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M. le président. L'assemblée applaudit à votre zèle. Si l'intérêt de la chose publique ne vous appelle pas ailleurs, elle vous invite à assister à la séance.

M. Pétion traverse la salle au milieu des applaudissemens réitérés d'une grande partie de l'assemblée et des tribunes ; il sort pour se rendre où son devoir l'appelle.

M. Hua demande qu'on statue sur le rapport de la commission. M. Gensonné et plusieurs autres membres demandent qu'on ajourne la question sur la totalité des dénonciations, jusqu'après la vérification du dernier fait dénoncé par MM. Lasource et Guadet.

Cette dernière proposition est adoptée à une très-grande majorité. ]

Voici comment les Révolutions de Paris racontent l'événement qui troubla l'assemblée dans la séance que nous venons de

lire.

‹ Peu s'en est fallu que la scène du 20 juin au château des Tuileries n'y ait eu une seconde représentation le 21 juillet.

› L'assemblée nationale en était à La Fayette et la majorité semblait pencher pour lui, graces à la rhétorique du jeune Dumolard soufflé par le petit Ramond. Les factieux du général ne purent se contenir : l'un d'eux pousse l'impudeur jusque là qu'il monte dans la tribune pour y voter des remerciemens au héros de la contre-révolution. .

› Les tribunes éclatent à cet excès de bassesse; un fédéré se lève et reproche aux représentans de la nation de la representer si mal. Le président, le sieur Dubayet, enjoint à la force armée d'arrêter l'homme des tribunes qui se permet de dire des vérités de cette force dans un lieu où il y a si peu d'énergie. Des gens à épaulettes, sur le refus des volontaires, mettent eux-mêmes l'ordre à exécution. Les frères d'armes du fédéré se rangent autour de lui. A la vue de ce mouvement, le président hors de lui, s'oublie jusqu'à faire entendre le cri sinistre : Aux armes!

Ce cri se propage aussitôt hors de la salle; des gens officieux qui se trouvent toujours là pour exciter la bile du peuple, se

portent au clocher de Saint-Roch et sonnent le tocsin, comme on en était convenu probablement pour la première occasion. Déjà les rues voisines et le Carrousel sont remplis de particuliers qui disent en courant: Nous allons chercher nos armes. On met la main sur les députés patriotes et sur les braves fédérés ; on va les égorger dans le jardin des Tuileries. Il faut en briser les portes. Celle du côté du Manége, trois minutes plus tard, cédait aux coups réitérés d'une poutre lancée contre elle par vingt hommes; trois minutes de plus, le château et le jardin étaient inondés de peuple; et cette nouvelle irruption pouvait avoir des suites autrement graves que celle du mois précédent. Un carrosse de place arrive cour du Manége; c'est le maire de Paris: il n'a pas eu le temps de passer son écharpe ; il veut s'en revêtir avant de haranguer le peuple qui l'entoure. Parlez, parlez, lui dit-on, vous n'avez pas besoin d'écharpe: monsieur Pétion peut s'en passer. — Eh bien! mes frères, mes amis, dit le magistrat à la foule, je viens vous dire de ne pas vous laisser aller à ces mouvemens partiels qu'on excite au milieu de vous pour vous porter à des excès et perdre vos magistrats. Citoyens, c'est vous-mêmes, c'est vous seuls que je charge de la garde de cette porte: vous m'en répondrez. Moi, je vais rassurer l'assemblée nationale sur les craintes qu'on pourrait lui avoir inspirées à votre égard.

> Habitans du château des Tuileries, qui semblez vous mettre en garde contre le peuple, connaissez-le à ce nouveau trait. Il allait briser les barrières injurieuses d'un jardin qui devrait lui être ouvert à toute heure: le maire paraît, dit un mot; l'orage est conjuré; le mépris lui succède, et la foule apaisée se porte aux issues de l'assemblée nationale pour y distribuer avec équité l'éloge ou le blâme à mesure que les députés sortent.

› Tel fut le résultat de cette rumeur subite qui avait déjà porté l'effroi dans tous les magasins de la rue Saint-Honoré. Les bourgeois avaient fermé leurs boutiques, comme si le peuple ne serait pas le premier à punir ceux qui, à la faveur d'un soulèvement oseraient donner le signal du pillage.

› On remarqua parmi les citoyens accourus au son du tocsin,

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des volontaires en uniforme et munis seulement d'une pique. Ce n'est pas là le compte des agitateurs que la cour soudoie pour tâcher d'amener le peuple à violer le sanctuaire des lois en y entrant à main armée..... Peuple', mets-toi en garde contre tes propres mouvemens... » (Révolutions de Paris, n. CLIX.)

Les motifs que le journal de Prud'homme assigne à cette petite émeute, nous paraissent moins probables que ceux qui suivent. Le public avait depuis long-temps son attention tournée sur la fermeture du jardin des Tuileries. Il cherchait la cause de cette clôture prolongée bien au-delà de ses termes convenables. Les royalistes avaient beau affirmer que par ce moyen le roi avait voulu se mettre à couvert des injures qu'on allait chanter sous ses fenêtres, notamment le jour de la motion Lamourette, et dont voici un refrain que nous empruntons aux mémoires de Maton-de-Lavarenne déjà cités :

Nous te traiterons, gros Louis,
Biribi,

A la façon de Barbari,

Mon ami.

A ces observations on répondait, que s'il ne s'agissait que de cela, il était bien facile d'éloigner les promeneurs des fenêtres du château. La Chronique de Paris du 18 juillet, en demandant l'ouyerture du jardin, proposait, comme moyen de garantie contre les insultes de ce genre, de faire construire devant le château une enceinte qui empêchât d'en approcher, précisément le moyen que le roi actuel vient de pratiquer. Enfin, le même jour, Lamarque avait fait sur ce sujet une motion qui fut interrompue par les murmures de l'assemblée. Le peuple donc avait les yeux ouverts sur ce lieu; on disait que le château était rempli de conspirateurs, et, par le jardin, il paraissait le maître de la salle législative. Le moindre bruit de ce côté dut donc l'attirer, ainsi que nous l'avons vu.

Le lendemain, à l'assemblée nationale, un membre vint proposer des mesures contre les tribunes. Choudieu, Lecointre, Lagrevol s'élevèrent vivement contre cette motion, et la firent

rejeter en se fondant principalement sur ce que des membres de l'assemblée avaient plusieurs fois provoqué les auditeurs assis dans les tribunes. Le même jour, sur la proposition de Lacroix, on décida que M. Bureau-Puzy serait mandé à la barre, pour rendre compte du fait dénoncé la veille, et que MM. Luckner et La Fayette répondraient par écrit. Il était instant d'en finir avec les généraux, car ce jour même on apprenait que l'armée piémontaise, montant, disait-on, à cinquante-huit mille hommes, était sur la frontière; et néanmoins le général Montesquiou venait encore de quitter son commandement vers cette limite, pour venir à Paris. Cependant l'ajournement prononcé dans la séance du 21, mécontenta fortement les patriotes. En effet, à leurs yeux, il n'existait pas le moindre doute sur la culpabilité de La Fayette; et selon eux aussi on ne pouvait, dans des circonstances aussi pressantes, trop se hâter.

Après deux mois de délai, s'écria Robespierre, après une discussion de plusieurs séances, après deux ou trois rapports, après beaucoup de discours lumineux et de panégyriques impertinens du héros de l'Oil-de-Bœuf, les représentans de la nation viennent d'ajourner le jugement de la cause de M. La Fayette.

› Il était bien convaincu de conspiration contre la liberté publique, de sédition et de désertion; mais il fallait savoir s'il était vrai que M. Luckner avait dit qu'un certain M. Puzy lui avait conseillé, de la part de M. La Fayette, de marcher sur Paris: dix témoins attestaient ces faits; mais il fallait consulter M. Luckner lui-même; et l'assemblée nationale décrète qu'il sera sursis au décret que la nation sollicitait, jusqu'à ce que M. Luckner se soit expliqué sur ce point.

› Luckner qui écrit à l'assemblée nationale et au roi des lettres qu'il ne sait pas lire; Luckner, que l'on représente environné d'intrigans, complices de La Fayette, qui dirigent tous ses mouvemens, Luckner, dont on attribue toutes les erreurs et toutes les contradictions à une profonde ignorance de la politique et de la langue française, est, en quelque sorte, constitué juge de ce grand procès; et sa réponse va décider du sort de

M. La Fayette et du maintien de la Constitution, en supposant toutefois que cette affaire doive encore être reportée à la délibération de l'assemblée nationale.

> En attendant, La Fayette va rester à la tête de l'armée, dont il a jusqu'ici enchaîné le courage, qu'il a affaiblie par des fatigues extraordinaires, par la perte des plus zélés patriotes qu'il a livrés aux fers de l'ennemi. Il restera à la tête de cette armée où il a semé la division, dont l'état-major est composé de ses créatures ou de ses complices qu'il s'efforce d'attacher à sa fortune et à la cause des ennemis du peuple, par les moyens de séduction les plus dangereux. Il pourra achever à loisir son criminel ouvrage, et tramer impunément la ruine de la patrie et de la liberté, et la proscription de tous les bons citoyens. L'assemblée nationale ajourne la punition des généraux traîtres et rebelles; mais les ennemis étrangers qui sont à nos portes ajournent-ils leurs attaques? les ennemis du dedans ajournent-ils leurs conspirations? La Fayette lui-même a-t-il promis une trève à l'assemblée nationale et au peuple?

> Tous les bons citoyens se sont accordés à regarder ce décret évasif comme plus funeste et plus indigne de la loyauté du corps législatif, qu'une absolution formelle que l'opinion publique n'a point permis de prononcer. Tout annonce en effet que cette décision est beaucoup plus favorable à La Fayette que l'absolution même. Cette absolution eût été effacée par l'évidence du crime, au lieu qu'en paraissant réduire la question au fait d'une conversation de Luckner, on substituait au véritable procès un incident interminable qui donnait le change à l'opinion publique, et laissait ralentir la juste indignation que les attentats prouvés du général avaient excitée.

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Que ne puis-je dérober aux yeux de la postérité cet opprobre de mon pays et ce scandale de l'humanité !

› Mais la postérité pourra-t-elle croire que les représentans de vingt-cinq millions d'hommes aient pu immoler à un méprisable intrigant le salut de leur patrie et la liberté du monde? Croira-t-elle qu'ils aient pu renoncer aux titres de législateurs

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