Page images
PDF
EPUB

hontes de la vie païenne? Tout en admirant enfin le génie comique de Molière, je ferais plus de réserves que n'en fait M. du Dot sur son caractère et sur son œuvre 2.

Qu'on me pardonne cette envie de quereller; si, d'ailleurs, je m'attaque aux mots, c'est que les choses m'offrent peu de prise. La communauté de vues est parfaite entre nous. Nos convictions et nos affections sont les mêmes, nous partons du même point qui est le beau, pour arriver, suivant l'expression de notre éloquent évêque, à ces hautes sphères où tout est noblesse et grandeur, lumière et vérité.

L'Ame de la littérature est suivie de la Philosophie de la poésie. La chose allait de droit, car M. du Dot est poète dans l'âme. Il nous semble même qu'on pourrait lui attribuer, sans injustice, de très heureuses traductions en vers d'Hésiode, de Pindare, de Pope, etc., dont il ne nomme pas l'auteur, ainsi que deux charmantes strophes sur la fleur et la flamme, dont l'auteur, peu connu, dit-il, doit être, si je ne me trompe, de sa connaissance intime. Nous ne pouvons mieux finir qu'en citant ces vers. Saisissant au vol un mot d'Homère, qui appelle la flamme la fleur du feu, le poète ajoute :

Fleur et flamme, images parlantes

Que trace le pinceau de Dieu :
La fleur est la flamme des plantes

Et la flamme est la fleur du feu.

Flamme et fleur, vous brillez dans l'âme,
Mais sous un souffle de douleur,

La fleur a vite éteint sa flamme
Et la flamme a fané sa fleur.

[ocr errors]

EUGÈNE DE LA GOURNERIE.

'Et je pourrais ajouter de la vie philosophique», car n'est-ce pas Cicéron qui a mis dans la bouche de Cotta ces mots : Nobis qui, concedentibus, philosophis antiquis, adolescentibus delectamur, etiam vitia sæpe jucunda sunt. » (De Natura, 1, 28).

2 Je me suis déjà expliqué sur ce point dans la Revue, t. I, pp. 103-112.

NOTICES ET COMPTES RENDUS

LES HACHES A TÊTE DE LA BRETAGNE ET Du Bocage. Examen d'un nouveau type de haches en pierre polie, dites haches à bouton, par Pitre de Lisle, secrétaire du Comité de la Société archéologique de la Loire-Inférieure. Nantes, Vincent Forest et Émile Grimaud, 1880. In-8°, 48 p. et 4 pl.

Les études d'archéologie dite préhistorique ont pris une telle extension depuis quelque temps, que nous ne pouvons omettre de signaler les publications apportant des faits nouveaux, surtout quand elles proviennent de travailleurs sérieux, patients et dévoués de la façon la plus complète à la recherche de la vérité historique, au milieu des ténèbres dont certains cherchent à l'envelopper. C'est bien ici la situation. M. de Lisle a eu, depuis plusieurs années, la main fort heureuse dans ses recherches il a toujours appliqué à ses découvertes une méthode et une conscience dignes des plus grands éloges, et cette fois le sujet qu'il aborde, avec une compétence toute particulière, est nouveau et par cela même d'autant plus intéressant.

On trouve en Bretagne et un peu au sud de la Basse-Loire des haches en pierre polie d'un genre tout particulier : plus perfectionnées que les haches ordinaires, elles sont terminées par une petite couronne, dont la saillie servait à retenir la pierre dans le manche et formait, en même temps, une sorte de tête que l'on pouvait utiliser comme frappoir. Lorsque ces pierres servaient sans être emmanchées, on pouvait les suspendre, pour les porter, en fixant une lanière au-dessous de la couronne. Les haches simples avec leur pointe fuyante ne présentent point les mêmes ressources.

Cette forme perfectionnée est spéciale à notre contrée de l'ouest et malgré ses avantages, elle semble n'avoir pas été connue au delà

par les Européens qui se sont servis de pierres polies. Ce fait est d'autant plus remarquable, qu'aujourd'hui nous retrouvons la même forme en usage chez les peuplades du Pacifique et du NouveauMonde aussi nos haches à tête ont-elles longtemps passé pour des armes exotiques.

Après avoir décrit une centaine de ces haches authentiquement trouvées dans les départements voisins du nôtre et conservées dans diverses collections, M. de Lisle démontre fort bien qu'il y a là un perfectionnement du celt classique obtenu sur place, sans importalion de provenance étrangère. Il écarte l'idée que ces haches aient pu servir de signes distinctifs propres à certains chefs, ou d'emblèmes hiératiques plus ou moins accusés, et remarquant que les fouilles du bassin de Penhouët ont mis à découvert des pierres d'ancrage ou de mouillage munies d'une rainure creuse pour fixer l'amarre, il pense que la hache à bouton a été imaginée de la même façon pour faire tenir plus solidement ces pierres dans leurs manches.

Cette conclusion est ingénieuse, mais elle ne me satisfait pas complètement. J'accorde que ce sont bien des haches et un perfectionnement sur place de la hache à pointe, mais la plus grande facilité d'amarrage ne me convainc pas complètement et voici une origine de cette forme qui me paraît plus plausible. J'ai trouvé dans les alluvions de Penhouët plusieurs haches à pointe emmanchées dans une douille en corne de cerf, percée d'un trou pour fixer un manche en bois et formant marteau du côté opposé à la hache. Ce bout de la douille en corne de cerf formant marteau est précisément muni d'une couronne identique à celle des haches à tête, afin de lui donner plus de résistance. Mais on s'aperçut bientôt que les marteaux en corne de cerf s'usaient vite, et l'on fit alors en pierre d'un seul morceau ce qui primitivement en comprenait deux. Mettez en regard une hache à tête et une de mes haches à pointe engagée dans sa douille en corne de cerf, l'analogie est frappante, et je pense qu'il n'y a pas à douter de la transformation toute naturelle par cette simple remarque. Seulement la pierre. TOME XLIX (IX DE LA 5° SÉRIE).

12

étant beaucoup plus dure à percer que la corne, on ne la perça plus et on lui fit un emmanchement à enveloppe, comme on le fait aujourd'hui encore en Océanie.

Quoi qu'il en soit, le travail de M. de Lisle est fort intéressant, et nous le félicitons sincèrement d'avoir le premier mis en relief cette forme toute spéciale à nos contrées de l'un des principaux outils de nos pères. RENÉ KERVILER.

LE JARDIN DES RÊVES, poésies, par M. Laurent Tailhade (de la Société des Bibliophiles Bretons).1 vol. in-18. Paris, Lemerre, 1880.

Heureux les poètes! Semblables à l'amoureux,

Qui ne s'enquête pas

Si c'est pluie ou gravier dont s'attarde son pas,

ils vont, tout entiers à leur rêve, insoucieux du monde et de ses laideurs; loin des cités où s'agitent les passions vulgaires et mesquines, ils continuent d'habiter ces hauteurs sereines dont parle Lucrèce,

Edita doctrinâ sapientúm templa serena.

Le progrès, Dieu merci! n'a pas étouffé la Muse; il nous est donné encore, quand le dégoût nous prend des choses d'à présent, d'entendre une voix harmonieuse qui nous murmure à l'oreille :

Vous souvient-il encor des jours de l'Arcadie?

--

C'est une fâcheuse manie que l'on a aujourd'hui de rattacher tout poète à une école. La recherche de la paternité littéraire en ce cas, du moins devrait être interdite. Il est vrai pourtant qu'en littérature on est presque toujours enfant de quelqu'un ; on s'imprègne et l'on se pénètre à son insu des grandes œuvres du temps où l'on vit, et je crois que tous ceux qui se mêlent d'écrire en vers ont plus ou moins subi le rayonnement de la Légende des siècles et de la Comédie de la Mort. Mais des poètes d'aujourd'hui M. Laurent Tailhade est, à coup sûr, un des plus originaux ; il est genuine, diraient les Anglais. S'il fallait toutefois lui nommer un ancêtre littéraire, je n'hésiterais pas à citer Baudelaire, dont le talent a des affinités nombreuses avec le sien. Ce kiosque, dont

parle Sainte-Beuve, « bâti par l'auteur des Fleurs du Mal à la pointe extrême du Kamtchatka romantique, » est devenu un temple aussi paré qu'une église russe; les nouveaux mystères d'Eleusis n'ont que peu de prêtres, mais leur zèle ne se dément jamais. On y récite toujours des sonnets exquis, mais tous ne sont pas du maître; et j'estime que Marie de Magdala s'y lit quelquefois, même après les Tristesses de la Lune.

Le présent recueil contient beaucoup de vers d'amour. L'auteur sait prendre tous les tons en parlant de ce sentiment éternel, que le temps renouvelle sans jamais l'altérer; il rajeunit les vieux thèmes de la légende, et il a des accents d'une modernité qui saisit et émeut: Chénier et Musset semblent, dans ses vers, se donner la main. L'hymne à Aphrodite a l'air d'un fragment retrouvé de Moschus ou de Méléagre, et je me suis rappelé, en le lisant, ce vers admirable qui nous redit la plainte d'un pasteur de Théocrite :

Οἱ δὲ ποθεῦντες ἐν ἤματι γηράσκουσι.

« Ceux qui ont désiré d'amour vieillissent en un matin. » Mais Vénus n'est pas toujours, dans la poésie de M. Tailhade, la divinité implacable par qui

Sanglotent dans la nuit les enfants amoureux.

Il nous serait doux de suivre, chez notre auteur, l'expression infiniment variée de l'amour; nous aimerions à citer, pour attester la flexibilité de son talent, la pièce, d'un charme si pénétrant, digne de Gray ou de Wordsworth, qui a pour titre : La porte de l'église, le Rondeau galant, bagatelle échappée à Voiture, et le

sonnet :

Mes désirs vont vers toi comme des tourterelles,

qui semble d'un poète contemporain de la jeunesse de Shakespeare, ou d'un de ces rimeurs charmants, enfants perdus de la grande Pléiade, Jacques Tahureau ou Olivier de Magny. Citons aussi Marmoreum carmen, où la note est ardente; mais ces stances plastiques semblent avoir dérobé à telle pièce de Gautier le secret d'être libres tout en demeurant chastes.

« PreviousContinue »