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prosternés bassement aux pieds de quelques séditieux; ainsi les représentans, les mandataires du peuple sont donc des hommes sans caractère, sans énergie, sans respect pour leur mission, sans amour pour leurs devoirs, sans vertus, sans mœurs, sans probité; ainsi, les représentans et les mandataires du plus grand de tous les peuples sont donc ce qu'il y a de plus vil et de plus méprisable dans l'univers, Oui, c'est ainsi qu'il les peint, cet horrible conspirateur, qu'on a encore le courage d'excuser!

En vain voudrait-on persuader que le tableau qu'il trace n'est le fruit que de l'étourderie ou du délire. Jy vois toutes les combinaisons d'une méchanceté réfléchie, d'une perversité paisible, d'une scélératesse froide. J'y vois l'intention bien marquée de dissoudre le corps législatif, et d'étouffer la liberté. Eh! qui pourrait s'aveugler jusqu'au point de ne pas l'y voir? Supposer une faction puissante dans le sein du corps législatif; exciter des insurrections, ou préparer des assassinats; montrer une grande masse d'hommes subjugués et nuls, c'est appeler le mépris public; ainsi, le traître que j'accuse a su disposer les choses de manière à perdre à la fois tout le corps législatif. Si je ne présente qu'une faction, s'est-il dit à lui-même, je ferai tomber quelques têtes, mais le peuple se réunira autour de celles qui auront échappé à mes coups; assurons un projet unique par l'emploi d'un double moyen; ici, montrons des factieux dont l'audace ne fait point connaître de frein, et je les ferai tomber sous le tranchant d'un fer homicide; là, montrons des hommes ineptes, des ames lâches, et ils seront renversés de leurs siéges par le torrent de l'opinion; obtenir le saug des uns et l'oubli des autres, c'est assurer la perte de tous, et arriver au but... (Applaudissemens d'une partie de l'assemblée.) Ce but, le conspirateur que j'accuse, n'a pas même pris la peine de le voiler. Voulez-vous voir à découvert son projet liberticide? fixez un instant vos regards sur le paragraphe que je transcris: Assurés qu'aucune conséquence injuste né peut découler d'un principe pur, qu'aucune mesure tyrannique ne peut servir une cause qui doit sa force et sa gloire aux bases sacrées de la liberté,

de l'égalité, faites que la justice criminelle reprenne la marche constitutionnelle; que l'égalité civile, que la liberté religieuse jouissent de l'application des vrais principes. » Bouillé, Laqueuille, Mirabeau, tiendraient-ils un autre langage? et quand ils exhalent leurs fureurs contre l'assemblée nationale, empruntentils d'autres traits? Qu'êtes-vous d'après La Fayette, des hommes qui se sont livrés à des mesures tyranniques; des hommes qui ont arrêté la marche de la justice criminelle, des hommes qui ont violé et l'égalité civile et la liberté religieuse.

Je ne m'abaisserai point à justifier les décrets que La Fayette marque au coin de la tyrannie et de la violation de tous les principes; mais je dirai qu'un général qui accuse le corps législatif, le menace ; je dirai qu'un général qui, à la tête de cinquante mille hommes, peint les décrets du corps législatif comme une violation ouverte des principes les plus sacrés, est un conspirateur qui provoque l'insurrection des troupes qu'il commande, qui cherche à anéantir la puissance législative par la force armée, qui vise manifestement à substituer les évolutions militaires aux discussions, et les baïonnettes aux lois. En effet, s'il était vrai que l'assemblée nationale fût une réunion de tyrans, pour qui il n'est rien de sacré, quel usage devraient faire de leurs armes les citoyens qui ne les ont prises que pour maintenir la liberté ! Quel autre parti l'armée aurait-elle à prendre que celui de marcher et de dissoudre? Eh bien ! le général qui peint sous ce point de vue l'assemblée nationale à l'armée n'est-il pas ouvertement en état de conspiration? Il ne fallait plus qu'un mot pour achever d'assimiler le langage de La Fayette à celui des conspirateurs d'outre-Rhin, et ce mot, La Fayette le prononce : « Que le pouvoir royal soit intact. › O perfidie dont on a peine à concevoir la profondeur ! Est-ce soupçon ou reproche? Est-ce crainte ou accusation? Que veut-on insinuer à l'armée et à la nation? Veut-il leur persuader que nous avons voulu, que nous voulons attenter au pouvoir constitutionnel du roi, ou bien que nous l'avons déjà fait? C'est évidemment l'une ou l'autre de ces deux suppositions; car si l'on avait été convaincu, si l'on avait voulu convaincre que

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l'assemblée nationale n'avait jamais touché à ce pouvoir, qu'elle ne voulait point y porter atteinte, à qui aurait-il été bon de demander que ce pouvoir restât intact?

Dans la première supposition, que dit le général à l'armée, sinon: Arrêtez les projets ambitieux d'un corps usurpateur qui veut envahir un pouvoir qu'il ne peut avoir légalement, et qu'il ne cumule sur sa tête qu'au mépris de ses sermens et du vœu national? Que lui dit-il dans la seconde, sinon : Rétablissez les droits de celui que la Constitution vous donne pour chef; vengez les violations commises contre son autorité légitime, et rendezlui, par la force des armes, ce qu'on lui a enlevé par l'injustice des lois? Que dit-il à la ligue des rois, à la faction des rebelles, à l'armée des conjurés? que leur dit-il, sinon : Votre but est le mien; notre cause est commune; comme vous, c'est le roi que je veux défendre contre les attentats de la prétendue assemblée des représentans de la nation; comme vous, je veux être le soutien de la monarchie française; ce n'est pas à vous que je ferai laguerre'; mais avec vous je la ferai à la faction des républicains; et n'est-ce pas à cette faction que les conspirateurs et les tyrans prétendent faire la guerre? n'est-ce pas pour défendre le roi contre elle qu'ils ont prétendu se liguer? Que vous ont dit dans le temps Léopold et Kaunitz? Que personne ne vous attaquerait si vous mainteniez l'autorité royale dans toute sa plénitude; mais que si vous osiez y porter atteinte, alors les puissances étrangères sauraient se lever pour punir votre coupable témérité. Que font sonner de toutes parts les rebelles? qu'ils ne veulent que rétablir la monarchie et la religion. Eh bien! La Fayette demande-t-il autre chose? Comme eux, il veut seulement que pouvoir royal soit intact, que la liberté religieuse reçoive l'application des vrais principes. Ce que Kaunitz vous a dit dans de longues notes officielles, ce que les conspirateurs répètent sans cesse dans leurs clameurs journalières, c'est ce que vous dit La Fayette, avec cette seule différence qu'il renferme ses expressions dans une précision ménagée, par une perfidie adroite qui, voulant éviter également, et d'être ignorée, et d'être punie, ne se mon,

le

tre qu'autant qu'il le faut pour être vue par l'opinion qu'elle fronde sans pouvoir être frappée par la peine qu'elle craint.

Un général qui emprunte artificieusement tous les prétextes des ennemis de la patrie ne vous paraît-il pas lui-même un ennemi de la patrie? A l'identité de langage, vous ne reconnaîtriez pas l'identité de sentimens, de motifs et de desseins! Vous n'avez pu souffrir que des rois vous tinssent cet insolent langage, et vous le souffririez lâchement de la part d'un général ! Vous avez frappé tous les traîtres jusque sur les marches du trône, et vous n'oseriez les poursuivre jusqu'à la tête de vos camps ! Vous avez préféré les maux et les horreurs de la guerre à la honte d'être menacés par des ennemis couronnés, et vous préféreriez la honte de voir la majesté nationale outragée à la sévérité d'une loi contre un méprisable agent d'ennemis déjà bravés! Non, l'assemblée ne se souillera point par une bassesse, quand elle peut s'honorer par un acte éclatant de grandeur. Je n'ai examiné jusqu'ici que la lettre de La Fayette; il me reste maintenant à examiner sa pétition; vous ne l'avez vu encore que dans le camp; je vais vous le montrer à votre barre. Quand je l'y vis paraître, je crus d'abord, je vous l'atteste, qu'il venait rétracter une lettre qui n'avait été écrite que dans un moment d'erreur, et j'étais prêt à lui rendre encore une estime qu'il eut long-temps; mais mon indignation égala bientôt ma surprise, quand je l'entendis ajouter l'insolence à la perfidie et l'audace à la trahison. Ici les prévarications s'entassent; d'abord, c'est sans congé qu'il a quitté son armée, comme s'il était permis à un général d'abandonner des soldats en présence de l'ennemi, comme s'il pouvait être assuré que pendant son absence l'armée ne serait point compromise, comme s'il pouvait être certain que les ennemis ne feraient aucun mouvement, à moins qu'il n'eût eu la prudence de se concerter avec eux. Que vient-il faire? Il vient vous dire qu'il a reçu un trèsgrand nombre d'adresses de différens corps de l'armée ; c'est-àdire, en d'autres termes, qu'il a violé son devoir et la loi. S'il est vrai que la force publique soit essentiellement obéissante, et que nul corps armé ne puisse délibérer, pouvait-il recevoir des

adresses des divers corps de son armée? Ne devait-il pas faire punir ceux qui les lui auraient présentées, s'ils eussent persisté à violer la loi après qu'il la leur aurait rappelée.

Non-seulement il reçoit ces adresses, que des soldats induits en erreur se permettent contre le texte de la Constitution, mais même, dans son ordre du 26 juin, il déclare qu'il reconnaît dans ces démarches le patriotisme le plus pur, un témoignage de plus de dévouement à la Constitution. Ces adresses inconstitutionnelles, c'est lui-même qui les provoque, ce sont les agens qui l'entourent, qu'on voit parcourir les bataillons pour mendier des signatures. Ce fait, dirai-je, ou cette bassesse, qu'on a vainement voulu nier, ce fait est constaté par le témoignage même de divers officiers et soldats qui ont eu le louable courage d'invoquer la Constitution et de refuser de signer des actes qui la violaient ouvertement. Je vous rappelle la dénonciation qui vous fut faite, le 7 de ce mois, par M. Boutidoux, capitaine dans l'armée de La Fayette, dénonciation dont je dirai que le rapporteur de votre commission des douze a totalement oublié de faire mention, sans que je veuille néanmoins juger ses intentions patriotiques avec plus de sévérité qu'il ne veut que vous jugiez vous-mêmes celles de M. La Fayette; dénonciation où M. Boutidoux vous déclare que, sollicité de signer une adresse d'adhésion à la pétition du général, il s'y est constamment refusé, la Constitution à la main, et que ce refus, qui eût dû ne lui mériter que des éloges, ne lui a attiré au contraire que des traitemens si tyranniques qu'ils l'ont forcé à donner sa démission; dénonciation enfin qui doit laisser d'autant moins de doutes, que le pétitionnaire invoque le témoignage de neuf bataillons qui ont imité son refus, malgré les sollicitations et les intrigues du général.

C'est donc à dire, non-seulement qu'il tolère la violation de la loi, mais que c'est lui-même qui la provoque, et qui n'a l'air de vouloir y mettre un terme que lorsqu'il croit avoir conquis un assez grand nombre de signatures pour se constituer l'organe et le représentant de son armée, auprès du corps législatif. Ne yous dit-il pas lui-même, dans sa pétition, ou plutôt dans son

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