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tous les jours plus grand dans le Nord de la France, il faudrait, si on était réduit à la dernière extrémité, se retirer dans le Midi, et y fonder une république, qu'on pourrait étendre un jour, comme Charles VII avait autrefois étendu son royaume de Bourges. Ils examinaient la carte avec l'ex-ministre Servan, et se disaient que, battue sur le Rhin et au delà, la liberté devait se retirer derrière les Vosges et la Loire; que, repoussée dans ces retranchemens, il lui restait encore à l'Est, le Doubs, l'Ain, le Rhône; à l'Ouest la Vienne, la Dordogne; au centre, les rochers et les rivières du Limousin. « Plus <«<loin encore, ajoute Barbaroux lui-même, << nous avions l'Auvergne, ses buttes escarpées, <«< ses ravins, ses vieilles forêts, et les montagnes << du Velay, jadis embrasées par le feu, main<< tenant couvertes de sapins; lieux sauvages où <«< les hommes labourent la neige, mais où ils << vivent indépendans. Les Cévennes nous of<< fraient encore un asile trop célèbre pour «< n'être pas redoutable à la tyrannie; et à l'ex«< trémité du Midi, nous trouvions pour bar« rières l'Isère, la Durance, le Rhône depuis

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Lyon jusqu'à la mer, les Alpes et les remparts << de Toulon. Enfin si tous ces points avaient « été forcés, il nous restait la Corse, la Corse «< où les Génois et les Français n'ont pu natura

<< liser la tyrannie; qui n'attend que des bras pour être fertile, et des philosophes pour l'é<< clairer. * >>

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Il était naturel que les habitans du Midi songeassent à se réfugier dans leurs provinces, si le Nord était envahi. Ils ne négligeaient cependant pas le Nord, car ils convinrent d'écrire dans leurs départemens, pour qu'on formât spontanément le camp de vingt mille hommes, bien que le décret relatif à ce camp n'eût pas été sanctionné. Ils comptaient beaucoup sur Marseille, ville riche, considérablement peuplée, et singulièrement démocratique. Elle avait envoyé Mirabeau aux états-généraux, et depuis elle avait répandu dans tout le Midi l'esprit dont elle était animée. Le maire de cette ville était ami de Barbaroux et partageait ses opinions. Barbaroux lui écrivit de s'approvisionner des grains, d'envoyer des hommes sûrs dans les départemens voisins ainsi qu'aux armées de Alpes, de l'Italie et des Pyrénées, afin d'y préparer l'opinion publique; de faire sonder Montesquiou, général de l'armée des Alpes, et d'utiliser son ambition au profit de la liberté; enfin de se concerter avec Paoli et les Corses, de manière à se préparer un der

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nier secours et un dernier asile. On recommanda en outre à ce même maire de retenir le produit des impôts pour en priver le pouvoir exécutif, et au besoin pour en user contre lui. Ce que Barbaroux faisait pour Marseille, d'autres le faisaient pour leur département, et songeaient à s'assurer un refuge. Ainsi la méfiance changée en désespoir, préparait l'insurrection générale, et dans ces préparatifs de l'insurrection, une différence s'établissait déja entre Paris et les départemens.

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Le maire Pétion, lié avec tous les Girondins, et plus tard rangé et proscrit avec eux, entretenait par ses fonctions plus de rapports avec les agitateurs de Paris. Il avait beaucoup de calme, une apparence de froideur que ses ennemis prirent pour de la stupidité, et une probité qui fut exaltée par ses partisans, et que ses détracteurs n'ont jamais attaquée. Le peuple, qui donne des surnoms à tous ceux dont il s'occupe, l'appelait la Vertu Pétion. Nous avons déja parlé de lui à l'occasion du voyage de Varennes, et de la préférence que la cour lui donna sur Lafayette, pour la mairie de Paris. La cour désira de le corrompre, et des escrocs promirent d'y réussir. Ils demandèrent une somme et la gardèrent pour eux, sans avoir même fait auprès de Pétion des ouvertures, que son carac

tère connu rendait impossibles. La joie qu'éprouva la cour de se donner un soutien, et de corrompre un magistrat populaire, fut de courte durée. Elle reconnut bientôt qu'on l'avait trompée, et que les vertus de ses adversaires n'étaient pas aussi vénales qu'elle l'avait imaginé.

Pétion avait été des premiers à penser que les penchans d'un roi, né absolu, ne se modifient jamais. Il était républicain avant même que personne songeât à la république; et dans la constituante il fut par conviction ce que Robespierre était par l'âcreté de son humeur. Sous la législative, il se convainquit davantage encore de l'incorrigibilité de la cour; il se persuada qu'elle appelait l'étranger, et tandis qu'il avait été républicain par système, il le devint alors par raison de sûreté. Dès lors il songea, dit-il, à favoriser une nouvelle révolution. Il arrêtait les mouvemens qui étaient mal dirigés, favorisait au contraire ceux qui l'étaient bien, et tâchait surtout de les concilier avec la loi, dont il était rigide observateur, et qu'il ne voulait violer qu'à l'extrémité.

Sans bien connaître la participation de Pétion aux mouvemens qui se préparaient, sans savoir s'il consulta ses amis de la Gironde pour les favoriser, on peut dire, d'après sa conduite, qu'il ne fit rien pour y mettre obstacle. On prétend

que vers la fin de juin, il se rendit chez Santerre avec Robespierre, Manuel, procureur syndic de la commune, Sylleri, ex-constituant, et Chabot, ex-capucin et député; que celui-ci harangua la section des Quinze-Vingts, et lui dit que l'assemblée l'attendait. Quoi qu'il en soit de ces faits, il est certain qu'il fut tenu des conciliabules; et il n'est pas croyable, d'après leur opinion connue et leur conduite ultérieure, que les personnages qu'on vient de nommer se fissent un scrupule d'y assister (16). Dès cet instant on parla dans les faubourgs d'une fête pour le 20 juin, anniversaire du serment du jeu de paume. On devait, disaiton, planter un arbre de la liberté sur la terrasse des feuillans, et adresser une pétition à l'assemblée, ainsi qu'au roi. Cette pétition devait être présentée en armes. On voit assez par là, que l'intention véritable de ce projet était d'effrayer le château par la vue de quarante mille piques.

Le 16 juin une demande formelle fut adressée au conseil général de la commune, pour autoriser les citoyens du faubourg Saint-Antoine à se réunir le 20 en armes, et à faire une pétition à l'assemblée et au roi. Le conseil général de la commune passa à l'ordre du jour, et ordonna que son arrêté serait communiqué

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