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Quoi! la proposition de marcher sur Paris est transformée à l'instant même par le maréchal, dans sa réponse, en la demande de s'absenter pour quelques jours de l'armée! Sur cette proposition et sur les autres choses bien plus horribles, le maréchal déclare qu'il ne peut avoir aucune opinion! Il comble de marques d'amitié l'auteur de ces projets horribles! Il ajoute froidement : « Ce que j'ai à vous demander, c'est le concert de vos opérations avec les miennes. Je suis bien persuadé que vous prendrez dans› toute hypothèse, des mesures telles, que le service et le bien de la chose publique n'en souffrent pas. » Et pas un mot du projet de marcher sur Paris! pas un mot des choses bien plus horribles!

Maintenant vous pouvez juger. Vous ne perdrez pas de vue! la phrase dans laquelle le général, après avoir fait sa profession de foi politique sur les factions intérieures, ajoute ces mots : < Ainsi pensent les dix-neuf vingtièmes du royaume, mais on a peur; moi, qui ne connaissais pas ce mal-là, je dirai la vérité. » Il est impossible que les hommes de bonne foi ne soient pas convaincus par cette phrase que l'intention du général était de venir seul. Je dirai la vérité n'est pas l'expression d'un homme qui veut agir à la tête d'une armée. Un foule de réflexions se présente à l'esprit, je me bornerai à une seule : C'est qu'en cherchant les preuves de la prétendue proposition de conduire une armée à Paris, on a heureusement constaté d'une manière certaine une circonstance glorieuse pour notre armée, qui avait inspiré au général la confiance de la présenter à l'ennemi; glorieuse pour le général qui avait cette confiance, et désespérante pour ses ennemis, qui l'ont accusé d'avoir voulu conserver le Brabant à l'Autriche; de s'être opposé à la guerre offensive. Il faut rappeler ici les expressions de la lettre que le général La Fayette avait chargé M. Bureaux-Puzy de remettre au ́maréchal Luckner, et qui contenait un plan d'attaque.

Voilà une proposition vraie, constatée par des lettres authentiques; et les hommes de bonne foi ne balanceront pas entre le projet certain de combattre l'ennemi, et l'absurde accusation d'avoir voulu marcher sur Paris.

'Si nos ennemis secrets ont formé le dessein de se servir de' nous pour jeter la discorde dans l'armée et parmi les généraux, ils ont merveilleusement réussi ; et ces misérables détails qui ont occupé l'assemblée, et dans lesquels je suis forcé d'entrer, cette pénible recherche des paroles d'un vieux général qui comprend à peine notre langue, tout cela est-il bien digne d'une assemblée chargée des plus grands intérêts, et qui doit prévoir les plus grands périls? Ah! ce n'est pas ainsi qu'on sauve un empire, et le moindre inconvénient de ces petitesses est de jeter du ridicule sur l'assemblée nationale, et de réjouir nos ennemis.

Voulez-vous faire la guerre avec succès ? Que vos généraux ne' soient pas gênés dans leurs opérations, qu'ils aient le choix illimité de leurs mouvemens. C'était l'usage constant du peuple romain; il ne s'en est jamais écarté.

Rome était persuadée, dit un célèbre publiciste, qu'il importait que ses généraux eussent l'esprit libre et dégagé de toute inquiétude, que nulle espèce de considérations ne pût gêner leurs opérations. Elle ne voulait pas ajouter de nouveaux embarras, de nouveaux périls à une chose qui de soi-même en est remplie. Elle croyait enfin qu'une maladresse de cette nature l'empêcherait de trouver jamais des généraux qui se portassent vigoureusement à une expédition.

Telle doit être la conduite des Français, s'ils veulent triompher. Que les oisifs de la capitale, au lieu de critiquer bêtement la conduité des généraux, aillent augmenter le nombre de nos guerriers. Voyez cette foule de citoyens des Vosges, du Haut et Bas-Rhin, du Jura, de la Moselle et de la Meurthe, qui cou-' rent sous les drapeaux à la voix des généraux de l'armée du Rhin; ils ne s'occupent pas à discourir, ils agissent en gens courageux ;'ils ne font pas des pétitions, ils prennent les armes. Ils ne veulent pas commander, ils obéissent; ils ne demandent pas au corps législatif une réponse catégorique, un oui ou un non, ils courent aux combats. Voilà l'exemple que vous devez imiter, braves fédérés. Méprisez des conseils indignes de vous, et suivez l'impulsion de votre courage. Tremblez que l'ennemi ne soit

vaincu sans vous; craignez que nos guerriers ne puissent vous dire, comme Henri IV à Crillon : Nous avons combattu, et vous n'y étiez pas.

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M. Brissot. C'est un des plus grands malheurs des révolutions, que les hommes qui s'y dévouent aient souvent à condamner leurs propres amis; c'est ce que j'éprouve aujourd'hui. J'ai été lié avec La Fayette, je l'ai vu un des plus ardens amis de la liberté; mais une coalition infernale l'a arraché à ses principes et à sa gloire: il n'est plus rien pour moi. L'impassibilité que je vous recommande, je l'ai revêtue moi-même. Est-ce en effet dans le moment où des ennemis nombreux marchent contre nós frontières, et où la patrie est véritablement en danger, qu'on peut se livrer à de petites passions, à de misérables vengeances? Ah! malheur à celui qui ne verrait, dans une cause de cette importance, qu'un ennemi à punir, qu'un parti à ridiculiser.

Quel est le crime de La Fayette? Je ne l'accuserai pas d'être de concert avec l'Autriche. Cependant je ne puis me refuser à une seule réflexion. Si un général eût voulu favoriser la maison d'Autriche, il aurait refusé d'entrer dans le Brabant, quoique il ne fût alors gardé que par un petit nombre de troupes, il se serait retranché, n'aurait rien tenté; il aurait placé en avant un camp qui pouvait être enlevé, il l'aurait conservé malgré les remontrances d'un général expérimenté ; il aurait annoncé des renforts du côté des ennemis, lorsqu'il est vrai qu'ils n'en recevaient aucun; il aurait calomnié les intentions des Belges, parce qu'ils étaient assez faibles pour ne pas tenter une insurrection avant que les Français fussent entrés chez eux; il aurait fait faire une promenade à son armée; il l'aurait employée à des manœuvres de

camp, à des caravanes inutiles; il se serait amusé à faire des pétitions pour donner aux ennemis le temps de se renforcer.Comparez ce tableau aux manoeuvres brillantes de La Fayette, devant lesquelles M. Bureaux-Puzy feint de se prosterner, quoique il ne soit pas novice. Je n'en conclurai pas néanmoins que La Fayette ait agi de concert avec la maison d'Autriche ; car je n'en ai pas de preuves écrites. Mais avouez qu'un général qui eût été

notre ennemi, n'eût pas agi autrement, et qu'il y a incapacité de sa part, s'il n'y a pas perfidie. Dans la guerre de 1756, une cour martiale déclara que l'amiral Binck n'avait pas fait son devoir pour vaincre. Les juges le condamnèrent à mort, d'après le code militaire anglais qui condamne à mort le général qui aurait manqué de vaincre par ignorance, par négligence, comme par mauvaise volonté. Cette loi serait injuste, sans doute, et barbare envers le commun des hommes; mais Washington s'y fût soumis, et l'élève de Washington ne doit pas ignorer que la responsabilité doit augmenter en raison de l'importance des fonctions et des talens qu'on se suppose à soi-même, en les acceptant ; j'accuse M. La Fayette d'avoir abusé des forces mises dans ses mains, d'avoir violé la Constitution, soit pour avoir provoqué les délibérations de son armée, soit pour avoir cherché à avilir la législature, soit pour avoir tenté d'allumer une guerre civile, soit pour s'être arrogé une autorité supérieure aux autorités constituées. Et, je dirai le mot, au risque de faire parjure M. Dumoslard qui a promis d'expirer dans cette tribune, si on le répétait, toutes ses démarches tendent à un but unique, celui de devenir le modérateur de la France. C'est par là que s'expliquent, et l'histoire des 5 et 6 octobre, et ses persécutions contre la faction orléanique à laquelle il a seul donné de l'existence, et sa démission du 18 février, et sa coalition avec des hommes qu'il détestait, et son jeu double lors de la fuite du roi, et son apparition aux Jacobins qu'il dénonce, parce qu'il n'en a pu faire instrument de ses intrigues, parce que ces cent mille fanaux l'éclairent de trop près, et que ce n'est pas à leur lumière qu'on peut monter à la dictature. Je ne m'attacherai à répondre qu'à M, Dumoslard, qui l'a défendn dans une des dernières séances; car M. Vaublanc n'a fait que répéter les mêmes choses, en y ajoutant seulement une pompe d'expression qui ne cache pas aux yeux des patriotes éclairés le vide des argumens. Je ne m'arrêterai pas à la partie de la plaidoirie de M. Dumoslard qui contient de grandes déclamations sur le peuple, qu'il respecte dans sa masse, parce qu'elle n'est nulle part; mais qu'il déchire dans ses sections,

parce qu'elles se reproduisent partout. Je ne m'arrêteraî pas à sa diatribe contre les factieux qui osent voir dans La Fayette un chef de faction, lorsque lui-même se dit l'organe et le chef du parti des honnêtes gens.

M. Dumoslard a nié d'abord que M. La Fayette à compromis la sûreté de l'État, en quittant son armée; mais lorsque cette armée était en face de l'ennemi, qu'à chaque instant elle pouvait être attaquée, ou attaquer elle-même, le général ne devait-il donc par rester à son poste pour suivre les mouvemens de l'ennemi, pour profiter de ses fautes, pour aider le maréchal Luc kner à s'avancer dans le Brabant afin de décider l'insurrection? Dira-t-il, à moins qu'il ne convienne qu'il n'entendait pas faire une guerre sérieuse, qu'il n'y eût alors rien à espérer ni à ima giner pour un général qui se trouvait en présence d'une armée beaucoup plus faible que la sienne. Je dis plus faible, car ces vingt-cinq mille hommes dont a parlé M. Bureaux-Puzy, peuvent être très-commodes pour justifier l'inaction de nos troupes: mais il aurait été bien difficile de les trouver à Mons.

Mais je vais plus loin, et je dis : ou les Autrichiens n'étaient point en force; pourquoi donc votre inaction? elle est un crime: ou ils avaient la supériorité du nombre; et, en ce cas, abandonner votre armée, c'était trahir l'État. Il paraît, d'après M. BureauxPuzy, que M. La Fayette s'est trouvé dans ce dernier cas; que le camp de Teniers était très-faible; qu'il n'avait que dix-huit mille hommes à opposer à vingt-cinq mille hommes ; qu'il ignorait les projets des ennemis ; qu'il pouvait être attaqué à chaque instant. Comment donc, après cet aveu, a-t-il pu justifier le voyage de M. La Fayette, et son séjour à Paris? Il est venu, dit-il, pour exciter l'activité des ministres; mais quoi! a-t-on besoin d'exciter l'activité de ses créatures? M. La Fayette vient ici avec une foule d'aides de camp; ne peut-il donc les employer que pour intriguer sous ses yeux, soit à la cour, soit dans les armées ? et ne pouvait-il pas les envoyer auprès des ministres pour presser les approvisionnemens?

On a dit qu'aucune loi n'empêchait un général de s'absenter

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