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dent de la République, est conservé comme base du nouvel ordre social. Mais le chef du pouvoir exécutif nomme les maires et les adjoints des communes 1, les présidents et les secrétaires des conseils d'arrondissement 2, des conseils généraux 3, des sociétés de secours mutuels, des conseils de l'agriculture 5, des administrations charitables ; il peut les révoquer ad nutum, et dissoudre de même les conseils et associations. Les membres du conseil supérieur d'enseignement, ceux des conseils académiques, tous les fonctionnaires des écoles publiques ont cessé d'être électifs 7; la liberté de l'enseignement elle-même est menacée; partout l'action du pouvoir est substituée à la liberté.

Qu'est-ce que la liberté cependant? Cicéron en donne une admirable définition, lorsqu'il dit qu'elle consiste à être esclave de la loi. Ajoutons avec Balmès que la liberté de l'intelligence consiste à être esclave de la vérité, et la liberté de la volonté à être esclave de la vertu. De sorte que la liberté sagement réglée par la loi, c'est la raison divine appliquée aux créatures raisonnables, et par conséquent la source de tout perfectionnement social.

Loi du 7 juillet 1852, art. 7 et 8. A Décret du 26 mars,

2 Ibid., art. 5. - 3 lbid. 6 avril 1852, art. 3. 5 Décrets des 25 mars

et 6 avril 1852.- 6 Décrets des 25 mars et 1er juillet 1852.- 7 Décrets des 9 mars, 19 avril 1852.

LIVRE DEUXIÈME

THÉORIES GÉNÉRALES D'ÉCONOMIE POLITIQUE ET D'ADMINISTRATION DANS LEURS RAPPORTS AVEC LES CLASSES LABORIEUSES.

CHAPITRE III

DES CONDITIONS GÉNÉRALES DU PROBLÈME DU PAUPÉRISME

[16] L'inégalité excessive des conditions et l'antagonisme des classes engendrent le paupérisme et les révolutions sociales. [17] En France, l'inégalité des conditions n'est pas excessive, mais les misères réelles du peuple sont explo tées par ses faux amis [18] Le problème du paupérisme, en France, est un problème de morale autant que d'économie politique.—[19] Loi de la charité fondamentale en cette matière.—[20] Faux point de vue des philanthropes de 1789. — [21] Le mal de la misère est primordial, universel, permanent, par conséquent difficile à guérir. — [22] Nécessité de combattre les fausses doctrines et la corruption des mœurs.-[23] Respect au droit de propriété.—[24] Triple obligation du travail, de la charité, et des mœurs privées et publiques. [25] Exagérations libérales et socialistes. [26] Liberté réglée du travail, de la charité et de l'enseignement, dans l'ordre économique et dans l'ordre administratif. [27] Association de travaux et de secours par la commune et l'Église sous la surveillance de l'État. [28] Plan de l'ouvrage.

[16] Paupérisme et pauvreté sont deux choses tout à fait distinctes. Le paupérisme est si peu l'apanage des pays pauvres que le mot même a pris naissance dans l'aristocratique et opulente Angleterre. Le paupérisme est l'état de malaise, de souffrance, d'agitation interne d'un peuple où règnent l'inégalité excessive des conditions et l'antagonisme violent des classes.

L'égalité absolue est un mensonge et une injustice. « Ipsa æquabilitas est iniqua, dit Cicéron, quùm nullos

habet gradus dignitatis. » « La nature, dit Vauvenargues, n'a rien fait d'égal. Sa loi souveraine est la subordination et la dépendance. »>

On a beau décréter l'égalité; on la décrète, sauf la différence des fortunes accumulées par le travail; sauf la différence des facultés, des vertus, des passions, des vices; sauf, enfin, l'inégalité, qui est la véritable loi de ce monde.

[17] Toutefois, si l'égalité absolue est une chimère; si, dans les sociétés même les mieux ordonnées, il faut se résigner à voir l'extrême dénûment à côté de l'extrême opulence, il y a deux vérités bien certaines : la première, c'est qu'un état qui, comme Rome dans sa décadence, comme l'Angleterre de nos jours, offre le spectacle affligeant de la concentration du sol et de la fortune mobilière dans quelques mains privilégiées, tandis que les masses manquent du strict nécessaire; qu'un tel État est sur la pente d'une révolution sociale, quelque vigoureuse que soit sa constitution politique. La seconde, c'est qu'un État où l'antagonisme des classes repose sur des prétextes plutôt que sur des motifs sérieux, où le mal est dans les erreurs de l'opinion plus que dans les faits, on doit espérer d'empêcher la transformation d'un problème économique et charitable en une question révolutionnaire.

C'est pourquoi nous avons commencé par l'étude attentive des faits la question du paupérisme en France.

Et comme dans une matière où il n'y a rien d'absolu, où tout est relatif et contingent, nous avons cru pouvoir constater qu'envisagé dans ses rapports avec ce qu'il était autrefois et avec ce qu'il est aujourd'hui

dans les divers pays de l'Europe, l'état matériel de nos classes laborieuses est en progrès, tandis que leur état moral est en décadence, le problème du paupérisme, en France, nous apparaît comme un problème de morale autant que d'économie politique.

[18] Ce n'est pas en surexcitant les appétits sensuels, l'orgueil, l'envie, les passions mauvaises, tantôt par une liberté déréglée et par une fausse égalité, tantôt par un excès de concentration du pouvoir, qu'on peut aider au rapprochement des classes, au nivellement des conditions, au bien-être matériel et moral de l'humanité. C'est en faisant régner la justice, qui est le salut des bons et la terreur des méchants 1; c'est en inspirant, par l'attrait des préférences et des distinctions, l'honneur, cette source vive du dévouement et du sacrifice 2; c'est en faisant concourir l'action libre, mais réglée, des familles, des corps, des communes, de toutes les unités sociales subordonnées, aux progrès matériels et moraux de la société générale. On ne saurait donc toucher au problème du paupérisme sans s'occuper des lois morales et sans remonter à leurs principes primordiaux.

[19] Orla grande loi de l'humanité n'a pas cessé d'être celle-ci Aimer Dieu par-dessus toutes choses et tous les hommes comme nous-mêmes pour l'amour de Dieu. C'est là la loi et les prophètes. Faites cela et vous vivrez, a dit le Sauveur des hommes. La charité, c'est le devoir, le droit, le but, le moyen, c'est tout. La contagion de la charité, c'est la contagion de l'amour divin. Dieu est amour, dit l'apôtre saint Jean.

1 Sontibus undè tremor, civibus undè salus.

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2 L'honneur demande

des préférences et des distinctions. (MONTESQUIEU, Esprit des lois.) Φειον γαρ αγαθον ν τιμυ (PLATON).

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La loi de charité, qui domine toutes les autres, condamne le point de vue où se placèrent, dès 1789, les philanthropes dont les théories servent, depuis soixante ans, de prétexte aux révolutions.

[20] La misère des peuples est un tort des gouvernements, disait à la tribune de l'Assemblée constituante M. de La Rochefoucauld-Liancourt, rapporteur du comité de secours; et cette parole imprudente, répétée trois ans après par Barrère à la tribune de la Convention, devenait le signal des crimes de cette époque néfaste.

Non, la misère n'est pas un tort des gouvernements. La misère est inhérente à la nature de l'homme; elle est, dit Pascal, le double signe de sa déchéance et de sa grandeur. La misère est un fait primordial et universel. Nos premiers parents en subirent les atteintes dans le paradis terrestre ; et Caïn, ce père des arts et de la civilisation, en fournit la matière première1. Engloutie dans les flots du déluge, la misère reparut dans les sociétés patriarcales, sous les traits du saint homme Job. On la retrouve chez le peuple de Dieu à qui Moïse disait avec un esprit prophétique : Il y aura toujours des pauvres parmi vous 2. Les mendiants affluaient dans les républiques d'Athènes et de Sparte. A Rome, la pauvreté était, dit un historien*, une lèpre mille fois pire que celle des Juifs. Les guerres civiles, les révolutions, la décadence de Rome s'expliquent surtout par la faim.

Les sociétés chrétiennes offrent le même spectacle.

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1 Mém. de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, IV, p. 296, 26 janvier 1717. 2 Deutér., XV, 4. 12. 3 PLATON, Traité des lois, liv. II; PLUT., Vie de Lycurgue. — 4 DE SAINT-FÉLIX, Nuits de Rome, I, p. 195.

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