Page images
PDF
EPUB

M. le président. L'assemblée a décrété que vous seriez entendu pour lui rendre compte des mesures prises et à prendre pour le maintien de la tranquillité de la capitale.

M. Ræderer. Comme c'est un compte que l'assemblée me demande, l'exactitude doit en faire le caractère, et pour ne pas manquer à cette exactitude, je vais vous faire lecture des pièces de la correspondance du directoire du département avec le maire de Paris.

Deux objets depuis hier ont dû fixer particulièrement l'attention du département et de la municipalité, le premier est l'insulte faite à plusieurs membres du corps législatif, à la sortie de la séance. Le second est le bruit très-répandu, confirmé par des actes positifs, que ce soir, à minuit, le tocsin doit sonner, pour rassembler tout le peuple, à l'effet de se porter sur le château des Tuileries. Hier, à peine étais-je instruit que des membres de l'assemblée avaient été poursuivis par des hommes armés que j'écrivis sur-le-champ au maire, et pour l'intelligence de cette lettre, je dois vous dire que ce matin le ministre de l'intérieur m'avait écrit qu'il était instruit que neuf cents hommes armés devaient entrer, hier au soir ou ce matin, dans la capitale, et que la municipalité avait fait disposer des casernes pour les recevoir; j'ai interrogé le maire sur ce fait, comme vous le verrez dans la lettre ci-jointe, il m'a répondu qu'effectivement des commissaires de la municipalité avaient fait préparer des logemens; mais qu'il ne les connaissait pas autrement que par leur inscription sur le registre, et j'invitai le maire à venir au conseil de département pour concerter les mesures à prendre. Vers les neuf heures du soir, le conseil voyant que le maire ne venait point, me chargea d'écrire une seconde lettre. Nous venions d'ailleurs d'acquérir les preuves du bruit répandu, que le tocsin devait sonner cette nuit. La section des Quinze-Vingts, avait pris un arrêté portant que si le corps législatif ne prononçait pas, dans la journée du jeudi, la déchéance du roi, à minuit on sonnerait le tocsin et on battrait la générale pour que le peuple se levât tout entier.

t

[ocr errors]

Cet arrêté avait été envoyé aux quarante-sept autres sections avec invitation d'y adhérer, ainsi qu'aux fédérés qui se trouvent à Paris. Nous devons dire que cet arrêté a été improuvé par la section du Roi-de-Sicile.

Le conseil arrêta que la municipalité l'instruirait des mesures prises pour prévenir le tocsin, et qu'elle lui ferait parvenir jour par jour les délibérations des sections. Il invita les citoyens à se tenir prêts à se réunir au premier instant pour maintenir la tranquillité publique. L'assemblée trouvera sans doute, dans notre conduite, que nous avons strictement exercé la surveillance qui nous est prescrite, et que nous avons fait tout ce que la nature de nos fonctions nous permet d'actif. Il ne nous appartient point d'exercer la police immédiate; non-seulement nous manquerions à la loi, mais nous atténuerions la responsabilité de la municipalité, et nous risquerions de croiser ses mesures. Ce n'est que dans le cas où le maire aurait voulu concerter avec nous les mesures à prendre, que nous aurions pu, par cette considération, sortir des bornes de la surveillance; mais il s'est borné à répondre par écrit à la première de mes lettres. Cependant nous avons mandé le commandant-général de la garde nationale. Les renseignemens qu'il nous a donnés ne sont pas plus rassurans. La plus importante des mesures, celle qui a pour objet d'assurer la pleine et entière liberté de vos séances, appartient au corps législatif même. Nous ne pouvons que faire des voeux pour qu'il pourvoie à son indépendance. En vertu d'une réquisition du maire, le commandant-général a pris toutes les mesures de précaution convenables, telles que celle de placer deux réserves nombreuses, l'une au Carrousel, l'autre à la place Louis XV, en un mot, nous croyons qu'il y a sur pied une force suffisante pour en imposer peut-être à ceux qui, par un faux zèle, ou par mauvaise intention, voudraient troubler la tranquillité publique. Je ne compte pas au nombre de nos moyens de force, le zèle des administrateurs et le mien en particulier. Mais ce que j'assure à l'assemblée c'est que nous sommes tous dévoués à la chose publique et que j'exposerai ma tête pour m'opposer à toute entre

prise qui ne serait pas autorisée par vos décrets. (On applaudit.) M. Vaublanc. J'insiste sur la motion que j'ai faite d'ordonner aux fédérés de quitter Paris.

M. Lecointre-Puyravaux. Il y a un décret qui autorise les fédérés à Paris, jusqu'à ce que tout soit disposé à Soissons pour les recevoir. La proposition de M. Vaublanc est dangereuse, et tendrait à faire croire que l'assemblée attribue aux fédérés, et aux fédérés seuls, les désordres de la journée d'hier. (Des cris: Oui, oui, s'élèvent dans la partie droite. Ils sont couverts par les murmures d'indignation de la très-grande majorité. )

M. Dubayet. Je suis convaincu que les fédérés, qui sont Français, ne veulent que le triomphe de la liberté. Mais je suis convaincu aussi qu'il y a parmi eux un très-grand nombre d'hommes malintentionnés qui cherchent à abuser de leur crédulité. J'ai vu des hommes, revêtus de l'habit de garde national, qui avaient sur la physionomie tout ce que la scélératesse offre de plus horrible; j'en ai vu tirer leur sabre contre des hommes sans armes, contre des représentans de la nation. Je demande à l'assemblée si, dans sa sollicitude paternelle, elle doit laisser les fédérés qui sont venus à Paris pour servir la patrie en butte à la calomnie et à la séduction. ( Il s'élève quelques murmures.) Je déclare que telle est ma confiance dans les fédérés que, si l'assemblée veut m'accorder un congé, j'irai servir avec eux. Je suis convaincu que personne ne mérite plus notre estime et notre considération que ces hommes qui ont quitté leurs familles et leurs foyers pour se vouer à la défense de la patrie. Je demande donc que l'assemblée, secondant leur courage et leur généreuse résolution, décrète qu'ils se rendront sur-le-champ au camp de Soissons.

M. Vergniaud. Le ministre de la guerre s'est rendu, ce matin, à la commission extraordinaire; il nous a dit qu'il n'était pas encore bien décidé qu'il fût possible de former un camp à Soissons, que l'on serait peut-être obligé de choisir un autre lieu, et qu'en attendant qu'il eût reçu une réponse de la part des commissaires qu'il a envoyés, il lui était impossible d'entasser les fédérés dans des cantonnemens déjà insuffisans.

M. Guadet. Comme les papiers publics se chargeront du récit de cette délibération; comme la gazette de Leyde a annoncé, le 30 juillet, que quatre cent trente membres de l'assemblée nationale de France voteraient pour M. La Fayette, il est important de fixer les résultats de cette séance, afin de détruire les espérances qu'elle pourrait donner à nos ennemis. Les rois de Prusse et de Hongrie, le duc de Brunswick, répètent tous ensemble que l'assemblée nationale est sous le couteau d'une faction, et comme les ennemis approchent, qu'il est important de leur laisser croire qu'en effet une faction vous domine, deux heures ont été employées à prouver que les représentans du peuple ne délibéraient que sous l'oppression de cette faction. Un camp formé à Soissons pouvait avertir nos ennemis que si, après avoir vaincu nos armées, ils pénétraient dans l'intérieur du royaume, ils y trouveraient de nouveaux défenseurs de la liberté ; on n'ose pas s'opposer ouvertement à la formation de ce camp, mais on veut dégoûter les citoyens qui sont destinés à le composer.

Comme rien n'est disposé pour les recevoir, on leur dit : Partez sur-le-champ pour Soissons. Nest-ce pas leur dire en d'autres termes : Retournez dans vos foyers, nous ne voulons pas de vous. (On applaudit.) Mais je le dis ici au nom de tous ceux de mes collègues qui partagent avec moi l'amour du bien public et de la liberté. Non, il n'est pas vrai qu'une faction domine et gouverne les représentans du peuple souverain. Il y a parmi eux et il y aura toujours des hommes de courage qui, quelles que soient les circonstances, émettront courageusement et libremout le vœu que leur conscience leur dictera. ( On applaudit.) Non, cette faction n'existe pas; s'il en existe une, ce n'est pas heureusement une faction dominatrice, et c'est par ménage:nent que je ne l'indique pas ici. (De nombreux applaudissemens s'élèvent dans l'assemblée et dans les tribunes.)

Plusieurs voix de la partie droite. Indiquez-la, monsieur, cette faction; indiquez-la.

M. Guadel. On demande que je l'indique, eh bien! elle existe parmi ces hommes qui, après s'être établis les conseillers secrets

de M. La Fayette, qui, après avoir été consultés sur la pétition du général, ont osé venir dans cette tribune faire l'apologie de cette pétition qu'eux-mêmes m'ont dit avoir hautement condamné dans le comité des conseillers secrets; elle existe parmi ces hommes qui, après avoir calomnié les citoyens-soldats qui sont en ce moment au camp de Soissons, après les avoir traités de brigands et de factieux, se trouvant forcés aujourd'hui, d'après le rapport de vos commissaires, de rendre justice à leur zèle civique, se rejettent sur ceux qui n'ont pu encore, à cause de la négligence et de l'inertie du pouvoir exécutif, aller à Soissons donner les mêmes preuves de civisme; elle existe parmi les hommes qui, depuis le commencement de votre session, n'ont cessé de souffler dans Paris le feu de la discorde. Mais ce n'est pas de cette faction que les rois qui nous combattent demandent la proscription, et l'on voudrait en dissimuler l'existence en cherchant ailleurs des factions imaginaires.

Au reste, elles se tairont toutes devant la volonté nationale, devant le zèle, le courage des véritables représentans du peuple (La presque unanimité du côté gauche se lève simultanément en criant: Oui, oui, nous les combattrons toules. ); et c'est nous qui sommes, qui sommes ces représentans. (Les applaudissemens de la grande majorité de l'assemblée et des tribunes recommencent.) Que les armées lignées contre nous pénètrent dans l'intérieur du royaume, nous aurons encore, nialgré les factieux, à leur opposer une armée de défenseurs de la liberté qui exterminera les tyrans.

M. Lacroix. Lorsque le ministre Lajard, forcé par vous de rendre compte des mesures prises pour remplacer l'armée de réserve dont vous aviez décrété le rassemblement près de Paris, vous proposa la formation du camp de Soissons, il vous dit que tout était disposé pour l'établissement de ce camp, que des ingénieurs avaient déjà déterminé les emplacemens, et que cette position était la meilleure que l'on pût choisir dans le royaume. Cependant aujourd'hui on vous déclare qu'on ne sait pas même s'il sera possible d'y établir un camp; que probablement on sera forcé de

« PreviousContinue »