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noncé, à braver l'opinion publique et à lasser la patience des citoyens par des actes aussi contraires à la sûreté de l'état qu'aux intérêts de la liberté; c'est que les lettres de La Fayette à l'assemblée nationale et au roi ont été combinées avec l'époque de cet événement prévu. Sans doute il avait pensé, comme tous ses complices, que quelque pures, quelque légitimes que fussent les intentions du peuple, un grand rassemblement pourrait produire quelque crime individuel qui pourrait servir de prétexte pour le calomnier et pour décrier ou persécuter les amis de la liberté. La vertu populaire et la raison publique déconcertèrent ses projets et les efforts mêmes de ses émissaires. Mais il n'en poursuivit pas moins le dessein qu'il avait formé de fonder, sur cet événement, une espèce de manifeste royal et autrichien pour colorer la révolte qu'il méditait contre la souveraineté nationale. De là l'acharnement absurde avec lequel tous les écrivains soudoyés par la cour s'efforcent de diffamer aux yeux de la France entière e peuple de Paris, ses magistrats et toutes les sociétés patriotiques de l'empire; de là les accusations intentées contre eux, au nom de Louis XVI, devant le corps législatif; de là les proclamations qu'il adressa à tous les directoires, au sujet du rassemblement du 20 juin; de là les adresses insolentes et aristocratiques envoyées peu de jours après par plusieurs directoires à l'assemblée nationale; de là, la visite véritablement séditieuse de La Fayette lui-même à l'assemblée nationale; de là ces déclamations criminelles où il dénonce avec une emphase si ridicule les citoyens de Paris, comme coupables d'avoir outragé la nation dans la personne de son représentant héréditaire, et demande vengeance de la journée du 20 juin, au nom de son armée et de tous les honnêtes gens; de là la dernière lettre où il se plaint de ne pouvoir porter à l'armée l'assurance que son vœu est adopté, et annonce qu'il part, quoiqu'il soit douteux s'il est parti; de là ces pétitions incendiaires colportées dans l'armée par Lameth et autres complices de La Fayette, pour la soulever contre le peuple français.

› Pour oser déclarer la guerre à sa patrie, il fallait qu'il eût

l'air de ne point attaquer la nation, mais un troisième parti, qui n'était point celui de la cour et de l'aristocratie, et qui cependant serait présumé ennemi de la liberté et de la Constitution. La Fayette a donc présenté les patriotes, le peuple, tout ce qui n'est point sa faction, comme une secte particulière qu'il a appelée, qu'il a fait appeler par tous les écrivains qu'il soudoie, tantôt républicaine, tantôt jacobite, à laquelle il impute tous les maux qu'il a causés, tous les crimes de la cour et de l'aristocratie... C'est sous ce nom qu'il prétend accabler le peuple, avec le nom du roi, avec les forces de la cour, de la noblesse, des prêtres séditieux, des puissances étrangères, et de tous les citoyens pervers où stupides qu'il pourra égarer ou attacher à sa fortune. On voit qu'en cela il s'accorde encore parfaitement avec nos ennemis extérieurs qui, pour ne point paraître combattre la volonté de la nation, pour diviser les Français et menager en même temps l'opinion de leurs propres sujets, déclarent qu'ils ne prennent les armes que contre cette même faction jacobite à qui ils supposent le pouvoir de maîtriser le peuple français... Voilà toute la politique de ce héros... Eh bien! qu'il comble enfin la mesure de ses crimes; qu'il passe le Rubicon comme César (1), ou plutôt que comme Octave, à qui il ressemble beaucoup mieux, aux talens près, il se cache à fond de cale, tandis qu'on donnera la bataille d'Actium... Citoyen ingrat et parjure, hypocrite et vil conspirateur! que tout le sang qui coulera retombe sur ta tête sacrilege! Tu as dis dans ta lettre à l'assemblée, en parlant de tes complices: « Je déclare que la nation française, si elle n'est pas la plus vile de l'univers, peut et doit résister à la coalition des rois. » Et moi je dis que, si le plus dangereux de ses ennemis et le plus coupable de tous les traîtres n'est pas bientôt exemplairement puni, nous sommes en effet la plus vile nation de l'univers, ou du moins nos représentans sont les plus lâches de tous les hommes. › (Défenseur de la Constitution, n. VIII.Ce numéro dut paraître le 5 juillet.)

«< (4) On assure que, plusieurs années avant la révolution, les plaisans de la Cour lui avaient donné le nom de Gilles-César. » (Note de Robespierre. )

Des rapprochemens semblables à ceux que nous venons de lire durent inspirer au plus grand nombre le soupçon d'une trahison positive de la part du général, et d'un plan concerté avec l'ennemi.

Voici en effet ce que nous trouvons dans le Journal général de l'Europe. - Extrait d'une lettre d'Allemagne du 9 juillet →→ ‹ La Fayette a agi plus tôt que le roi de Hongrie ne le voulait ; mais il a promis d'être le 5 à Paris avec son armée : et dès le moment où il apprendra sa marche à Clairfayt, une partie des Autrichiens se mettra en mouvement pour le soutenir; car il est convenu que si tout peut se faire par les généraux français constitutionnels, tout se fera par eux. Non-seulement La Fayette obtiendra l'amnistie, mais il l'a toute signée dans sa poche. La Fayette sera due, maréchal de France et ambassadeur à Vienne, pour lui donner, pendant deux ans, un asile honorable qui laisse effacer le souvenir du passé..... Un ami de L.. Tol... en a reçu une lettre de Paris du 24 juin. Il lui apprend les événemens du 20, et il lui dit: C'est la fm. Assez et trop cruellement ont régné les Jaco› bins. Entre des royalistes exagérés et des républicains effrénés, › il faut un tertium quid: la France en a besoin. Avant trois se› maines, La Fayette sera le plus grand homme de l'univers. » Le Journal général insiste, dans le même numéro, sur ce fait que les étrangers laisseraient la France en paix si elle acceptait le gouvernement proposé par les Feuillans, le système des deux chambres. Il ajoute divers renseignemens sur les projets de La Fayette, qui paraissent plus vraisemblables que le contenu de la lettre que nons venons de citer. « Les rapports des divers points de l'Europe, dit-il, attestent que La Fayette se croyant sûr de son armée, s'était engagé à marcher dernièrement avec elle sur Paris... A la nouvelle de la mort de Gouvion, à l'occasion de laquelle on accusait La Fayette d'arriver toujours trop tard, le b.... de B........... se permit de le justifier, et de dire qu'on ne devait pas juger si légèrement un aussi grand homme, qu'il se. pouvait encore couvrir de gloire, et que tel qui le diffamait, serait tantôt à ses pieds. → Vers le même temps, le philosophe d'Aranda faisait entendre qu'incessamment il y aurait négociation plus prompte

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encore que le congrès qui était sur le tapis. -A Gènes, M. de Sem......., qui fait négocier en cet instant à Paris la paix avec les monarchiens, publiait que les Jacobins étaient morts. - A Zurich, M. Bar...., montrant des lettres du grand directeur, ne craignait pas d'annoncer que le roi de France ne voulait plus absolument de l'antique Constitution, pas plus que de Jacobins, de princes, de noblesse, de royalistes et de parlement. › (n. CCCXCIV.)

De telles insinuations étaient plus que suffisantes pour faire accuser La Fayette de trahison et d'intelligence avec l'étranger; mais les hommes réfléchis ne pouvaient voir dans ces bruits que des propos sans fondement. Ils supposaient seulement que les manifestes de la cour impériale et ceux de l'officier français étaient également dictés par ce que l'on appelait le comité autrichien du château des Tuileries. Ils supposaient à La Fayette l'ambition de jouer le rôle de dictateur, et la volonté d'établir en France le système aristocratique du gouvernement anglais. En effet, aux Jacobins, tantôt on le comparait à Cromwel, et tantôt à Monck. D'autres discutaient, comme vis-a-vis de lui, la question des deux chambres. Quoi qu'il en soit, nous allons quitter la polémique extérieure, pour rentrer dans l'assemblée nationale.

SÉANCE DU 20 JUILLET.

[ M. Lacuée. Votre commission extraordinaire, en examinant la conduite de M. La Fayette, a cru qu'elle ne pouvait faire autre chose que de vous présenter un projet de loi qui interdise à l'avenir aux généraux la faculté de faire des pétitions sur des objets purement politiques. Elle s'était fondée sur le silence des lois existantes. Depuis, un examen plus sérieux lui a fait voir, dans la conduite de M. La Fayette, un délit militaire qui l'a déterminée unanimement à vous proposer le projet de décret suivant :

« L'assemblé nationale, considérant que les lois défendent à la force armée de délibérer; et que d'après les pièces qui lui ont été remises, il est évident que des corps de l'armée du centre ont présenté des adresses et des pétitions qui prouvent que la

loi a été violée, charge le pouvoir exécutif de lui rendre compte par écrit, sous huit jours, des peines de discipline qui doivent avoir été infligées par le général de cette armée aux chefs de corps qui ont violé la loi, ou qui en ont souffert la violation, et des moyens pris par le pouvoir exécutif, pour rappeler le général à ses devoirs, s'il n'a pas réprimé cette infraction. >

M. François de Neufchâteau. Je propose le décret suivant : « L'assemblée nationale charge son président d'écrire au général La Fayette qu'elle a vu avec surprise et avec peine un général d'armée quitter son poste, et l'un des coopérateurs de la Constitution se prêter à la violation de l'article fondamental, qui déclare la force armée essentiellement obéissante, et qui défend à tout corps armé de délibérer; mais opposant à cette démarche suspecte et insidieuse le souvenir de ce que M. La Fayette a fait dans le principe de la révolution, et persuadée que si un faux zèle ou des intrigues ont pu l'égarer, l'oubli dont la générosité nationale couvre sa faute l'engagera à la réparer par de nouveaux services, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer. »

M. Fauchet. On reconnaît qu'il y a un délit contre la Constitution; or l'assemblée nationale n'a pas le droit de remettre un délit de ce genre. Je demande la question préalable. (Une partie de l'assemblée applaudit.)

M. Dumolard. Ce n'est pas un pardon injurieux que vous devez décréter en faveur de M. La Fayette; je prouverai au contraire que vous devez, par un témoignage honorable, le laver de tout soupçon et confondre ses calomniateurs. (L'autre partie de l'assemblée applaudit. )

La proposition de M. François est unanimement rejetée.

M. Delaunay (d'Angers. ) Les intrigues du général La Fayette et les mouvemens extraordinaires de nos armées occupent en ce moment tous les esprits. On attend dans le silence de l'inquiétude, que les représentans du peuple prononcent sur des événemens qui paraissent étroitement liés à la destinée de l'empire et au sort de la révolution. Vous avez chargé votre commission extraordinaire de vous faire un rapport sur la pétition du géné

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