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armes pour vous en délivrer. Ils cherchent à mettre tous les citoyens faibles dans leur parti, en disant que ce parti est celui des dix-neuf vingtièmes du royaume. Ils s'écrient que le roi n'est pas en sûreté, que l'assemblée sort de la Constitution; cette identité de langage n'a-t-elle donc pas de quoi surprendre? Mais quand on examine les ordres à l'armée dont il avait d'abord toléré l'égarement, à l'étonnement succèdent l'indignation et le désir de venger les lois outragées. On y voit ce général suivre avec ardeur le projet d'avilir le pouvoir législatif au profit du représentant héréditaire, d'exciter les citoyens armés contre le peuple, de déprécier même l'indigence, comme si elle pouvait être quelque chose de vil aux yeux des défenseurs de l'égalité; de représenter sans cesse l'amour de la liberté sous les traits de l'esprit de faction, comme s'il y avait d'autres factieux que ceux qui prostituent à des hommes la vénération qui n'est due qu'aux principes. (Une partie de l'assemblée applaudit.)

Le véritable délit de M. La Fayette est non-seulement d'avoir violé la Constitution en délibérant et en permettant à son armée de délibérer, mais d'avoir voulu opposer une minorité orgueilleuse, qu'il appelle la classe des honnêtes gens, à la majorité de la nation. Ce fait résulte des pièces qui vont être lues. Il s'est donc rendu coupable d'avoir fomenté une guerre civile. A l'égard de ce délit la loi est claire. C'est à vous à l'appliquer. Je ne vous parlerai pas des actions personnelles de M. La Fayette. Mais est-il vrai qu'il a refusé de donner la liberté aux malheureux Belges? Rien n'excuserait auprès de la sévère justice ce crime, de l'accusation duquel il doit se purger devant la haute cour nationale. A l'instant où toutes les tyrannies s'agitent pour étouffer la liberté, où les trahisons se multiplient, gardez-vous que trop de faiblesse n'encourage les auteurs de ces désordres, et ne brise pour longtemps peut-être le ressort des lois. Votre commission extraordinaire vous propose de décréter qu'il y a lieu à accusation contre le général La Fayette. (Des applaudissemens s'élèvent dans les tribunes.)

M. Pastoret. Ayant que la discussion s'engage, je demande la

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parole pour un fait que plusieurs membres de la commission extraordinaire m'ont chargé de vous soumettre sans aucune réflexion. C'est que, lorsque la commission délibéra sur cette affaire, elle n'était composée que de quinze membres, dont huit seulement votèrent pour le décret d'accusation.

M. Vaublanc. Des législateurs doivent s'attacher à juger les choses et les hommes avec le calme de la raison. Ils doivent, en examinant les motifs et les conséquences d'une action, écarter soigneusement toute influence de parti, ne voir que les intentions évidentes et non les intentions cachées, quand l'action elle-même est innocente; en un mot, ils doivent juger et non supposer. Dans cette impassibilité seule est la justice. C'est avec cette froide méditation que j'ai examiné la cause que je vais discuter, mais attaquée avec fureur et animosité, cette cause peut être défendue avec chaleur. Quoique deax fois j'aie été insulté, menacé de la manière la plus indigne dans l'intérieur même de vos séances, j'exprimerai mon opinion telle que le sentiment de ma conscience me l'a dictée. Nous devons tous démontrer que d'insolentes menaces ne peuvent ni captiver nos pensées, ni faire fléchir nos principes; cependant, je l'avouerai par respect pour l'assemblée, par consideration pour l'homme que je défends, j'adoucirai l'expression de l'indignation que m'ont fait éprouver les traits envenimés que l'on a lancés dans cette tribune contre toute bienséance. L'assemblée ayant entendu avec silence ses accusateurs, on doit entendre avec plus de silence encore ses défenseurs; car du moment où la liberté d'opinions n'existera plus dans cette enceinte, la liberté publique n'existera plus nulle part. Vous avez annoncé le danger de la patrie, le moment est donc venu de mettre à l'épreuve l'inflexibilité de votre caractère. Celui qui ne fléchit pas devant la multitude, ne fléchira pas devant les Autrichiens.

La Fayette a présenté une pétition. Existait-il une loi qui le lui défendait? Non, et nul ne peut être jugé que d'après une loi antérieure au délit. Que renfermait cette pétition? Des plaintes contre des ministres, une dénonciation contre un club domina

teur. Il vous à fait les mêmes demandes à la barre. Je ne réfuterai pas les sophismes par lesquels on a cherché à transformer ses demandes en ordres, à assimiler sa conduite à celle de Cromwel. Ces emphatiques déclamations ne sont qu'une preuve d'impuissance. Est-il venu vous dicter des lois? Non ; mais vous prier d'en faire une. Vous a-t-il demandé la destruction des sociétés populaires? Non; mais l'anéantissement du règne des clubs. Demander des lois a-t-il rien de commun avec l'absurde prétention d'en dicter. Un général n'a-t-il pas le droit d'être entendu quand la discipline de son armée est menacée. Or, les délibérations des clubs influaient si puissamment sur les armées, qu'elles les menaçaient de désorganisation; elles contribueront bien plus à faire perdre une bataille que tous les efforts des ennemis extérieurs. Une loi défend-elle aux généraux de se rendre auprès des ministres? Non; nous avons été témoins dans les guerres des derniers règnes de plus de vingt généraux qui ont quitté l'armée en présence de l'ennemi pour se concerter avec les ministrés, et leur demander les secours dont ils avaient besoin. Les militaires savent qu'il est bien des moyens d'être en présence de l'ennemi et qu'un général peut être certain qu'il ne sera pas attaqué.

M. Luckner n'a-t-il pas aussi quitté son armée? Il a plus fait dans son court séjour à Paris, qu'il n'eût obtenu par une longue et pénible correspondance. C'est ainsi que vous avez vu un Montesquiou venir, précisément parce qu'il craignait d'être attaqué. Dirai-je que dans une société célèbre, on a pris l'engagement de faire décréter M. La Fayette d'accusation; mais qu'on a voulu laisser aux pétitions le temps de faire leur effet. C'est depuis ce temps que yous avez entendu quelques centaines de pétitionnaires venir périodiquement faire retentir cette enceinte de leurs déclamations effrénées. Toujours ce sont les mêmes orateurs, le` mème style, le même langage. Certes, il faut que votre patience soit bien grande pour tolérer ces manœuvres qui déshonorent le droit de pétition, pour souffrir que l'on fasse de votre barre une arène dont s'emparent quelques orateurs à gages, qui, mêlant à leurs fureurs le nom sacré de liberté, enflamment tous les esprits,

font passer parmi vous (car vous n'êtes que des hommes) les passions qui les animent, et troublent vos séances. Si la loi ordonne de respecter tous les citoyens qui sont sous une accusation légale, de quel œil doit-on voir la tolérance dont vous couvrez les injures les plus grossières? Je le dis enfin sans détour, c'est en souffrant de tels abus qu'on affaiblit dans l'esprit du peuple l'a-' mour de la liberté. Qu'on ne me parle donc plus de comité autrichien pour avilir l'assemblée, ou que l'on convienne que ce sont les hommes qu'il soudoie qui viennent déclamer à votre barre.

Mais, dit-on dans cette pétition signée individuellement, le général a parlé au nom de son armée. Je réponds que, dans la première de ses lettres, il n'est pas un seul mot qui indique qu'il ait entendu se rendre devant vous l'organe de son armée. « Je déclare, dit-il, qu'ayant reçu des différens corps que je commande des adresses pleines de leur amour pour la Constitution, de respect pour les autorités qu'elle a établies et de leur patriotique haine contre les factieux de tous les partis, j'ai cru devoir arrêter sur-le-champ ces adresses par l'ordre que je déposé sur le bureau. Vous y verrez que j'ai pris, avec mes braves compagnons d'armes, l'engagement d'exprimer nos sentimens communs; et le second ordre que je joins également ici les a confirmés dans cette juste attente. » Dans ces ordres, le général blâme formellement la manifestation collective d'un vœu quelconque dans l'armée. « Il suffit, dit-il, quant à présent, à l'assemblée nationale et au roi d'être convaincus des sentimens constitutionnels des troupes. Il doit suffire aux troupes de pouvoir compter sur le patriotisme, sur la loyauté de leurs frères d'armes de la garde nationale parisienne qui saura triompher de tous les obstacles, de toutes les trahisons dont on l'environne. Le général croit donc devoir mettre des bornes à l'expression des sentimens de l'armée, qui ne sont qu'un témoignage de plus de son dévouement à la Constitution. Il lui promet que, dans toutes les démarches personnelles qui pourront contribuer au succès de notre cause et au maintien de la Constitution, il brave seul toutes les calomnies comme tous les dangers.

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On a voulu empoisonner le sens de la première phrase de cet ordre, en observant un but caché dans les mots quant à présent. On a prétendu qu'ils signifiaient : je ne veux pas encore vous conduire contre les factieux du dedans; il suffit, quant à présent, de faire des pétitions préparatoires. Tant de factions s'élèvent contre la Constitution; est-il étonnant que M. La Fayette ait dit à son armée qu'il suffisait, quant à présent, que l'on sût qu'elle ne combattrait jamais que sous les ordres de l'assemblée nationale et du roi, les ennemis de tout genre de la Constitution. Cette phrase est d'autant moins coupable, que le nom de l'assemblée nationale se trouve avant celui du roi. Au reste, cette dégoûtante recherche de toutes les expressions d'une pétition me rappelle ce que disait l'agent et le complice d'un ministre despote. L'infàme Laubardemont disait un jour: « Qu'on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme de France, et j'y trouverai de quoi le faire pendre. ›

Mais, comment se fait-il donc que des hommes si sévères envers les ministres, si prompts à relever leurs fautes, n'aient pas vu la phrase la plus remarquable de la lettre de M. La Fayette?

« C'est après avoir opposé à tous les obstacles, à tous les piéges, le courageux et persévérant patriotisme d'une armée sacrifiée peut-être à des combinaisons contre son chef,'que je puis. aujourd'hui opposer à cette faction la correspondance d'un ministère, digne produit de son club; cette correspondance dont tous les calculs sont faux, les promesses vaines, les renseignemens trompeurs ou frivoles, les conseils perfides ou contradictoires, ou après m'avoir pressé de m'avancer sans précautions, d'attaquer sans moyens, on commençait à me dire que la résistance allait. »

Trois de vos comités ont entendu dans le temps ces instructions qui semblaient être dictées par l'ignorance en délire. Le général vous dit qu'elles ont été suivies de cet indigne mot : « La résistance va devenir impossible; et aucune voix ne s'est élevée ! et les accusateurs journaliers ont gardé le silence! Ah! messieurs, convenons-en, les mêmes font alternativement de

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