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de la terre consolée, et du ciel satisfait ! » L'enthousiasme excité par ces paroles fut tel qu'on se pressait autour de l'orateur pour l'embrasser. Le décret qu'il appuyait fut adopté surle-champ. M. de Vaublanc fut chargé de le porter au roi, à la tête d'une députation de vingtquatre membres. Par ce décret l'assemblée déclarait qu'elle regardait comme indispensable de requérir les électeurs de Trèves, Mayence, et autres princes de l'empire, de mettre fin aux rassemblemens formés sur la frontière. Elle suppliait en même temps le roi de hâter les négociations entamées pour les indemnités dues aux princes possessionnés en Alsace.

M. de Vaublanc accompagna ce décret d'un discours ferme et respectueux, fort applaudi par l'assemblée. «< Sire, disait-il, si les Français chassés de leur patrie par la révocation de l'édit de Nantes s'étaient rassemblés en armes sur les frontières, s'ils avaient été protégés par des princes d'Allemagne, sire, nous vous le demandons, quelle eût été la conduite de Louis XIV? Eût-il souffert ces rassemblemens? Ce qu'il eût fait pour son autorité, que Votre Majesté le fasse pour le maintien de la constitution! >>

Louis XVI, décidé, comme nous l'avons dit, à corriger l'effet du veto par des actes qui plussent à l'opinion, résolut de se rendre à l'assemblée,

1791

et de répondre lui-même à son message par un discours capable de la satisfaire.

Le 14 décembre, au soir, le roi s'y rendit après s'être annoncé le matin par un simple billet. Il fut reçu dans un profond silence. Il dit que le message de l'assemblée méritait une grande considération, et que, dans une circonstance où était compromis l'honneur français, il croyait devoir se présenter lui-même; que, partageant les intentions de l'assemblée, mais redoutant le fléau de la guerre, il avait essayé de ramener des Français égarés; que les insinuations amicales ayant été inutiles, il avait prévenu le message des représentans, et avait signifié aux électeurs que, si avant le 15 janvier, tout attroupement n'avait pas cessé, ils seraient considérés comme ennemis de la France; qu'il avait écrit à l'empereur pour réclamer son intervention en qualité de chef de l'empire, et que dans le cas où satisfaction ne serait pas obtenue, il proposerait la guerre. Il finissait en disant qu'on chercherait vainement à environner de dégoûts l'exercice de son autorité, qu'il garderait fidèlement le dépôt de la constitution, et qu'il sentait profondément combien c'était beau d'être roi d'un peuple libre.

Les applaudissemens succédèrent au silence, et dédommagèrent le roi de l'accueil qu'il avait

reçu en entrant. L'assemblée ayant décrété le matin qu'il lui serait répondu par un message, ne put lui exprimer sur-le-champ sa satisfaction, mais elle décida que son discours serait envoyé aux quatre-vingt-trois départemens.Narbonne entra aussitôt après, pour faire connaître les moyens qui avaient été pris afin d'assurer l'effet des injonctions adressées à l'empire. Cent cinquante mille hommes devaient être réunis sur le Rhin, et ce n'était pas impossible, ajoutait-il. Trois généraux étaient nommés pour les commander, Luckner, Rochambeau et Lafayette. Les applaudissemens couvrirent le dernier nom. Narbonne ajoutait qu'il allait partir pour visiter les frontières, s'assurer de l'état des places fortes, et donner la plus grande activité aux travaux de défense; que sans doute l'assemblée accorderait les fonds nécessaires, et ne marchanderait pas la liberté. Non, non, s'écria-t-on de toutes parts. Enfin il demanda si l'assemblée, malgré que le nombre légal des maréchaux fût complet, ne permettrait pas au roi de conférer ce grade aux deux généraux Luckner et Rochambeau, chargés de sauver la liberté. Des acclamations témoignèrent le consentement de l'assemblée, et la satisfaction que lui causait l'activité du jeune ministre. C'est par une conduite pareille que Louis XVI serait parvenu à se populariser, et

à se concilier les républicains, qui ne voulaient de la république que parce qu'ils croyaient un roi incapable d'aimer et de défendre la liberté.

On profita de la satisfaction produite par ces mesures, pour signifier le veto apposé sur le décret contre les prêtres. Le matin on eut soin de publier dans les journaux la destitution des anciens agens diplomatiques accusés d'aristocratie, et la nomination des nouveaux. Grâce à ces précautions le message fut accueilli sans murmure. Déjà l'assemblée s'y attendait, et la sensation ne fut pas aussi fâcheuse qu'on aurait pu le craindre. On voit quels ménagemens infinis le roi était obligé de garder pour faire usage de sa prérogative, et quel danger il y avait pour lui à l'employer. Quand même l'assemblée constituante, qu'on a accusée de l'avoir perdu en le dépouillant, lui eût accordé le veto absolu, en eût-il été plus puissant pour cela? Le veto suspensif ne faisait-il pas ici tout l'effet du veto absolu?Était-ce la puissance légale qui manquait au roi ou la puissance d'opinion? On le voit par l'effet même; ce n'est pas le défaut de prérogatives suffisantes qui a perdu Louis XVI, mais l'usage inconsidéré de celles qui lui restaient...

L'activité promise à l'assemblée ne se ralentit pas; les propositions pour les dépenses de guerre, pour la nomination des deux maré

chaux Luckner et Rochambeau, se succédèrent sans interruption. Lafayette, arraché à la retraite où il était allé se délasser de trois années de fatigues, se présenta à l'assemblée où il fut parfaitement accueilli. Des bataillons de la garde nationale l'accompagnèrent à sa sortie de Paris; et tout lui prouva que le nom de Lafayette n'était pas oublié, et qu'on le regardait encore comme un des fondateurs de la liberté.

Cependant Léopold, naturellement pacifique, ne voulait pas la guerre, car il savait qu'elle ne convenait pas à ses intérêts, mais il désirait un congrès soutenu d'une force imposante pour amener un accommodement et quelques modifications dans la constitution. Les émigrés ne voulaient pas la modifier, mais la détruire. Plus sage et mieux instruit, l'empereur savait qu'il fallait accorder beaucoup aux opinions nouvelles, et que ce qu'on pouvait désirer c'était tout au plus de rendre au roi quelques prérogatives, et de revenir sur la composition du corps législatif, en établissant deux chambres au lieu d'une (5). Cette dernière mesure était la plus redoutée, et celle dont le projet était le plus souvent reproché au parti feuillant ou constitutionnel. Il est certain que, si ce parti avait, dans les premiers temps de la constituante, repoussé la chambre haute, parce qu'il craignait

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