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nobles femmes, qui les prirent avec émotion et les pressèrent silencieusement dans les leurs.

Louise! Est-ce vous ? murmura le mourant d'une voix faible. Vous ne m'avez donc pas oublié ?...

Oh! non... répondit la jeune fille en laissant couler ses larmes.

- Et vous, madame, ajouta M. de Carestiemble en s'adressant à Mme de Bégard, vous pouvez me voir sans horreur !... Vous m'avez donc pardonné ?...

Mme de Bégard, suffoquée par son émotion, ne put répondre; mais elle se leva, et se penchant sur le jeune homme, elle déposa un baiser de mère sur son front, que la sueur de la mort baignait déjà. C'était un baiser tout rempli de tendresse et de pardon. Charles le comprit et murmura :

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Soyez bénie, madame! Oh! que ne puis-je dire: ma mère! M. de Carestiemble dirigea ensuite son regard vers Louise, toujours agenouillée, et lui dit d'une voix si faible que le bruit en vint à peine aux oreilles de la jeune fille :

Ne m'oubliez pas !...

--Je vous le promets, répondit-elle avec énergie; je me considère toujours comme votre fiancée et bientôt, je l'espère, je vous rejoindrai là-haut !

Le jeune homme sourit, mais ne répondit plus. Les préludes de la mort avaient commencé pour lui. Il était dans cet état l'on que appelle du nom lugubre d'agonie... Ce n'est plus la vie, et ce n'est pas la mort. Les yeux sont fermés aux choses d'ici-bas, mais ils ne voient pas encore les splendeurs éternelles. Les oreilles sont insensibles aux bruits de la terre, mais ne perçoivent pas encore les sons harmonieux des concerts célestes... L'âme est, pour ainsi dire, suspendue entre les deux mondes: le monde qu'elle va quitter pour jamais, et le monde nouveau, mystérieux, inconnu, où elle va habiter pour toujours!

Et cependant, quoique déjà entraîné vers le tribunal suprême où vont se fixer ses destinées pour l'éternité, tout n'est pas encore

fini pour le mourant; le sceau, qui ferme d'une manière irrévocable le livre de la vie, n'est pas encore apposé, et jusque dans ce passage ténébreux, à la porte même de l'éternité, le pardon céleste peut encore atteindre et purifier le pécheur repentant. Aussi l'Eglise catholique, cette mère indulgente et bonne, veut que l'on adresse encore à Dieu, pour celui qui va mourir, des prières suprêmes...Ces accents, si sublimes dans leur grandeur et leur simplicité, s'appellent les prières des agonisants.

Charles était donc arrivé à cet instant solennel pour lequel nous sommes nés, a dit Mme Swetchine. Il était étendu désormais immobile. Sa respiration entrecoupée disait seule que la vie ne l'avait pas encore complètement abandonné. Ses beaux traits, qui semblaient sculptés dans le marbre, en avaient déjà la froideur. Ses yeux étaient fermés, et ses mains, qui avaient la teinte de la cire, reposaient inertes sur le tapis qui le couvrait.

Louise de Bégard, avec cette énergie qu'un grand nombre de femmes savent trouver en elles dans les instants les plus douloureux de leur vie, avait voulu remplir elle-même le devoir suprême d'appeler sur le dernier soupir de son fiancé la bénédiction du

ciel.

Elle était agenouillée, presque aussi pâle que Charles de Carestiemble, les yeux rouges, la voix altérée par l'émotion; mais ses accents empruntaient encore quelque chose de plus touchant à ces signes non équivoques de douleur.

M. de Varade appuyait le front sur une des mains de son neveu. Il connaissait maintenant le secret fatal qui avait brisé la vie de celui-ci ! Il laissait couler ses larmes, tandis que la voix tremblante de Louise murmurait :

- Partez de ce monde, âme chrétienne, au nom de Dieu, le Père tout-puissant, qui vous a créée, au nom de Jésus-Christ qui a souffert pour vous, au nom de l'Esprit-Saint qui est descendu sur vous !...

<< O Dieu, plein de miséricorde, continuait Louise, renouvelez dans l'âme de votre serviteur ce qui a pu être corrompu

et défiguré par la fragilité humaine ou la malice de l'esprit tentateur...

< Oubliez, Seigneur, les erreurs et les péchés de sa jeunesse, et, dans votre miséricorde infinie, souvenez-vous de lui au sein de votre gloire !...

Ce fut au doux murmure de cette voix chérie, qui appelait sur son lit de mort le dernier pardon d'en haut, que l'âme de Charles de Carestiemble, purifiée par la souffrance et le repentir, quitta ce lieu d'épreuves et s'envola dans le sein de Dieu.

Par son testament, M. de Carestiemble léguait à Louise de Bégard la plus grande partie de sa fortune, témoignage, disait-il, d'une tendresse respectueuse que les vicissitudes de la vie n'avaient pu amoindrir.

Tu vas refuser ce legs sans doute, Louise? lui dit son oncle de Rosieux, en lui donnant connaissance du testament qui avait été déposé au tribunal civil de Fougères.

Non, mon oncle, répondit Louise avec émotion ; j'accepte, au contraire, le legs de M. de Carestiemble. Pour faire bénir sa mémoire, sa fortune, passant par mes mains, n'aura d'autre emploi que le soulagement des pauvres et des affligés !...

Et Louise a vaillamment rempli la tâche qu'elle s'était imposée. La vieille demeure des Carestiemble, dépouillée de son luxe éphémère, a repris l'aspect austère qui convient à sa destination actuelle; un hospice pour les vieillards abandonnés y a été fondé par ses soins, et elle veille elle-même au bien-être des malades qui l'entourent.

Une simple robe noire est sa parure, et lorsqu'on lui parle du peu de soins qu'elle accorde à sa toilette, elle répond avec un triste sourire que celui auquel seul elle eût désiré plaire est parti pour ne plus revenir !

Le corps de Charles de Carestiemble repose, selon son désir, dans le cimetière de Saint-Aubin du Cormier. Une colonne tronquée, emblème de la mort prématurée, s'élève sur sa tombe. Une inscription d'un style concis et sévère relate sa fin glorieuse.

Un écusson aux armes de sa famille est sculpté dans le marbre; seulement, à la place de la devise orgueilleuse et mensongère des Carestiemble: Nul n'a forfait ! Louise a fait graver ces mots plus vrais et plus chrétiens: Espérance et pardon!

Mme A .FABRY.

* '

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Trois petits orphelins qui souvent revenaient Visiter tristement la tombe de leur mère, Entendirent, un jour, sous l'if du cimetière, Parler la douce voix de celle qu'ils pleuraient :

« Pourquoi, fils de ma tendresse,
A la pierre que voilà,

Vous ramène-t-on sans cesse?
Votre mère n'est point là.

Il est vrai que dans la terre,
L'an dernier, on mit mon corps,
Et que bientôt il doit faire
Pousser le gazon des morts.

Qu'importe ! ma chair impure
Subit la commune loi;
Laissez aux vers leur pâture;
Ce cadavre n'est pas moi.

Moi, je vis incorruptible,
Heureuse, belle à jamais,
Et viens, gardienne invisible,
Protéger ceux que j'aimais.

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