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Le droit d'y répandre l'effroi.
Tant que le soleil au ciel brille,
Qu'à pleins poumons il s'égosille,
Si ça lui plaît, il a raison;

Mais quand l'astre du jour a quitté l'horizon,
Sa musique est hors de saison.

C'est précisément à cette heure
Que j'abandonne ma demeure
Pour aller quêter mon repas.
L'insensé ne se doute pas
Que sa charmante ritournelle
Est le signal de son trépas. >

Une minute après, on ouït un bruit d'aile,
Puis un cri de douleur, et ce fut le dernier :
Le hibou scélérat, dans sa serre cruelle,
Etouffait sans pitié son pauvre prisonnier.

Ainsi, jadis, André Chénier,

Ce poète à la voix sublime,

Tombait avec Roucher, autre noble victime,
Sous les coups de monstres hideux.

Les bourreaux ont laissé des enfants dignes d'eux;
La clarté des cieux les irrite;

Le beau, le vrai, le bien sont en butte à leurs traits. Vainement leur bouche hypocrite

Ose nous parler de progrès;

Déjà la sombre nuit envahit la patrie,

Et je le dis, hélas! le cœur gros de regrets
Nous marchons à la barbarie..

LE CHÊNE ET LE LIERRE

A M. DE LA CAILLÈRE.

Au sein d'une forêt, à l'immense contour,
Un chêne, dix fois séculaire,

Dominait de son front les arbres d'alentour,
Et projetait au loin son ombre tutélaire.
Aux entrailles du sol, où le gland était né,
Profondément enraciné,

Il avait bravé les orages;
Et jusques à la fin des âges

A vivre il semblait destiné.

Aux rayons du soleil impénétrable tente,
Son feuillage touffu, dans la saison brûlante,
Contre les feux du jour protégeait les troupeaux,
Et sous sa voûte sombre,

Des laboureurs sans nombre

Etaient venus chercher le frais et le repos.
Les colombes aux ailes blanches

Construisaient leurs nids sur ses branches,

Et les oiseaux chanteurs y donnaient leurs concerts.
Mais, un jour, à ses pieds un lierre vint à naître.
D'abord frêle et chétif, le plus petit des vers
Aisément l'eût fait disparaître,

Et nul alors en lui n'aurait pu reconnaître
Un vampire aux desseins pervers.

Mais le monstre grandit. Sa tige moins timide

S'allongeant vers le tronc en replis tortueux,
Dans un embrassement perfide

Il enlaça bientôt l'arbre majestueux.
Puis, comme une horrible pieuvre,

Jusqu'au sommet poussant son œuvre,
Et dans la rude écorce enfonçant ses suçoirs,
Il tarit lentement de la sève puissante
Les innombrables réservoirs.

De ce roi des forêts la tête languissante
Périssant d'anémie, enfin s'étiola,

Et ses bras desséchés perdirent leur verdure.
C'en était fait, si d'aventure

Un bûcheron passant par là

Aux ravages du parasite

N'eut mis promptement le holà,

En arrachant du sol sa racine maudite.

De son ennemi délivré,

Le chêne, dès que vint la saison printanière,
Reprit sa parure première.

Sous l'ardeur du soleil haletant, altéré,
Le pâtre retrouva son ombre hospitalière,
Et sur ses rameaux rajeunis

Les colombes encor vinrent bâtir leurs nids.

Ce chêne, enraciné fortement dans la terre,
Ne serait-ce point, cher lecteur,
La Monarchie héréditaire?

Comme le lierre destructeur,

La Révolution, à ses flancs attachée,

A

pu découronner son front:

Elle n'a pas tué le tronc.

Que du sol de la France elle soit arrachée,

Les vieux rameaux reverdiront.

ABBÉ LAMONTAGNE.

CONTRE LA MUSIQUE

Voilà un titre effarouchant!

Qui a osé inscrire en tête du joli volume que nous avons sous les yeux, cette audacieuse déclaration de guerre à la plus séduisante des neuf Sœurs? Est-ce quelque philosophe voulant, plus austère que Platon, bannir de la République de ses rêves toutes les jouissances que procure l'harmonie, et, plus impitoyable que Lacédémone, couper toutes les cordes de la lyre? Est-ce un de ces froids positivistes de l'école scientifique contemporaine, qui ne croient pas aux vibrations immatérielles de l'âme, parce que le scepticisme a congelé la leur ? Est-ce un de ces hypocondres moroses pour qui les douces commotions que donnent les beaux-arts ne sont que fatigue et que tourment? Point du tout. Mais qui donc ? Je vous le donne en cent, je vous le donne en mille. Le coupable est un des esprits les plus délicats, une des âmes les plus sensibles de notre siècle; un de ses poètes dont l'inspiration est le plus pure, dont les vers sont le plus harmonieusement rhythmés. C'est un penseur qui a passé sa vie dans le culte du beau, dans un commerce intime avec la nature, dans la contemplation de toutes ses merveilles, dans la traduction de son sublime langage. C'est le chantre de Pernette, c'est l'auteur des Symphonies, c'est le maître qui naguère dans un adieu touchant, mais, espérons-le, non irrévocable, à la poésie, aspirait après ces concerts,

Ouïs par Virgile et par Dante,

Où sans nul désaccord chanteront tous les cœurs.

TOME XLIX (IX DE LA 5e SÉRIE).

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C'est lui!... Eh! quoi ! a-t-il donc trouvé tant de dissonances dans les voix de la terre, qu'il lance ainsi l'anathème contre l'art divin qui les assouplit, les discipline et les entraîne ?

En vérité, il y a ici quelque énigme. Tournez la page, vous en aurez le mot « Le titre de ce volume est un titre menteur. »

Spirituel badinage, trait d'ironie charmante, qui va frapper en pleine poitrine ceux qui ont calomnié Laprade, faute de le bien comprendre, et qui ont cru voir en lui un contempteur et un ennemi de la Muse de l'harmonie, parce qu'il voudrait placer sa statue sur un piédestal proportionné à sa taille, écarter d'elle la tourbe des profanateurs, et la purifier de ses souillures.

Tel est en effet le triple but que doit atteindre ce livre. A vrai dire, ce n'est point un plaidoyer, c'est une étude. L'auteur répudie toute idée préconçue pour ou contre la musique. Il veut faire taire l'amour qu'il lui porte. Il veut analyser les ressorts de cet art, et se rendre compte de ses effets, avec la sérénité du moraliste, supérieure aux entraînements de l'enthousiasme et de la passion. Une douce philosophie coule à flots dans ces belles pages, mais on y entend parfois aussi retentir les coups du fouet de la satire, qui flagelle sans merci les vices et les ridicules du siècle. Partout cependant on y reconnaît le poète. Il n'a pu dépouiller sa prose des vives couleurs et du nombre harmonieux, ornements inséparables de ses vers. Non! cet homme-là ne pouvait pas écrire contre la musique. Le titre de son livre ne peut être qu'un titre menteur.

La musique est le plus puissant de tous les arts de l'esprit, mais il est en même temps le plus obscur et le plus vague. En dehors des deux impressions de joie ou de douleur et de quelques autres moins nettes qui s'y rapportent, la plus mélodieuse cantilène séparée des paroles qui l'expliquent, la plus magistrale symphonie, n'éveillent chez l'auditeur aucune idée précise. C'est là assurément un chef d'infériorité sur les autres arts.

La musique est le plus immatériel et le plus matérialiste d'entre

Contre la musique, par Victor de Laprade, de l'Académie française. in-18. Paris, librairie académique Didier.

Un vol.

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