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celui qui le décèle; mais devant une assemblée d'hommes justes, ce n'est pas assez de dénoncer un délit, il faut le prouver. Tel est le langage des calomniateurs de La Fayette.

Effrayés d'une action généreuse, ils en corrompent le sens; ils empoisonnent les sentimens qui l'ont dictée. On voit arriver, par exemple, des lettres controuvées ou surprises, qui, toujours démenties, ne font que provoquer l'indignation contre les misérables écrivains qui se chargent de les répandre; mais que leur importe, ces calomnies produisent leur effet, la cicatrice reste.

Quelques orateurs ont invoqué dans cette discussion ce qu'ils appellent l'opinion publique. Comment, en effet, ont-ils dit, M. La Fayette ne serait-il pas coupable, puisque ( pour me servir de leur expression favorite) le peuple se lève tout entier pour demander sa tête? Et moi aussi, je respecte et j'honore le peuple..... (Il s'élève quelques murmures. )

M. Bazire. Eh bien, il ne vous estime pas.

M. Dumolard. Je vois en lui le souverain, et dans l'expression authentique de sa volonté, la loi qui commande à tous; mais ce peuple à qui je veux obéir, n'est pas la réunion des habitans d'une ville, c'est la masse imposante des citoyens de l'empire. Si la ville de Paris se présentait tout entière devant vous, je lui dirais : vous êtes une portion du peuple, mais vous n'êtes pas le peuple; et votre devoir, comme le mien, est de courber la tête sous le sceptre de la loi, mais ce n'est pas même la généralité des citoyens de Paris qu'on ne rougit pas de décorer du nom du peuple, c'est quelques membres des sections de Paris, dont la plupart ne sont pas même citoyens actifs, et l'on ose outrager la souveraineté nationale, jusqu'à voir le vœu de la nation dans les cris séditieux d'une multitude égarée. Quels sont d'ailleurs les hommes auxquels on prend un intérêt si tendre?

A Dieu ne plaise que je reproche jamais aux citoyens une honorable indigence; l'homme laborieux et pauvre est bien plus respectable à mes yeux que le riche insolent qui fatigue la terre de son ignorance et de son oisiveté; mais le tribut, quelque modique qu'il soit, que le citoyen paie à sa patrie, est la véritable

mesure de son patriotisme; je ne croirai jamais au civisme de ceux qui, sans servir leur pays, ni par leur fortune, ni par leur personne, se bornent à vous obséder périodiquement de leurs extravagantes pétitions, de leurs applaudissemens importuns, de leurs murmures et de leurs menaces. L'assemblée nationale verra sans doute, dans la portion du peuple dont je parle, beaucoup de citoyens dont les intentions sont pures, dont le seul défaut est une exaltation pardonnable et une fatále crédulité; mais dans le nombre il se trouve des intrigans subalternes qui, fidèles à la main qui les soudoie..... (De violens murmures s'élèvent dans les tribunes.) — M. le président les rappelle au respect dû à l'assemblée.

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M. Bazire. J'avoue que le réglement interdit aux tribunes toutes marques d'approbation ou d'improbation, mais il ne doit pas non plus être permis à M. Dumolard de calomnier les citoyens.

M. Dumolard. Ce sont les hommes dont je parlais tout à l'heure qui sèment la défiance, prêchent la révolte, et préparent ainsi la dissolution du corps politique, dont ces vautours affamés espèrent se partager les ruines. Vous distinguerez donc du peuple de Paris ces orateurs habituels des cafés et des places publiques, dont l'existence équivoque dans la capitale fait depuis long-temps l'objet de la surveillance et de la sévérité de la police. (De nouveaux murmures, des huées accompagnées de cris à bas l'orateur s'élèvent dans les tribunes. Monsieur le président donne des ordres au commandant de la garde pour y rétablir le silence, et pour faire arrêter les auteurs de ces clameurs.)

M. Guérin. Je demande que M. Dumolard nomme ceux qui reçoivent de l'argent, et ceux qui le donnent: autrement je le regarderai comme un calomniateur.

M. Dumolard. L'assemblée nationale apercevra encore, au milieu de la foule des citoyens honnêtes mais égarés, cette horde impure d'atroces folliculaires qui trempent leur plume dans le sang, et dont l'imagination barbare ne se repaît que de massacres et d'incendies. Elle en séparera tous ces individus naturellement suspects, et la plupart étrangers, qui, dans les beaux

jours de la Grèce eussent été bannis de la république, et que l'apôtre le plus ardent de la liberté, que Rousseau a cru devoir flétrir dans ses immortels ouvrages, et qui sont moins une partie intégrante du corps social qu'une lèpre honteuse qui le tourmente et le consume. (Une partie de l'assemblée applaudit.)

Voilà ceux qui mettent en mouvement les sections de Paris et les nombreux pétitionnaires qui affluent à votre barre; voilà les hommes pour lesquels on a imaginé d'excuser les crimes et de légaliser les émeutes; voilà, en un mot, ceux qui composent cette prétendue opinion publique qui condamne La Fayette. Ah! si pour juger le mérite d'une accusation, il n'est jamais indifférent de rapprocher l'accusateur de l'accusé, c'est surtout dans celle dont il s'agit, et ce rapprochement est la plus belle justification de celui qui en est l'objet. Je les connais depuis long-temps, ces agitateurs qui font métier de dénoncer tous les véritables amis de la liberté; j'en ai dressé la liste odieuse, et j'ai vu rassemblés sous les mêmes étendards les sectateurs du despotisme et les sectateurs de l'anarchie, les héros de Coblentz, et ces déclamateurs qui ayant toujours le mot de liberté dans la bouche, ont dans le cœur tous les vices de l'esclavage; ce sont là les ennemis de La Fayette, et je cherche en vain leur titre à notre confiance et quel est le gage de la vérité de leurs accusations? L'Europe et l'Amérique témoignent-elles en leur faveur, et peuvent-ils repousser la calomnie par une vie entière de travaux et de vertus?

Vous, citoyens honnêtes, cœurs sensibles et généreux, et vous surtout, dignes compagnons de La Fayette, qui dans le cours d'une révolution orageuse, avez partagé ses périls, braves gardes nationaux de Paris, votre ancien général fut-il dévoré de toute l'ambition qu'on lui suppose? rentrez en vous-mêmes, et dites s'il peut exister pour lui d'autres intérêts, d'autre ambition, d'autre gloire que l'affermissement de la liberté. (Des murmures s'élèvent dans une tribune.)

M. le président. Je déclare aux tribunes que je ferai respecter la loi, et que je rétablirai le silence par tous les moyens qui sont en mon pouvoir.

M.... C'est une femme qui pleure son fils massacré au champ de Mars.

M. Dumolard. On a peint La Fayette comme un noir conspirateur, comme cherchant à monter sur les marches sanglantes du trône, et à s'élever sur les ruines amoncelées de la Constitution? Si La Fayette est un monstre, si la France est assez indigne de la liberté, pour devenir la victime d'un seul homme, ce politique imprévoyant attaquerait-il une faction puissante, lorsqu'il lui serait si facile, en la caressant, d'en faire l'instrument aveugle de ses perfides desseins? il favoriserait au contraire de tout son pouvoir ce système de désorganisation, qui conduit à l'anarchie et à l'avilissement du trône; et nouveau Cromwel, il marcherait au trône, sous les drapeaux d'une égalité mal entendue.

O toi, que l'on ne peut corrompre, mais que l'on trompe sans cesse, éternel jouet des tyrans qui t'oppriment et des intrigans qui te flattent pour te tyranniser à leur tour, peuple généreux et crédule, ouvre les yeux, connais tes ennemis et les véritables disciples du protecteur Anglais. Excepté le fanatisme religieux, ils ont absolument le même langage; et si les Cromwel ne se sont pas encore montrés, ce n'est pas la scélératesse qui leur manque, c'est le caractère. Indécis encore sur le choix des forfaits, dociles peut-être à des mains étrangères, mais incapables de diriger habilement la multitude, ils ne savent qu'attirer le royaume vers la plus effrayante désorganisation. Ils fomentent des divisions désastreuses; ils irritent les citoyens pauvres contre les riches ; ils placent l'aristocratie dans la propriété, la liberté dans la licence, la résistance à l'oppression dans la révolte, la surveillance légitime sur les autorités constituées à les abreuver de dégoûts.... Cependant des flots d'ennemis extérieurs nous menacent, le nombre des mécontens se multiplię tous les jours, et nos soldats étonnés s'inquiètent pour savoir si leur sang coule pour la patrie, ou pour une poignée de factieux qui la déchirent. L'Europe attentive remarque l'abîme qui s'entr'ouvre sous vos pas, et vous frapperiez d'un décret d'accusation le citoyen généreux qui a eu le courage de l'entr'ouvrir pour vous en faire voir la profondeur !

Mais ces braves soldats qui le chérissent, qui le respectent comme un père, à qui l'approbation de La Fayette fait braver tous les dangers, supporter toutes les fatigues, ces soldats seront-ils insensibles à l'infortune de leur général? Votre décret ne frapperait-il pas en même temps tous ces officiers expérimentés, précieux garans de vos succès, qu'il vous importe tant de conserver à la tête de vos armées, et qui n'ont obtenu jusqu'ici pour prix de leur courage et de leur patriotisme, que des injures et des calomnies? On vous proposera peut-être de concilier les avis par une simple improbation. Législateurs, si vous n'approuvez pas sa conduite, La Fayette vous demande des fers et non pas un pardon. Un citoyen chargé d'une improbation ne peut commander les soldats d'un peuple libre. Peuple romain, bannirez vous Camille, lorsque les Gaulois sont à vos portes? Représentans d'une grande nation, c'est plutôt sur ses destinées, que sur le sort de La Fayette que vous allez prononcer, et ce jour va décider de votre gloire plutôt que de la sienne. O mes collègues, craignons de nous charger de la responsabilité d'une détermination imprudente, et que la postérité ne puisse pas dire un jour : Triste exemple de l'ingratitude populaire, La Fayette a voulu en vain sauver la patrie et la liberté du monde!

Je demande qu'il soit honorablement acquitté.

On demande l'impression du discours de M. Dumolard. M. Reboul. J'appuie l'impression, afin de laisser ce monument de l'adulation la plus vile et du mensonge le plus servile.

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M. Merlin. Vous ne pouvez pas ordonner l'impression d'un discours où l'on dit que vous n'êtes pas certains si l'armée laisserà partir son chef....

M. Dumolard. Je vais donner un démenti à M. Merlin.

L'assemblée passe à l'ordre du jour.

M. Torné. Comment le général La Fayette s'est-il montré à vos yeux? Que vous a-t-il demandé? En quel nom vous a-t-il parlé? Il faut examiner ces trois questions pour porter un jugement. D'abord, comment s'est-il montré? Lorsque son devoir

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