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rations. Pionniers de la science et de la civilisation, ils ne reculent ni devant les insolations tropicales, ni devant la zagaie du sauvage; beaucoup déjà sont morts à la peine, et, avant que leur œuvre s'accomplisse, beaucoup encore iront grossir le glorieux nécrologe des missions étrangères. Mais rien ne les arrêtera ; de nouvelles recrues se lèvent pour remplacer ceux que la mort vient de moissonner. Ils partent avec ce détachement de la vie qui assure la victoire, ayant pour toute arme de guerre une croix sur la poitrine, au pied de laquelle nous voudrions voir gravée la devise du labarum de l'empereur Constantin: HOC SIGNO VINCES.

Nous avons dit que Mer Coupperie avait laissé un grand nom dans l'histoire des missions étrangères. Son souvenir lui survivra longtemps dans le diocèse de Babylone. Les voyageurs, en traversant les provinces où ses vertus furent si édifiantes, trouveront sa mémoire en grand honneur. A Bagdad, sans distinction de cultes et de sectes, elle est restée chère à tous les cœurs; elle passera, comme une tradition sainte, de générations en générations.

C. MERLAND.

XI*

LE PRINCE LOUIS, IV CARDINAL DE ROHAN

(1734-1803)

VIII, Le collier de la Reine

(1785).

Le 15 août 1785, jour de l'Assomption, une heure avant que Leurs Majestés se rendissent, suivant l'usage, à la chapelle du château de Versailles, le cardinal de Rohan, revêtu de ses habits pontificaux, attendait dans la grande galerie, au milieu d'une foule considérable de courtisans, le moment de l'entrée du roi et de la reine, quand la porte de glace, donnant sur le cabinet du roi, s'ouvrit brusquement pour donner place à un huissier qui dit à haute voix: « Le Roi demande Monseigneur le cardinal grand aumônier. »

Un tel jour et en telle circonstance, cet appel n'avait rien qui pût exciter la surprise, et les conversations, pendant un moment interrompues, reprirent leur cours naturel, sans que personne se préoccupât de l'incident. Une demi-heure à peine s'était-elle écoulée, que la même porte se rouvrit devant le cardinal qui revint se mêler aux groupes de la galerie. On ne pouvait remarquer sur ses traits d'altération sensible; néanmoins, il parut à quelques-uns des courtisans que la pâleur de son visage indiquait une certaine émotion intérieure, contenue par la puissance de la volonté. On n'eut pas le temps, du reste, de prolonger l'observation, car presque aussitôt le baron de Breteuil, ministre de la maison du roi, parut à son tour sur le seuil de la porte de glace, et s'écria d'une voix retentissante: <Arrêtez le cardinal de Rohan. » Ce cri et l'arrivée du duc de Vil* Voir la livraison de mars 1881, pp. 192-199.

leroi, capitaine des gardes du corps, et de plusieurs gardes qui entourèrent à l'instant le prince de Rohan, causèrent à toute la foule la plus vive surprise. On se pressa autour du grand aumônier; ce fut pendant quelques minutes une confusion si complète, que le duc de Villeroi dut attendre qu'elle fût un peu calmée avant de donner l'ordre de conduire le cardinal à son appartement, où il devait être gardé à vue, sous défense de communiquer avec qui que ce fût 1.

A une heure de l'après-midi, le prince de Rohan montait en voiture, accompagné du comte d'Agout, sous-aide major des gardes du corps, chargé de la personne de Son Eminence, qui, à trois heures, descendait dans la cour de son palais-cardinal, rue Vieilledu-Temple. A quatre heures, le baron de Breteuil, porteur des ordres du roi, M. de Crosne, lieutenant de police, et un secrétaire, arrivaient à l'hôtel du cardinal et mettaient sous les scellés les papiers de Son Eminence. Enfin, à minuit, le comte de Launay, gouverneur de la Bastille, venait chercher le prince de Rohan dans son carrosse et l'installait dans la terrible prison d'État où il devait rester prisonnier pendant neuf mois, en attendant l'heure où, après avoir comparu sous une accusation de crime de lèsemajesté devant le Parlement de Paris, son innocence serait mise au grand jour par un arrêt solennel.

Qu'était-il arrivé pour que le Roi se fût décidé à un éclat qui devait avoir dans toute l'Europe un long et douloureux retentissement ? L'explication en demande des éclaircissements très détaillés.

Nous avons vu dans les chapitres précédents à quelle situation brillante était parvenu le prince Louis, malgré tous les obstacles que l'inimitié de la Reine avait mis à son élévation, Comme grand aumônier de France, il se trouvait à la tête de l'épisco

Cette scène a été fort bien racontée par M. L. Seubert (l'Intrigue du collier. Paris, Tardieu, 1864, in-12), dont nous analysons le récit, analyse lui-même du gro livre de M. Campardon: Marie-Antoinette et le procès du collier. Paris, Plon, 1863, in-8°.

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pat et du clergé ; aucun évêque ne pouvait parvenir au roi que par son ministère : il avait seul, avec Louis XVI, un travail indépendant de tout autre ministre : les places d'aumôniers du roi, au nombre de huit, que l'on ne quittait que pour un évêché, celles de chapelains qui procuraient de gros bénéfices, étaient à sa disposition; il avait près de cent bourses à donner dans les collèges de Louis-le-Grand, de Navarre et de Sainte-Barbe; toutes les pensions et gratifications sur la caisse des aumônes du roi, toutes les places et pensions sur les Quinze-Vingts étaient à sa nomination... Que lui manquait-il donc, s'écrie un apologiste, pour jouir paisiblement de la plus haute considération? Il lui manquait la faveur de la Reine, et toutes ses jouissances étaient empoisonnées par le chagrin que lui causait sa disgrâce près de MarieAntoinette. Regagner les bonnes grâces de sa souveraine devint le but unique de ses désirs, et cette préoccupation incessante se transforma bientôt en une passion véritable qui lui fascina les yeux. Son aveuglement fut bientôt tel « qu'avec beaucoup d'esprit et de pénétration, il ne vit pas les pièges que lui tendit la plus scélérate cupidité ‘. »

Cagliostro et surtout la comtesse de Lamotte furent les deux instruments de ces basses œuvres de l'enfer, quand l'habile intrigante vit assez clair dans le cœur ulcéré du cardinal pour tenter d'exploiter audacieusement une honorable faiblesse. Etouffant toute pudeur et toute reconnaissance, cette infâme créature essaya de l'entraîner dans un abîme d'où elle espérait s'échapper elle-même. Ce fut le contraire qui arriva. Quelques mots de biographie ne seront pas inutiles pour la faire connaître : elle joua le premier rôle dans le drame, et la comédie dégénéra pour elle seule en tragédie.

Jeanne de Saint-Remy de Valois était l'aînée des trois enfants du comte de Saint-Remy de Valois, descendant d'un bâtard du roi Henri II. Née dans les environs de Bar-sur-Aube, en 1756, elle avait eu l'enfance la plus misérable, car son père, après avoir dissipé le pa1 Mém. de l'abbé Georgel, II. 34.

trimoine que lui avaient transmis ses aïeux, était venu mourir à l'Hôtel-Dieu de Paris. Livrée à une mère sans entrailles qui foulait aux pieds tous les devoirs et qui, à peine veuve, abandonna ses enfants, la pauvre jeune fille déploya un courage surnaturel pour soutenir le jeune frère et la jeune sœur dont elle était devenue l'unique appui. Retirée avec eux à Chaillot, elle attira l'attention de la marquise de Boulainvilliers qui se chargea de l'éducation des trois enfants, et fit obtenir à Jeanne une pension de 800 livres sur la cassette du roi et la présenta, dans un de ses voyages à Saverne, au cardinal de Rohan qui s'intéressa vivement à ses malheurs. Après la mort de sa bienfaitrice, Jeanne de Saint-Remy, revenue à Bar-le-Duc dans le pays de son père, y épousa, en 1782, un gendarme nommé le comte de Lamotte. Les deux époux, après un court séjour dans la garnison de Lunéville, ne tardèrent pas à se rabattre sur Paris : le mari pour s'adonner au jeu, la femme pour vivre d'intrigues, s'introduire à la cour, capter la confiance de Mesdames, et chercher à recouvrer une partie de la situation de fortune de ses ancêtres.

Le couple s'établit dans le Marais, rue Neuve Saint-Gilles, bien déterminé à trouver des ressources: mais dans l'hiver de 1784, les démarches et les placets n'ayant pas suffisamment abouti, et le jeu ayant refusé des revenus, on fut réduit aux derniers expédients. La comtesse se rappela alors que dans le même quartier habitait, dans un splendide hôtel, le grand aumônier de France, dispensateur des secours royaux, à qui elle avait été jadis présentée à Saverne. Sans avoir l'éclat de la beauté, elle se trouvait parée, dit l'abbé Georgel de toutes les grâces de la jeunesse: sa physionomie était spirirituelle et attrayante; elle s'énonçait avec facilité; un air de bonne foi dans ses récits mettait la persuasion sur ses lèvres; mais ces dehors séduisants cachaient l'âme et les talents magiques de Circé'. Elle supposa que le prince Louis, âgé seulement de quarante-six ans, ne ferait pas mentir sa réputation de galanterie, et que la prière d'une femme jeune, agréable et insinuante ne pouvait manquer d'avoir du succès près de Son Éminence. Elle se présenta donc har

'Mém. de l'abbé Georgel, II, 35.

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