Page images
PDF
EPUB

avec raison de voir la noblesse s'y retrancher, ses craintes aujourd'hui n'étaient plus les mêmes; il avait au contraire la juste espérance de la remplir presqu'à lui seul. Beaucoup de constituans, replongés dans une nullité complète, y auraient trouvé une occasion de rentrer sur la scene politique. Si donc cette chambre haute n'était pas dans leurs vues, elle était du moins dans leurs intérêts. Il est certain que les journaux en parlaient souvent, et que ce bruit circulait partout. Combien avait été rapide la marche de la révolution! Le côté droit aujourd'hui,était composé des membres de l'ancien côté gauche; et l'attentat redouté et reproché n'était plus le retour à l'ancien régime, mais l'établissement d'une chambre haute. Quelle différence avec 89! et combien une folle résistance n'avait-elle pas précipité les événemens !

pour

Léopold ne voyait donc Louis XVI que cette amélioration possible. En attendant, son but était de traîner les négociations en longueur, et sans rompre avec la France de lui imposer par de la fermeté. Mais il manqua son but par sa réponse. Cette réponse consistait à notifier les conclusions de la diète de Ratisbonne, qui refusait d'accepter aucune indemnité pour les princes possessionnés en Alsace. Rien n'était plus ridicule qu'une décision pareille, car tout

et

le territoire compris sous une même domination doit relever des mêmes lois : si des princes de l'empire avaient des terres en France, ils devaient subir l'abolition des droits féodaux, l'assemblée constituante avait déjà beaucoup fait en leur accordant des indemnités. Plusieurs d'entre eux ayant déjà traité à cet égard, la diète annulait leurs conventions, et leur défendait d'accepter aucun arrangement. L'empire prétendait ainsi ne pas reconnaître la révolution en ce qui le concernait. Quant à ce qui regardait les rassemblemens d'émigrés, Léopold, sans s'expliquer sur leur dispersion, répondait à Louis XVI que l'électeur de Trèves, pouvant d'après les injonctions du gouvernement français, essuyer de prochaines hostilités, il avait été ordonné au général Bender de lui porter de prompts secours.

Cette réponse ne pouvait pas être plus mal calculée; elle obligeait Louis XVI, pour ne pas se compromettre, de prendre des mesures vigoureuses, et de proposer la guerre. Delessart fut aussitôt envoyé à l'assemblée pour faire part de cette réponse, et témoigner l'étonnement que causait au roi la conduite de Léopold. Le ministre assura que probablement on avait trompé l'empereur, et qu'on lui avait faussement persuadé que l'électeur avait satisfait à

tous les devoirs du bon voisinage. Delessart communiqua en outre la réplique faite à Léopold. On lui avait signifié que nonobstant sa réponse et les ordres donnés au maréchal Bender, si les électeurs n'avaient pas au terme prescrit, c'est-à-dire au 15 janvier, satisfait à la demande de la France, on emploierait contre eux la voie des armes. « Si cette déclaration, disait Louis XVI dans sa lettre à l'assemblée, ne produit pas l'effet que je dois en espérer, si la des

tinée de la France est d'avoir à combattre ses enfans et ses alliés, je ferai connaître à l'Europe la justice de notre cause; le peuple français la soutiendra par son courage, et la nation verra que je n'ai point d'autre intérêt que les siens, et que je regarderai toujours le maintien de sa dignité et de sa sûreté, comme le plus essentiel de mes devoirs. »

Ces paroles, où le roi semblait dans le commun danger s'unir à la nation, furent vivement applaudies. Les pièces furent livrées au comité diplomatique, pour en faire un prompt rapport à l'assemblée.

La reine fut encore applaudie une fois à l'Opéra comme dans les jours de son éclat et de sa puissance, et elle revint toute joyeuse dire à son époux qu'on l'avait accueillie comme autrefois. Mais c'étaient les derniers témoignages qu'elle

recevait de ce peuple jadis idolâtre de ses grâces royales. Ce sentiment d'égalité, qui demeure si long-temps étouffé chez les hommes, et qui est si fougueux lorsqu'il se réveille, se manifestait déjà de toute part. On touchait à la fin de l'année 1791; l'assemblée abolit l'antique cérémonial du premier de l'an, et décida que les hommages portés au roi, dans ce jour solennel, ne le seraient plus à l'avenir. A peu près à la même époque, une députation se plaignit de ce qu'on ne lui avait pas ouvert la porte du conseil à deux battans. La discussion fut scandaleuse, et l'assemblée, en écrivant à Louis XVI, supprima les titres de sire et de majesté. Un autre jour un député entra chez le roi, le chapeau sur la tête et dans un costume peu convenable. Cette conduite était souvent provoquée par le mauvais accueil que les gens de la cour faisaient aux députés, et dans ces représailles, l'orgueil des uns et des autres ne voulait jamais rester en arrière.

Narbonne poursuivait sa tournée avec une rare activité. Trois armées furent établies sur la frontière menacée. Rochambeau, vieux général qui avait autrefois bien conduit la guerre, mais qui était aujourd'hui maladif, chagrin et mécontent, commandait l'armée placée en Flandre et dite du Nord. Lafayette avait l'armée du

centre et campait vers Metz. Luckner, vieux guerrier, médiocre général, brave soldat, et très popularisé dans les camps par ses mœurs toutes militaires, commandait le corps qui occupait l'Alsace. C'était là tout ce qu'une longue paix et une désertion générale nous avaient laissé de généraux.

Rochambeau, mécontent du nouveau régime, irrité de l'indiscipline qui régnait dans l'armée, se plaignait sans cesse et ne donnait aucune espérance au ministère. Lafayette, jeune, actif, jaloux de se distinguer bientôt en défendant la patrie, rétablissait la discipline dans ses troupes, et surmontait toutes les difficultés suscitées par la mauvaise volonté des officiers, qui étaient les aristocrates de l'armée. Il les avait réunis, et leur parlant le langage de l'honil leur avait dit qu'ils devaient quitter le camp s'ils ne voulaient par servir loyalement; que s'il en était qui voulussent se retirer, il se chargeait de leur procurer à tous ou des retraites en France, ou des passe-ports pour l'étranger; mais que s'ils persistaient à servir, ilattendait de leur part zèle et fidélité. Il était ainsi parvenu à établir dans son armée un ordre meilleur que celui qui régnait dans toutes les autres. Quant à Luckner, dépourvu d'opinion politique et par conséquent facile à tous les ré

neur,

« PreviousContinue »