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XI*

LE PRINCE LOUIS, IV CARDINAL DE ROHAN

(1734-1803)

IX. Le procès du Collier

(1785-1786)

Le procès du collier a été trop souvent et trop complètement raconté pour que nous ayons la prétention d'en faire un récit. Mais ce qu'on connaît beaucoup moins que le procès en lui-même c'est le trouble qu'il suscita dans l'opinion publique, pendant près d'une année. Il est intéressant d'en rechercher le reflet dans les mémoires du temps, dans les correspondances privées et dans les innombrables documents officiels ou pamphlets qui parurent à cette époque. Jeux de mots, chansons et libelles, ne furent pas épargnés. Nous en donnerons ici la bibliographie sans ajouter d'autre commentaire que celui des contemporains. Ce sera une sorte de mémorial, tenu presque jour par jour par le public de toutes les classes. Nous n'avons trouvé que ce moyen de présenter du nouveau en pareille matière ; et, ce côté de la question ayant été très peu abordé par les historiens d'un procès si célèbre et si important dans les préludes de la révolution, le tableau que nous allons présenter sera comme le complément de tous les récits de nos prédécesseurs. «Malgré le jugement qui indiquait les innocents et les coupables, a écrit un contemporain, cette sale procé* Voir la livraison d'avril 1881, pp. 278-291.

dure a laissé la mémoire de la reine couverte de nuages dans l'esprit de beaucoup de monde, en France et en Europe. Rien n'a pu annéantir le soupçon que la reine fut d'intelligence avec la dame de Lamothe, pour se procurer le collier. Le cardinal de Rohan n'a cessé de dire qu'aucun des accusés n'avait dit vrai dans cette procédure. Il ajoutait que lui seul avait dit la vérité sans la dire toute. La reine put se convaincre, dans le courant du procès, qu'elle avait déjà perdu l'estime de la nation 1. On témoignait de toutes parts le désir de trouver le cardinal innocent, et les individus attachés à la reine parlaient de la convenance de l'envoyer à l'échafaud. La reine porta le zèle dans sa propre cause au point de venir à Paris pour en conférer avec des magistrats du parlement, obtint quelques voix pour entacher le cardinal par un hors de cour. La majorité du parlement le déclara innocent. Dix mille personnes de tous états, qui attendaient dans les avenues et les salles du palais le résultat du jugement, accablèrent les magistrats de toutes sortes d'applaudissements, moins pour paraître agréables au prélat, qui n'avait rien de populaire, que pour affecter la reine indirectement*. »

L'auteur de la notice sur la vie de Madame Campan, placée en tête de ses mémoires, est aussi explicite sur ce sujet que l'ex-abbé Soulavie. «<Quand tout se réunissait, dit-il, pour accuser un prêtre libertin et crédule, un grand seigneur ruiné avec 800,000 livres de rente, un prince de l'Eglise, dupe à la fois d'un escroc, d'une femme galante et d'un charlatan, ce fut la souveraine qu'offensait sa crédulité et peut-être son coupable espoir, ce fut Marie-Antoinette qu'on osa soupçonner. La cour, le clergé, les parlemens se liguèrent pour humilier le trône et la princesse qui s'y trouvait assise. Au lieu de la plaindre, on la blâmait: on ne lui pardonnait pas même de laisser éclater la douleur et l'indignation d'une femme, d'une épouse et d'une reine outragée3....

Dans un pays où l'honneur et le ridicule règnent ou plutôt rè

C'est un ennemi qui parle, et qui prend les frondeurs pour la nation.

2 Soulavie. Mémoires sur Louis XVI. VI, 73.

'Mémoires de M Campan, 1, XXV.

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gnaient alors tyranniquement sur la société, a écrit de son côté le comte d'Allonville, l'opinion condamne irrévocablement tout ce qui paraît souillé aux regards de l'un ou atteint par l'autre tel fut le sort de Marie-Antoinette, lors d'un procès qui la faisait figurer avec des escrocs, et dans une scène de mystification. « Certes, ajoute-t-il, si les vraisemblances étaient seules consultées, il ne serait pas nécessaire aujourd'hui de disculper la reine de France de l'intrigue à l'aide de laquelle on supposa qu'elle voulut se procurer un collier, dont alors elle n'aurait pu faire usage, et qu'indépendamment de ces vils moyens, elle eût fort bien pu obtenir. Mais le public, qui eût naturellement trouvé les causes de ce procès dans la légèreté, les mœurs et la crédulité du cardinal de Rohan, précédemment dupe de deux femmes, Cahonet et Goupil, cherche toujours du mystère dans ce qui a trait aux gens du monde et l'étranger, soit par ignorance, soit par jalousie contre la France, adopta les inculpations les plus outrageantes pour la fille de Marie-Thérèse. Quant à moi, cet événement, si fécond en résultats, me rappelle à la fois la turpitude d'une vieille intrigante, les torts de la magistrature, les menées de quelques hommes que les circonstances ont depuis rapprochés du trône, l'imprévoyance de la cour et surtout l'inconcevable prévention de la multitude contre une princesse douée des qualités les plus précieuses et les moins appréciées 1.»

:

Les torts de la magistrature! vient de dire le comte d'Allonville. Le mot de torts est même adouci, si l'on s'en rapporte au trait suivant: « Je ne saurais oublier, écrit-il encore, que revenu à Paris, au moment où l'affaire du cardinal eut été remise entre les mains du parlement, M. Freteau, chez lequel je me trouvais le soir du jour où le rapport en avait été fait aux chambres, et je crois, par ce magistrat même, nous dit d'un air de jubilation révoltante: - Grande et heureuse affaire ! un cardinal escroc, et qui, pour se disculper... (nous n'osons pas achever la phrase). Que de fange sur la crosse et sur le sceptre ! Quel triomphe pour les idées de liberté ! Quelle impor1 Mémoires secrets, par le comte d'Allonville, I, 188.

tance pour le parlement! Mon père, avec lequel j'étais, me regarda en frissonnant d'indignation: pour moi, je souris de pitié, quand j'eusse dû partager ses sentimens, car je ne me figurais pas encore à quel excès d'horreur cela conduirait1. >>

Ces détails sur la situation des esprits étaient absolument nécessaires au début du journal du procès, pour qu'on pût se rendre un compte exact de sa vraie physionomie. On va maintenant juger pièces en mains.

- 22 Août 1785. On n'a pas manqué de faire un calembour sur l'aventure de M. le cardinal de Rohan. Comme c'est un collier qui en est le principal ressort, on dit que c'est le dernier coup de collier que donnera la maison de Rohan; que le cardinal n'est pas franc du collier..... (Mém. sec. de Bachaumont. 29, 217) 2.

24 Août 1785. On ne cesse de converser sur l'aventure du Cardinal et principalement sur le motif de sa détention. On ne peut concevoir qu'il se soit permis une escroquerie aussi bête et voici comme on l'explique. Le comte de Cagliostro, dont il est question depuis plusieurs années et qui d'abord s'étoit établi å Strasbourg, a eu occasion d'y voir le cardinal, de s'en faire connaître et gagner sa confiance. Ce prélat est fort dérangé et auroit grand besoin d'argent. Le comte qui est alchimiste, lui a persuadé qu'il lui feroit trouver la pierre philosophale. S. E. a donné dans cette chimère, et s'est flattée qu'elle auroit le temps de payer le collier avant que le faux fût découvert. Ce qu'il y a de sûr, c'est que le cardinal vivoit en grande intimité avec le charlatan, montroit même une sorte de vénération pour lui. Et si l'on s'étonne qu'un homme d'esprit comme le cardinal ait été dupe d'un pareil charlatan, la folie du Mesmérisme qui a pris avec tant de fureur auprès de gens instruits, de savans, d'académiciens, donne la solution de ce problème. On va plus loin aujourd'hui, et l'on veut que le comte de Cagliostro, qui vivoit magnifiquement sans vouloir recevoir d'argent de personne, fût entretenu par le Cardinal (M.B. 29, 222.)

28 Août 1785.

Il passe pour constant qu'hier les trois ministres, c'est-à-dire MM. le baron de Breteuil, le comte de Vergennes et le mareschal de Castries se sont rendus à la Bastille et ont signifié de la part du

Ibid, P. 190.

2 Ces jeux de mots sont répétés par M. d'Oberkirch.

Nous indiquerons désormais par les deux lettres M. B. la source des Mémoires secrets de Bachaumont.

TOME XLIX (IX DE LA 5o SÉRIE).

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roi au cardinal que, sous un délai de quatre jours, il eût à opter d'être jugé, soit par le Parlement, soit par une Commission, soit de recourir à la clémence du monarque. Ils lui ont ajouté que S. M., afin de lui procurer toutes les facilités de se déterminer en connoissance de cause, lui permettoit durant cet intervalle de voir sa famille et les divers jurisconsultes propres à l'éclairer sur le parti à prendre. (M. B. 29, 234.)

L'intendant d'Alsace, écrit Mme d'Oberkirch à cette date, reçut l'ordre de mettre les scellés sur les papiers du cardinal. On fit la visite de son palais sans rien trouver. Un heiduque dévoué à son Excellence corps et âme était arrivé trois heures avant l'estafette de la cour et il a brûlé, dit-on, beaucoup de papiers. Il fut arrêté, interrogé inutilement, relâché ensuite, et il repassa immédiatement le Rhin.

Le lendemain de la visite au palais épiscopal de Strasbourg, on alla à Saverne en faire autant; on obtint le même résultat, c'est-à-dire qu'on ne trouva rien. Le pauvre cardinal dut se rappeler, lorsque le masque de ses vils amis leur fut arraché, ce que je lui avais dit et prédit. Il n'est pourtant pas désabusé entièrement à ce qu'on assure. Ce Cagliostro l'a ensorcelé. On s'occupa fort en Alsace de toute cette histoire. Le cardinal y était assez aimé, bien qu'on ne le respectât pas autant que sa dignité l'aurait voulu. L'abbé Georgel, son grand vicaire et son confident, avait bien plus de tenue et imposait infiniment plus que lui.» (Mém. de la baronne d'Oberkirch, II. 163) 1.

A propos de ces visites domiciliaires nous devons faire observer qu'on fut en général assez surpris, dans le public, de la manière dont les arrestations furent faites. Les gens qui ont quelque usage des affaires s'étonneront avec raison, dit Besenval, que dans une affaire de cette nature, le roi faisant arrêter le cardinal de Rohan, on n'ait pas pris les précautions nécessaires pour qu'au même instant le scellé fût mis sur ses papiers dans tous les lieux qui pouvoient en contenir.»

Il semblait qu'on eût voulu laisser aux accusés le temps de faire disparaître des papiers, compromettants pour d'autres en même temps que pour eux. Je n'ai jamais pu me rendre raison, dit Beugnot, de la conduite du ministre au début de cette affaire. Il s'agit de l'escroquerie d'une magnifique parure de diamants, opérée par une suite de négociations assez compliquées. On arrête Madame de Lamotte, mais on l'arrête seule. Ce n'est que cinq jours après que l'on se présente pour arrêter son mari, comme si celui-ci, averti par le sort de sa femme de ce qui l'attendait avait dû se tenir tranquille ehez lui et se préparer dévotement à un voyage pour la Bastille. Huit jours après qu'on sait le départ de M. de Lamotte, on s'avise en fin de songer aux diamants. On revient à Bar-sur-Aube les demander et, apparemment, avec l'espoir de ne pas les trouver; car comment pouvait-on supposer que M de Lamotte, à qui on avait laissé le temps, ne les avait pas emportés ou ne les avait pas mis en lieu de sûreté..

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