Page images
PDF
EPUB

reuse; depuis la mort de ma mère surtout, il n'a cessé de parcourir le monde. Aujourd'hui même, malgré ses soixante-dix ans, il poursuit cette vie nomade, qui a déjà englouti une grande partie de sa fortune.

Il vit encore, madame ? balbutia M. de Carestiemble en fixant un regard plein d'angoisse sur le visage de Mme de Bégard.

Je ne sais trop, hélas ! Les dernières nouvelles que nous avons reçues de lui datent de près de deux ans. Il était alors au Mexique. Depuis lors le silence s'est fait autour de lui, ce qui me cause une vive inquiétude, car dans un pays troublé comme le Mexique, les voyageurs isolés sont exposés à de grands périls, J'en ai entendu conter des exemples qui font frémir. La pensée que mon pauvre père a pu être massacré par quelque bandit, et que son corps sans sépulture a servi de pâture aux animaux sauvages, cette pensée affreuse m'obsède, et souvent m'éveille la nuit en sursaut.... Mais qu'avez-vous donc, monsieur? s'écria tout à coup Mme de Bégard en voyant Charles devenir de plus en plus pâle et près de s'affaisser sur sa chaise.

Je ne sais, balbutia le malheureux jeune homme en se levant. Un étourdissement... un malaise subit... J'étouffe, j'ai besoin d'air... Permettez-moi de me retirer...

Et malgré les instances de Mme de Bégard, qui voulait le retenir, M. de Carestiemble sortit du salon, puis de la maison, chancelant comme un homme ivre !

La foudre venait d'éclater sur le fragile édifice de son bonheur et d'en lancer les débris aux quatre vents du ciel !

M. de Rosieux, l'aïeul de Louise, était le malheureux vieillard immolé deux ans plus tôt, sur l'ordre de Charles, par le lasso de Cirilo.

(La suite prochainement.)

Mme A. FABRY.

NOTICES ET COMPTES RENDUS

A DIEU VAT ! Episodes maritimes nantais, par M. Pierre-Jean. In-24 de

70 pages.

Nantes, 1878.

A DIEU VAT ! Tel était le cri que poussaient autrefois nos matelots, lorsque la terre disparaissait au loin derrière eux. Livrés aux incertitudes de la mer, ils levaient leurs regards vers le ciel. Oculi omnium in te sperant, Domine. « Les yeux de tous espèrent en toi, Seigneur!» lisait-on à la poupe du navire héraldique de la ville de Nantes; devise sublime, à laquelle on a substitué, comme plus convenable et plus à propos, une banalité voisine d'une sottise Favet Neptunus eunti: « Neptune favorise le voyageur.»> Pourquoi ne pas supprimer alors le Bureau Veritas ?

Non, non, pour celui qui se hasarde sur les flots, il n'y a que deux mots à dire : A Dieu! et ces deux mots, dont notre langue bien inspirée a fait un seul, expriment à la fois, et bien autrement que le Vale latin et le Farewell anglais, le regret, la crainte et l'espé

rance.

Mais pourquoi ce titre d'A Dieu vat! au petit ouvrage qui nous est tombé sous la main? Parce qu'il s'agit dans cet opuscule du prétendant Charles-Édouard, et que ce fut son dernier cri en partant des côtes de France, le 19 juillet 1745, pour aller conquérir les trois royaumes de la Grande-Bretagne, noble héritage de ses pères.

Que de craintes et d'espérances, en effet, se partageaient son cœur,

1 Lettre de M. de Barante, préfet de la Loire-Inférieure, du 21 novembre 1814. 2 On sait que le Bureau Veritas publie, mois par mois, la liste des naufrages. Le dernier relevé (janvier 1881), porte 147 marins perdus sous tout pavillon, et 28 navires supposés perdus. Faveurs de Neptune!

à cet instant suprême! Ses forces consistaient en un petit navire, armé à Nantes par Antoine Walsh, un de ses fidèles, et en quelques amis dévoués.

Ce navire est nommé la Dontelle par Mellinet, la Doutelle par Walter Scott et plusieurs écrivains anglais, la Dentelle, le Duthil et le du Tilly par quelques autres historiens. Nous apprenons aujourd'hui que le nom véritable était le du Teillay, nom du commissaire de la marine qui remplissait alors ces fonctions à Nantes. Ce navire, dont on a beaucoup exagéré l'armement, était un fin corsaire de 150 tonneaux, armé de 14 canons et de 18 pierriers. Il était accompagné de l'Elisabeth, frégate du roi, ayant 90 hommes d'équipage et commandée par le marquis d'O.

Dès le lendemain, 20 juillet, un vaisseau anglais de 74, le Lion, aperçut les deux bâtiments et leur donna la chasse. Le du Teillay, auquel était attaché le sort de l'expédition, fit force de voiles, tandis que l'Elisabeth, ralentissant sa marche, engageait fièrement le combat. Ce combat est un des plus glorieux de la marine française; il dura cinq heures. Le marquis d'O fut coupé en deux par un boulet. Son remplaçant, le lieutenant Bart, se montra le digne petit-fils du héros de Dunkerque, et, loin de se ralentir avec lui, l'action ne devint que plus violente. La frégate, malgré son infériorité, parvint même à éteindre le feu du Lion, et elle l'eût amariné si la nuit et son gouvernail brisé n'avaient rendu ses manœuvres difficiles. Les Anglais profitèrent des ténèbres pour s'éloigner. Ne les apercevant plus au matin, l'Elisabeth rentra à Brest avec 156 boulets dans la coque, dont 12 à la flottaison; 57 hommes, dont 12 officiers, avaient perdu la vie et 117, dont 18 officiers, gisaient blessés sur le pont ou dans les cadres.

Le Du Teillay avait pris les devants pendant cette terrible lutte; il traversa sans coup férir les croisières anglaises, et aborda aux îles Hébrides à la fin de juillet. On sait les succès puis les revers du jeune et malheureux Prétendant. Preston et Falkirk, deux victoires, semblèrent lui promettre un triomphe définitif; Edimbourg le reçut et le fêta comme son roi; mais toutes ces joies,

toutes ces espérances, devaient aboutir au désastre de Culloden (avril 1746).

L'auteur d'A Dieu vat! ayant spécialement pour but, comme le porte son titre, les Épisodes maritimes nantais, ne fait qu'indiquer les événements d'Ecosse, sans entrer dans aucun détail; mais il consacre près de la moitié de son petit volume à une expédition partie de Nantes ou plutôt de Mindin, à l'embouchure de la Loire, le 11 avril 1746, pour porter au Prétendant des secours en armes et en argent dont il avait le plus pressant besoin. Malheureusement cette expédition, qui eût pu changer le sort des armes, n'arriva en Écosse que quinze jours après Culloden (10 mai 1746), de sorte qu'il en est à peine parlé dans l'histoire. Elle offre cependant un intérêt certain, surtout pour nous autres Nantais, parce qu'elle fut notre œuvre et qu'elle ne fut pas sans gloire.

[ocr errors]

L'armateur était encore Antoine Walsh, cet infatigable jacobite que Charles-Edouard venait de créer comte et pair d'Irlande; l'expédition se composait de deux frégates-corsaires, la Bellone, commandée par Claude Lory, et le Mars, par Antoine Rouillé. Le nom de Rouillé n'a pas laissé de trace dans nos annales; mais celui de Lory y paraît souvent au dernier siècle. Un Claude Lory figure parmi les échevins de Nantes, de 1724 à 1726; un autre Claude Lory était capitaine de la milice bourgeoise pour le quartier de la Fosse en 1772, et devint lieutenant-colonel en 1787.

L'un d'eux ne fut-il pas le commandant de la Bellone? Les dates ne s'y opposent pas absolument; dans tous les cas, il était évidemment de la famille, et ce qui étonne, c'est que notre histoire locale ne dise rien de lui: le commandant de la Bellone méritait mieux.

Les frégates avaient jeté l'ancre dans la baie de Lacknoe (lac Lochy), entre le fort Auguste et le fort Williams; or, sous ce dernier fort se tenait une flottille anglaise, forte de 96 canons, qui tarda peu à attaquer les deux bâtiments nantais.

Le Mars, attaqué le premier, eut beaucoup à souffrir; mais, par une manœuvre hardie, le capitaine Lory de la Bellone parvint à le

dégager, et pendant trois heures et demie, lutta énergiquement, couvrant d'un côté le Mars, de l'autre enfilant de ses coups ou écrasant de ses bordées les navires ennemis. « Tout le monde était sur la côte, porte une relation contemporaine, pour voir la Bellone contre les trois Anglais. >>

Le résultat de la bataille fut la retraite précipitée de la flottille anglaise (14 mai 1746), et le départ sans obstacle des deux bâtiments nantais qui, après avoir réparé à la hâte leurs avaries, purent remettre à la voile le 15 mai, et regagner le port de Nantes où ils arrivèrent le 6 juin, apportant quelques-unes des tristes épaves de Culloden.

L'opuscule auquel nous empruntons ces détails reproduit une curieuse relation du temps, imprimée l'année même à Nantes, chez Verger, et nous donne de plus des renseignements précis sur l'armement et l'équipage des deux navires. Le Mars était une frégatecorsaire de 300 tonneaux appartenant à M. de Seigne'. Son armement était de 36 canons et son équiqage de 266 hommes. Il tira, pendant le combat, 625 coups de canon, de 6 à 7,000 coups de fusil, et reçut dans sa coque 50 boulets, dont 5 à l'eau. Son second capitaine, Pierre Arnou, blessé une première fois et restant malgré tout à son poste, finit par être mis hors de combat; deux lieutenants, Pierre Mayrac et Pierre Calvé de Pradisi, furent tués. Il y eut 18 morts et 37 blessés.

La Bellone avait été plus heureuse; malgré l'acharnement de la lutte, elle n'eut que 5 tués et 7 blessés.

Pour écrire son petit volume, l'auteur a non seulement compulsé les écrits des témoins oculaires, mais aussi les rôles d'équipages et les registres de l'hôpital où furent déposés les blessés ; c'est donc sur de vieux événements un livre tout neuf, et ce livre, on le comprend, a un intérêt tout particulier pour nous autres Nantais. Indépendamment des faits de guerre, nous remarquons dans l'ou

Le dernier de ce nom était propriétaire du Blottereau qu'il transmit à sa fille M Budan de Vivier, mère de la comtesse de Kersabiec et de M Le Bonnetier. TOME XLIX (IX DE LA 5e SÉRIE). 17

« PreviousContinue »