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11 Janvier 1786. M. Titon de Villotran qui étoit incommodé, s'est rendu hier à la Grand'Chambre assemblée, et y a fait enregistrer les Lettres Patentes, qui donnent au Parlement toute liberté d'entrer à la Bastille et d'y envoyer tels officiers de justice que bon lui semblera, pour les significations, informations, interrogatoires et autres actes quelconques nécessaires pour l'instruction et la marche de la procédure dans la grande affaire du Cardinal. On prétend qu'en conséquence il a dû être interrogé aujourd'hui. (M. B. 31/24.)

Versailles, 12 Janvier 1786. Le cardinal de Rohan se livre de plus en plus à la tristesse et au découragement. L'archevêque de Paris a obtenu la permission d'aller verser quelques consolations dans son sein. On assure que Mme de Brionne est exilée pour avoir resté cinq heures avec l'illustre prisonnier au lieu de deux qui lui avoient été permises. D'autres parlent de propos indiscrets qu'un zèle mal entendu pour le Cardinal lui a fait tenir à la Reine elle même... (C. S., II, 4, avec des vers qu'il nous est impossible de citer ici par respect pour nos lecteurs).

13 Janvier 1786. M. le Cardinal de Rohan a été malade à la Bastille, il a appelé le médecin Portal, qui a eu la liberté de le voir, et des plaisans qui tournent tout en dérision ont composé sur ce sujet une chanson sur l'air d'O filii et filiæ:

L'intriguant médecin Portal
Nous a rendu le Cardinal.
Il l'a bourré de quinquina
Alleluia.

Oliva dit qu'il est dindon,
Lamotte dit qu'il est fripon,
Lui se confesse en vrai bêta

Alleluia.

Notre Saint-Père l'a rougi,
Le roi, la Reine l'ont noirci,
Le Parlement le blanchira
Alleluia.

A la cour il est impuissant,
A la ville il est indécent,
A Saverne il végétera
Alleluia 1.

1 Mém. sec. de Bachaumont, XXXI, 31. On composa une autre chanson du même genre au mois d'Avril. Qu'il nous suffise d'en citer le premier couplet :

Nous voici dans le temps Pascal,
Que dites-vous du Cardinal?

Apprenez-nous s'il chantera

Alleluia, etc. (B. 31/256).

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16 Janvier 1786. Le jour de Sainte Geneviève, M. l'archevêque de Paris est allé, suivant l'usage, faire sa cour au Roi: il a dit à Sa Majesté que M. le Cardinal de Rohan désiroit le voir: mais qu'il n'avoit pas cru devoir faire aucune démarche à cet égard avant d'en avoir eu la permission de Sa Majesté. Sur quoi le roi lui a répondu : Très volontiers, très volontiers, il ne sauroit prendre de meilleurs conseils. En conséquence dès le lendemain, le Prélat s'est transporté à la Bastille. Il a rapporté avoir été effrayé de l'état du prisonnier, au point qu'il l'auroit méconnu s'il n'eut été prévenu qu'il parlait à Son Eminence. Elle lui a dit: Vous voyez un homme bien malheureux : mais j'espère, avec la gráce de Dieu, supporter patiemment toutes mes souffrances jusques au bout. Voilà tout ce que M. l'archevêque a raconté de cette conversation. (M. B. 31/41.)

- 23 Janvier 1786. · Recueil de Pièces authentiques secrètes et intéressantes pour servir d'éclaircissement à l'affaire concernant le Cardinal, prince de Rohan. - Paris, 1786, 50 p. in-8°. (C. K.) et Strasbourg. 1786, 52, p. in-8°. 2 éditions différentes. (C. K.)

Nouvelle édition, corrigée et augmentée, Paris 1786, 50. fr. in-8°. (C. K.) 1.

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- Versailles, 24 Janvier 1786. Le Cardinal de Rohan a protesté entre les mains de M. Titon contre la procédure faite et à faire à son suet. On prétend que c'étoit pour le déterminer à cette démarche que Mer l'archevêque de Paris sollicitoit si chaudement la permission de le voir2. Depuis ce moment, on a répandu avec abondance dans le public un Précis manuscrit attribué à M. Target, et dans lequel on prouve que le Cardinal n'est pas coupable d'imprudence et de crédulité. Le sieur de Lamotte, qu'on attendoit de Londres, n'est point arrivé. On dit que la famille de Rohan a trouvé moyen de le faire échapper et qu'il est passé en Russie 3. (C. S. II. 8.)

(A suivre.)

RENÉ KERVILER.

Ces pièces sont extraites de gazettes étrangères, entre autres de celle de Leyde. On y remarque en particulier une lettre contenant la déposition de MTM du Barry sur la comtesse de Lamotte.

2 Voir ces protestations en tête des interrogatoires publiés par M. Campardon, 3 Bruit absurde, on avait intérêt au contraire à saisir le comte de Lamotte.

NOTICES ET COMPTES RENDUS

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LES LITTÉRATURES POPULAIRES DE TOUTES LES NATIONS. 1. Littérature orale de la Haute-Bretagne, par M. F. Sébillot. 1 vol. in-18. Paris, Maisonneuve, 1881.

Un mouvement sérieux et réfléchi porte aujourd'hui les esprits vers l'étude des moindres monuments de notre littérature nationale; il n'y a si léger conte, si mince chanson qui ne deviennent précieux entre les mains des chercheurs pour la connaissance complète des mœurs et coutumes de nos vieilles provinces. Et puis les travaux des devanciers servent de points de comparaison aux nouveaux venus ; des analogies s'établissent entre des récits dont le fond différe peu, mais dont des conditions de temps et de lieu ont profondément altéré la physionomie. On suit, avec le plus vif intérêt, le développement et les transformations de telle légende qui semble innée chez tous les peuples, mais où chacun d'eux a laissé son empreinte. Seulement, il y avait à craindre que le penchant des campagnes à perdre tout caractère distinct, l'indifférence même des paysans pour les traditions dont ils sont les dépositaires, et la préférence malheureuse qu'ils accordent aux refrains venus de Paris, ne fissent disparaître les dernières traces de ce passé bavard qui fut l'âge d'or du conte; prompts à prévenir le péril, des érudits, à qui la postérité devra un juste tribut de louanges, ont pieusement recueilli tous ces vestiges, qui allaient s'affaiblissant de jour en jour dans la mémoire des vieillards et des enfants. La Bretagne offrait aux curieux le plus vaste répertoire de contes et de légendes, et y ajoutait l'attrait, unique en France, d'une langue vraie, mâle et forte,

et non plus d'un patois quelconque ; aussi les investigations heureuses du regretté Émile Souvestre, de M. de la Villemarqué, de M. Luzel et de tant d'autres, ont-elles laissé bien peu d'épis à glaner dans le champ celtique. La Haute-Bretagne, celle où l'on parle français, moins fortunée que sa sœur, gardait en gerbe une riche moisson de récits et de légendes; séparant avec soin le bon grain de l'ivraie, M. P. Sébillot vient de faire, de ces traditions éparses, un charmant volume. La littérature orale de la Haute-Bretagne, venant après un recueil de contes publié l'année dernière, a sa place marquée sur le rayon de choix de nos bibliothèques ; c'est pour moi une bonne fortune que de présenter le volume aux lecteurs de cette Revue.

Le moment semble bien choisi pour une telle publication. Les contes populaires, qui n'étaient jadis que l'amusement des enfants, ont conquis, dans la littérature, la place qu'ils méritent; depuis que les frères Grimm mirent au jour, en 1813, leurs « Contes du foyer et de la famille, » la curiosité qui s'attache à ce genre d'ouvrages n'a cessé de s'accroître, et l'on a pu prédire hardiment le succès à chaque recueil qui venait augmenter nos richesses. On conçoit pourtant à quelles difficultés M. Sébillot a dû se heurter pour la composition de son livre; de quelle patience il a dû s'armer pour recueillir cette littérature éparse, flottante, et lutter contre la méfiance et l'entêtement des paysans; quel tact, enfin, il lui a fallu pour élaguer les rhapsodies médiocres ou mauvaises, indignes de vivre au delà des bornes de la veillée. Tout en évitant de surcharger son ouvrage de notes et de commentaires inutiles, de rapprochements oiseux qui en eussent, sans profit pour le lecteur, ralenti la marche, l'auteur a su lui donner une exactitude vraiment scientifique; digne émule de M. Bladé, dont il cite volontiers les importants travaux sur l'Armagnac et l'Agenais, il ascrupuleusement imprimé, à la suite de chaque conte, le nom de la personne dont il le tient. Pour être toujours française, et du meilleur français, la langue qu'il emploie ne cesse jamais d'être simple, et appropriée au récit

Contes populaires de la Haute-Bretagne, 1 vol. in-12.- Paris, Charpentier, 1880.

comme à la personne du narrateur. Le volume est tout imprégné de saveur locale; et disons, à l'honneur de nos paysannes bretonnes, qu'il y a tel de ces contes, raconté aux Veillouas ou aux Erusseries de chanvre, qui soutiendrait la comparaison avec une page arrachée aux Caquets de l'accouchée, ou aux Evangiles des Quenouilles.

Le livre de M. Sébillot est divisé en deux parties. Dans la pre→ mière il a groupé, sous cinq paragraphes distincts, des féeries, des facéties, des histoires de revenants, des contes d'enfants, des contes de marins et de pêcheurs. Chacun de ces groupes mériterait une monographie spéciale; disons un mot des contes qui nous ont surtout frappé. Parmi les féeries, plusieurs sont saisissantes; elles ont pour théâtre ces houles, ou grottes des falaises, où l'imagina tion populaire a placé la demeure des fées. C'est d'ailleurs un commerce bienveillant qui semble s'être établi entre les fées et le paysan breton elles guérissent son enfant, l'arrachent à la misère, le vengent des offenses qu'il a subies, mais l'abandonnent quand l'ingratitude ou l'ivrognerie l'ont rendu indigne de leurs soins. Plus loin, l'auteur retrouve Gargantua en Haute-Bretagne; ce qui n'a pas lieu de nous surprendre, car le bon géant dont Rabelais a ciselé l'image formidable, a des affinités nombreuses avec la mythologie celtique. Ce n'est plus Rabelais, mais Perrault, dont d'ingénieux rapprochements évoquent ensuite le nom cher à l'enfance: BarbeRouge, espèce de Barbe-Bleue, la Pouilleuse, vraie Peau d'âne bretonne, pourraient bien être des versions primitives, des contes de nourrice que Perrault a mis par écrit. Les Contes des géants et des hommes forts, qui suivent, nous offrent le type de Jean de l'Ours, sorte de justicier et de protecteur des faibles, en qui semblent se combiner les traits de l'Hercule de la fable et des chevaliers errants. Avec les facéties et les bons tours, la scène change: c'est ici le viei esprit gaulois qui se moque du roi, des seigneurs et du clergé, c'est Panurge substitué à don Quichotte. Deux types se détachent en pleine lumière, deux héros de la tradition populaire: Jean le Diot (le Fou, le garçon sans idée), le Janot du siècle dernier, le Jocrisse

TOME XLIX (IX DE LA 5e SÉRIE).

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