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lons-nous dire. Il faut donc que l'éducation qu'elle dirige, lui crée des musiciens et des musiciennes. Or l'éducation telle qu'elle est conçue parmi nous, ne faillit assurément pas à cette tâche. Jamais tant d'heures, qui bout à bout feraient des années, ne furent employées, pour ne pas dire perdues, dans l'instruction musicale obligatoire d'oreilles, de gosiers, de doigts, dix-neuf fois sur vingt, réfractaires à cet exercice.

Pour ce qui concerne les hommes, M. de Laprade accepte volontiers la musique vocale. Tout citoyen peut et doit savoir chanter dans un chœur, ne fût-ce que pour rendre la Marseillaise moins affligeante pour notre ouïe dans les fêtes nationales.

Quant aux instruments, sauf les cas rares de vocations évidentes et irrésistibles, il les bannirait de son lycée, à l'exemple des Grecs. Il ne peut voir sans éclater de rire un magistrat, un général ou un médecin, se dandiner au bout d'une flûte ou d'une clarinette.

Avouons-le, la musique instrumentale n'a pas encore fait trop de ravages dans les rangs des écoliers français.

Pour les écolières, oh! c'est autre chose. Il est convenu que toute jeune fille doit être pianiste. Il est entendu avec sa maîtresse de pension qu'elle passera chaque jour des heures, et des heures coûteuses, à tapoter sur un clavier, à s'étirer les doigts, à s'escrimer devant une méthode, exaspérant les voisins, agaçant jusqu'à ses meilleures amies, pour arriver à savoir à vingt ans écorcher une fantaisie ou un quadrille, ainsi que les oreilles de l'auditoire qui applaudira frénétiquement par-devant elle et se pâmera de rire derrière la porte. Qu'il y en ait une sur vingt qui puisse, grâce à la nature et à la persévérance, devenir une tolérable exécutante, nous ne le nions pas. Nous demandons simplement qu'on relise les vers du fabuliste et qu'on en fasse son profit :

Ne forçons point notre talent,

Nous ne ferions rien avec grâce.

Vouloir jeter toutes les jeunes filles de France dans le même moule, en les dégoûtant infailliblement des occupations sérieuses

et de la gymnastique de l'esprit, nous estimons que c'est là un système peu profitable à la société, quelque démocratique qu'elle soit.

Las! il n'est que trop vrai, nous nageons dans le faux. Nous avons autour de nous la fausse musique, le faux savoir, comme aussi la fausse piété. Oui, la fausse piété ; c'est l'auteur qui le dit, et il pourrait bien ici encore ne pas avoir tort du tout.

Il signale en passant un quatrième fléau les mauvais bons livres. Oh! que ce mot est joliment trouvé! Quelle croisade ne devrions-nous pas entreprendre, catholiques et Français sérieux, contre cette immense littérature vertueuse et inepte, avec laquelle on écrase l'esprit de la jeunesse sous des monceaux de vertus et de bétises!

Mais ne sortons pas de notre sujet. Oui! l'auteur est inflexible pour le piano. Il a contre lui des rancunes profondes. Il a dû subir de longs et fréquents martyres à côté de cet instrument de supplice. Toutefois, rassurez-vous, il ne sollicite point contre lui un décret d'expulsion. Tout au plus voudrait-il le voir se soumettre à l'impôt. Il ne demande qu'une concession pour être indulgent moins de claviers et plus d'artistes.

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<< Mais encore une fois, illustre poète, vous avez écrit contre la Musique ! >>

--

<< Oh! non! mille fois non ! Mais la Musique est victorieuse à l'heure qu'il est, et les vainqueurs, je ne les flatte jamais. La Musique s'est avilie, et les avilis ne trouvent de merci ni dans mes vers ni dans ma prose. Voilà pourquoi je l'ai traitée avec une rude franchise. Mais pour la Musique telle que je la conçois, telle que l'ont comprise les maîtres immortels, si j'ai dit sur elle une seule parole qui ne soit de tendresse et de respect, je lui en demande sincèrement pardon! Un poète ennemi de la musique, mais ce serait un parricide et un suicide. Hommage à la chaste Muse de Mozart et de Beethoven! Un poète qui l'aurait volontairement offensée serait digne d'entendre, supplice terrible, à perpétuité, résonner à ses oreilles la musique de l'avenir, quelque chose

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comme la Marseillaise de la rue alternant avec le Beau Nicolas. »

On n'attendra pas de nous, chétif inconnu dans le monde des lettres, étranger au monde des arts, que nous osions rendre un jugement de fond sur le livre de M. de Laprade et sur la thèse qu'il soutient avee tant de talent et d'humour. L'étroite juridiction de notre critique ne s'étend ni sur l'une des neuf Muses, ni sur l'un des quarante Immortels. Si nous avions l'imprudence de nous déclarer compétent, sans nul doute, nous verrions se dresser devant nous quelque déclinatoire ou quelque arrêté de conflit qui nous dessaisirait de la cause et la transporterait à la barre du juge suprême le lecteur. Nous aimons mieux soumettre de nous-même ce litige à son verdict, en l'invitant à prendre pleine connaissance des pièces du procès, dont nous venons de lui présenter un pâle et sommaire essai d'analyse. Il n'en fut jamais de plus attrayantes à étudier. La langue que parle M. de Laprade ne ressemble en rien, Dieu merci, au jargon de Thémis.

:

ABBÉ J. DOMINIQUE.

NOTICES ET COMPTES RENDUS

HISTOIRE DE LA RÉUNION DE LA BRETAGNE A LA FRANCE, par M. Ant. Dupuy, professeur d'histoire au lycée de Brest. - 2 vol. in-8°, XV-447 et 500 p. Paris, librairie Hachette. Prix: 15 fr.

Malgré les questions brûlantes qui passionnent de nos jours l'esprit public, l'histoire des siècles passés n'a rien perdu de son attrait. Les Bretons particulièrement aimeront toujours à revenir sur l'époque où leur pays formait une principauté indépendante, dévouée à la France, sans partager complètement ses destinées. M. Dupuy, naguère professeur au lycée de Brest, maintenant maître de conférence à la faculté de Rennes, vient de composer sur l'un des épisodes les plus intéressants de l'histoire de Bretagne un ouvrage qui, par l'étendue des recherches, l'importance des découvertes, sera placé peut-être un jour à côté des œuvres des savants Bénédictins du XVIIIe siècle. Il expose l'histoire de la réunion de la province à la France. Il ne faut pas croire que le seul objet de son récit soit le mariage de la duchesse Anne avec Charles VIII, ou la session des États de Vannes en 1532. Son plan est plus vaste : il embrasse les relations de la Bretagne avec la France depuis l'avènement du duc François II, en 1458, jusqu'aux États qui votèrent en 1532 l'union des deux pays.

Après avoir établi qu'avant la seconde moitié du XVe siècle, le duc de Bretagne était un souverain indépendant, allié plutôt que vassal du roi de France, M. Dupuy indique les causes et les principaux épisodes de la lutte qui s'engagea entre Louis XI et François II. Il montre comment Louis XI, désespérant de fléchir l'implacable hostilité du gouvernement breton, convaincu que l'indé

pendance de ce gouvernement serait pour la France un danger perpétuel, prépara la conquête du pays en achetant les droits de la Maison de Blois. Cette mesure était une menace pour la Maison de Montfort. Effrayé du péril que courait sa fille, François II profita de la minorité de Charles VIII pour susciter des embarras à la royauté, pour organiser contre elle des coalitions féodales. Son armée fut vaincue à Saint-Aubin-du-Cormier. Il laissa en mourant la Bretagne épuisée, occupée en partie par les troupes françaises. Malgré le secours de l'Autriche, de l'Espagne et de l'Angleterre, qui intervinrent en sa faveur pour entraver les progrès de la monarchie française, Anne de Bretagne, assiégée dans Rennes, fut forcée d'épouser Charles VIII, et ensuite Louis XII. Le mariage de sa fille avec François Ier assura l'union de la Bretagne à la France, qui fut consacrée par les États de la province, en 1532.

Tel est le tableau tracé par M. Dupuy. Aux documents recueillis par les Bénédictins, il a ajouté près de 2,000 pièces inédites, découvertes par lui dans les archives de Bretagne, dans les archives nationales, dans le dépôt d'Angers et des Basses-Pyrénées, et même dans les châteaux dont il a exploré les parchemins. Grâce à ces importantes découvertes, il a pu rectifier un grand nombre d'erreurs historiques, comme la légende relative au procès du maréchal de Gié; mettre en lumière une foule de faits intéressants qui avaient échappé aux recherches de ses devanciers. Tels sont les efforts du gouvernement breton pour entraver la conquête du Roussillon par Louis XI, l'intervention du duc de Bourgogne en faveur de François II, lors des négociations qui précédèrent le traité d'Angers en 1470; la coalition formée en 1490 par l'Autriche, l'Angleterre et l'Espagne, pour arrêter les succès de Charles VIII en Bretagne; le rôle du maréchal de Rieux, après la mort de François II. Pour toute cette période de l'histoire de Bretagne, les Bénédictins s'étaient en quelque sorte cantonnés dans la province. Ils avaient souvent négligé les rapports du gouvernement breton, non seulement avec le reste de l'Europe, mais même quelquefois avec les autres feudataires français. M. Dupuy a élargi leur horizon.

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