiévrain, et trouva quelques détachemens ennemis près de Mons. Tout à coup deux régimens de dragons, sans même avoir l'ennemi en tête, s'écrient Nous sommes trahis! ils prennent la fuite, et entraînent toute l'armée après eux. En vain les officiers veulent les arrêter; ils menacent de les fusiller et continuent de fuir. Le camp est livré, et tous les effets militaires sont enlevés par les impériaux. Tandis que cet événement se passait à Mons, Théobald Dillon, d'après le plan convenu, sort de Lille avec deux

mille hommes d'infanterie et mille chevaux. A l'heure même où le désastre de Biron avait lieu, la cavalerie, à l'aspect de quelques troupes autrichiennes, se replie en criant qu'elle est trahie; elle entraîne l'infanterie, et tout le bagage est encore abandonné aux ennemis. Théobald Dillon, un officier du génie nommé Berthois, sont massacrés par les soldats, et le peuple de Lille, qui les accusent d'être des traîtres. Pendant ce temps Lafayette, averti trop tard, était parvenu de Metz à Givet après des peines inouïes, et par des chemins presque impraticables. Il ne devait qu'à l'ardeur de ses troupes d'avoir franchi en si peu de temps l'espace considérable qu'il avait à parcourir. Apprenant là le désastre des officiers de Rochambeau, il crut devoir s'arrêter.

Cette nouvelle causa une agitation générale. Il était naturel de supposer que ces deux événemens avaient été concertés, à en juger par leur concours et leur simultanéité. Tous les partis s'accusèrent. Les jacobins et les patriotes exaltés soutinrent qu'on avait voulu trahir la cause de la liberté. Dumouriez, n'accusant pas Lafayette, mais suspectant les feuillans, crut qu'on avait voulu faire échouer son plan pour le dépopulariser. Lafayette se plaignit, mais moins amèrement que son parti, de ce qu'on

l'avait averti fort tard de se mettre en marche, et de ce qu'on ne lui avait pas fourni tous les moyens nécessaires pour arriver. Les feuillans répandirent en outre, que Dumouriez avait voulu perdre Rochambeau et Lafayette, en leur traçant un plan sans leur donner les moyens de l'exécuter. Une intention pareille n'était pas supposable, car Dumouriez, en excédant ses fonctions de ministre des relations extérieures pour faire un plan de campagne, s'exposait gravement s'il ne réussissait pas. D'ailleurs le projet de donner la Belgique à la France et à la liberté, fesait partie d'un plan qu'il méditait depuis long-temps: comment supposer qu'il voulût en faire manquer le succès? Il était évident que ni les généraux, ni les ministres, n'avaient pu mettre ici de la mauvaise volonté, parce qu'ils étaient tous intéressés à réussir. Mais les partis mettent toujours les hommes à la place des circonstances, afin de pouvoir s'en prendre à quelqu'un, des maux qui leur arrivent.

Degraves, effrayé du tumulte excité par ces derniers événemens militaires, voulut se démettre d'une charge qui lui pesait depuis longtemps, et Dumouriez eut le tort de ne vouloir pas la subir. Louis XVI, toujours sous l'empire de la Gironde, donna ce ministère à Servan, ancien militaire, connu par ses opinions patrio

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