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duirait autre chose qu'une promenade analogue à celle du 20 juin. Il paraît qu'en effet ces deux opinions partageaient les esprits, et que la plupart des royalistes étaient loin de prévoir qu'il s'agît en ce jour pour la monarchie de vaincre ou de périr. Ce ne fut que dans la nuit que l'où commença à apercevoir la gravité du mouvement. Voici quelles étaient les précautions prises par le commandant général Mandat:

Seize détachemens de garde nationale, formant un total de deux mille quatre cents hommes environ, occupaient divers postes, tant au château qu'au pont tournant. Le régiment des gardes suisses tout entier, dont l'effectif n'était, selon les écrivains royalistes, que de neuf cent cinquante hommes, occupait le château. La gendarmerie à cheval, composée alors de neuf cent douze hommes, était sur pied en totalité. Ses principaux postes étaient les suivans: cent hommes étaient sur le quai d'Orsay, au bas dupont Royal; une soixantaine au Palais-Royal; cent hommes à la réserve de l'Hôtel-de-Ville, sur la place de Grève; cinq cent quatre-vingts à la colonnade du Louvre, sous les ordres de Ru lhière. Le reste du corps était dispersé en divers postes dans le voisinage du Carrousel. La gendarmerie à pied était consignée. Douze canons étaient en batterie autour du château. -Le poste de la garde nationale, à l'Hôtel-de-Ville, avait été renforcé. Le commandant avait reçu l'ordre de laisser passer la colonne du faubourg Saint-Antoine par l'arcade Saint-Jean, et de la charger en queue. -- Le bataillon d'Henri IV, réuni au Pont-Neuf, et composé en partie d'orfèvres, avait celui de défendre le passage' du pont. La gendarmerie du Louvre avait reçu ördre de laisser passer sur le quai la colonne du peuple, et de la couper lorsquelle serait suffisamment engagée. Alors, à l'aide d'un à droite et d'un à gauche, elle devait en pousser une partie vers les faubourgs, un autre vers le quai du Louvre, dont elle avait ordre de laisser les guichets ouverts. Ce n'était pas tout: le bataillon de Saint-Roch avait reçu ordre de se réunir dans les cours du Palais-Royal, et de marcher au premier signal, par la rue de Rohan, sur le Carrousel. Les bataillons réunis place Vendôme

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devaient appuyer ce mouvement en balayant la rue Saint-Honoré.

Enfin, de nombreux volontaires royalistes s'étaient donné rendez-vous au Château et aux Champs-Elysées. Ils se trouvèrent réunis au nombre de quelques cents dans les appartemens des Tuileries.

La plupart de ces dispositions, qui semblaient devoir assurer la victoire aux royalistes constitutionnels et aux royalistes absolus, réunis alors dans le même danger, manquèrent, pour la plupart, par le défaut de volonté de ceux qui étaient chargés de les mettre à exécution. La mort de Mandat fut sans doute la cause principale de cette inaction inconcevable chez des hommes qui la veille paraissaient la plupart très-résolus. Toutes les approches du château furent désertées par leurs défenseurs. Le corps de la place, gardé par les Suisses, par des volontaires et quelques gentilshommes, opposa seul une vive résistance,

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En effet, lorsque la colonne du faubourg Saint-Antoine, partie à six heures du matin de l'Arsenal et du Petit-Saint-Antoine, où elle s'était formée, se présenta à l'arcade Saint-Jean, la commune nouvelle prenait séance. Le commandant du poste de la Ville fut dans l'impossibilité d'agir. Lorsque la colonne du faubourg SaintMarceau, partie également à six heures du lieu de rassemblement, le Marché aux Cheyaux, et accrue du rassemblement formé au Théâtre Français par les Marseillais et les sectionnaires, se présenta au Pont-Neuf, le bataillon de Henri IV se débanda. Quelques relations écrites par les vainqueurs disent cependant qu'il y eut un semblant de résistance. La première de ces deux colonnes a été évaluée à environ quinze mille hommes armés, et la seconde à cinq mille. Mais, à cette heure, les rues, les quais, étaient encombrés d'une foule de curieux qui en accroissaient L'apparence, - La gendarmerie, qui devait se poster devant le Louvre, resta dans les cours, livrée à la plus grande insubordination, et, quelque temps après, conduite au Palais-Royal par ses officiers, qui craignaient qu'elle ne se joignît aux insurgés. Le Peuple arriva donc sans obstacle jusqu'à l'enceinte même du château des Tuileries, du côté de la ville. Ainsi la demeure royale

se trouva complétement entourée; car le peuple encombrait déjà tous les alentours de l'assemblée nationale, la cour et la terrasse des Feuillans. Ce fut là même qu'eurent lieu les premières exécutions sanglantes de la journée. Une patrouille royaliste avait été arrêtée la nuit aux Champs-Élysées. Quelques-uns de ceux qui la composaient s'étaient échappés, quelques autres avaient été amenés prisonniers à la section des Feuillans; il y en eut, dit-on, sept de tués. Cependant on cite seulement les noms de trois personnes, savoir, l'abbé Bougon, l'écrivain Suleau et Vigier, ex-garde-du-corps. Leurs têtes furent élevées et promenées au bout d'une pique. Les royalistes disent que mademoiselle Théroigne fut vue, équipée militairement et armée d'un sabre, à la tête des exécuteurs.

Nous passons ici sur beaucoup de détails que l'on trouvera dans les narrations, en quelque sorte officielles, que nous rapporterons plus bas, tels que la désorganisation des bataillons de la garde nationale, le départ du roi et de sa famille.

La porte royale livra passage au peuple vers neuf heures, soit qu'elle eût été enfoncée, soit qu'elle eût été ouverte par le suisse, ainsi que quelques personnes l'assurèrent, ou par quelques-uns des assaillans qui pénétrèrent par les fenêtres dans la loge des portiers. Les Marseillais pénétrèrent dans la cour, et les canonniers tournèrent leurs canons contre le château. Le feu commença un quart d'heure après. On a discuté beaucoup, selon l'ordinaire, pour établir quel était le parti qui avait commis les premières hostilités. Historiquement c'est une chose assez indifférente. Les actes ici ne sont que la traduction des sentimens. Or, le peuple était venu pour anéantir les forces des royalistes, et ceux-ci étaient là pour se défendre; pour tous, il s'agissait de la vie. Dans un moment si grave, la moindre parole, le moindre soupçon devait amener la collision, et, sous ce rapport, le récit de Pétion, que l'on trouvera plus bas, nous paraît très-probable.

Le feu des Suisses fit évacuer le Château; ensuite un détachement conduit par Turter balaya la cour royale, la place du Car

rousel, et s'empara de deux canons. Le peuple perdit, en ce moment, beaucoup des siens, et fut réduit à tirailler. Pendant ce temps, un autre détachement suisse, conduit par M. de Salis, traversa le jardin, et alla s'emparer de trois pièces de canon. Pendant ce trajet, il ne cessa d'échanger des coups de fusil avec des tirailleurs placés sur la terrasse des Feuillans. La perte de part et d'autre fut considérable; les Suisses eurent trente hommes de tués. Ce fut alors que, de la part du roi, ordre fut donné à cette garde de cesser le feu. Cependant le peuple recommençait l'attaque; il mit des pièces en batterie aux angles de la rue de l'Échelle et de la porte des Orties, et tira à boulets; on en voyait encore les marques sous l'empire. Il réussit à incendier les bâtimens qui fermaient les cours; cependant on ne pouvait les franchir à cause du feu parti des croisées. Enfin une colonne pénétra dans le jardin par le Pont-Royal et les portes du Manége. Les Suisses, se voyant menacés sur leurs derrières, se replièrent sur le grand escalier. Là le feu recommença, et dura environ vingt minutes, jusqu'à ce que l'irruption croissante de la foule étouffàt toute résistance. Alors chaque peloton suisse chercha à faire retraite par quelqu'une des issues qui restaient libres. Une compagnie se retira par la rue de l'Échelle; elle y périt tout entière. Une autre se jeta dans le jardin, et se retira à l'assemblée nationale en traversant une vive fusillade. Un autre corps d'environ trois cents hommes marcha vers les Champs-Élysées; mais il se rompit bientôt, par la diversité des avis, en plusieurs pelotons, dont quelques-uns se sauvèrent dans des maisons particulières, et d'autres périrent en combattant, rue Royale, à l'hôtel de la Marine, place Louis XV et aux Champs-Élysées. Telle est l'histoire des vaincus au 10 août. Nos lecteurs apprendront le reste dans les pièces que nous allons citer.

Récit du 10 août par Pétion, maire de Paris. (1)

La veille, M. Pétion présidait le conseil. Il reçut, lorsqu'il

(1) Extrait de l'ouvrage intitulé: Pièces intéressantes pour l'histoire, etc. Paris, l'an 2 de la république.

était en séance, plusieurs lettres du commandant-général, qui le sollicitait vivement de se rendre au Château, qui lui faisait part de ses craintes et des desseins hostiles du peuple. Sur les dix heures, on affluait de toutes parts à la maison commune, et on prévenait le conseil que les citoyens prenaient les armes dans tous les quartiers, que des groupes se formaient, qu'on parlait de sonner le tocsin et de se porter aux Tuileries. Plusieurs membres du conseil s'écrièrent: Il faut y aller; allons, monsieur le maire, mettez-vous à notre têle.

M. Pétion ne put pas se refuser à ce vœu, et il se rendit au Château avec plusieurs de ses collègues. Sa première démarche fut d'aller voir le roi, qui était dans la chambre du conseil.

Les cours, les escaliers, les appartemens étaient déjà remplis de soldats. Les Suisses s'y trouvaient en grand nombre, et avaient tous la baïonnette au bout du fusil. Le roi avait une cour très-nombreuse. La salle du conseil et la pièce qui la précède étaient occupées par des cavaliers habillés en noir, tous l'épée au côté, et par les officiers des états-majors de la garde nationale et des Suisses. La reine, Madame, madame Élisabeth, le dauphin étaient auprès du roi, avec un assez grand nombre de femmes.

Il serait difficile de peindre l'air farouche et de courroux avec lequel cette foule d'hommes envisageait le maire de Paris. Ils semblaient lui dire par leurs regards: Enfin tu vas nous payer aujourd'hui tout ce que tu nous as fait.

M. Pétion s'approcha du roi, qui causait avec le procureurgénéral-syndic du département (M. Roederer). Le roi ne paraissait pas moins irrité; il parla peu à M. Pétion; il se contenta de lui dire: Il paraît qu'il y a beaucoup de mouvement? - Oui, répondit le maire, la fermentation est grande. Et à l'instant le commandant-général (Mandat) qui était à côté reprit : C'est égal; je réponds de tout: mes mesures sont bien prises.

M. Pétion ne resta qu'un instant dans les appartemens, et descendit dans le jardin, où il ne cessa de se promener jusqu'à quatre heures du matin plusieurs de ses collègues étaient avec lui.

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