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qu'ici sont ceux qui veulent vous sauver; soyez persuadés que nous sommes prêts à mourir ici avec vous. Nous vous invitons à attendre dans le calme qu'un président soit arrivé, afin que nous puissions rouvrir légalement la séance.

M. Vergniaud arrive et occupe le fauteuil.

M. le président aux citoyens à la barre. L'assemblée est prête à entendre votre pétition.

Un des citoyens à la barre. Législateurs, ce n'est point une pétition que nous venons vous faire ; nous sommes des citoyens qui venons, le cœur navré de douleur, vous dénoncer un crime atroce, horrible, l'empoisonnement de nos défenseurs, de nos frères, de nos pères, de nos enfans, de nos amis; les uns sont morts, les autres sont dans les hôpitaux, malades. Pouvez-vous ne pas frémir d'indignation. Ce ne sont point des plaintes, ce sont des cris, des hurlemens que nous poussons vers vous. Si du moins ces malheureux étaient morts pour la patrie, nous dirions, comme les Spartiates: la patrie est sauvée. Mais en se sacrifiant pour nous tous, pour prix de leur patriotisme, ils meurent par le poison! Qu'ils se déclarent donc, ces lâches homicides, et nous les combattrons. Ah! si nous n'avions pas eu tant de patience, si dès le commencement de la révolution nous les eussions exterminés jusqu'au dernier, la révolution serait achevée, et la patrie ne serait pas en danger.

Mais vous, représentans du peuple, vous en qui seuls nous pouvons encore avoir confiance, nous abandonnerez-vous ? ( L'assemblée entière: Non, non.) Si nous ne comptions pas sur vous, je ne vous réponds pas des excès où notre désespoir pourrait nous porter, nous péririons dans les horreurs de la guerre civile, pourvu qu'en mourrant nous entraînions avec nous quelques-uns des làches qui nous assassinent... C'est donc à vous que nous demandons vengeance, et nous l'attendons de vous. (Toute l'assemblée: Oui, oui, vous l'aurez.)

M. le président. Citoyens, l'assemblée partage votre douleur. Les expressions de votre désespoir ont été jusqu'à son cœur. Elle a envoyé des commissaires dont le patriotisme est connu ;

ils nous feront connaître les attentats que vous nous dénoncez. Comme l'assemblée n'est pas assez nombreuse pour délibérer, en ce moment, elle renvoie la délibération sur l'objet de votre dénonciation.

M. Thuriot. Le crime est atroce, il faut que la vengeance soit. prompte ; je demande que l'on envoie sur le champ un courrier aux trois commissaires pour avoir une connaissance précise de ce fait.

L'on décide qu'on enverra un courrier sur le champ avec une lettre du président.

M. le président invite les citoyens à se retirer paisiblement. Ils se retirent. Il est minuit.

SÉANCE DU VENDREDI 5 AOUT.

[On lit une lettre des trois commissaires de l'assemblée nationale, envoyés au camp de Soissons; elle contient les détails sui

vans:

En arrivant à Soissons, notre première démarche a été de nous rendre à la municipalité. Instruits que dans une cuite de pain de munition il s'était trouvé du verre écrasé, nous nous sommes transportés au magasin à farine et à l'endroit où on manipule le pain de munition, afin de prendre toutes les informations nécessaires pour découvrir la cause de cet événement. Après les recherches que nous avons faites, conjointement avec des députés de la municipalité, des gardes nationaux et des citoyens, nous nous sommes convaincus qu'il n'y avait pas de dessein prémédité de malveillance. Le pain a été fait dans les bas côtés de l'église Saint-Jean, dont les murs et les vitraux sont dans un état de dégradation qui paraît avoir été la seule cause de cet événement, la commotion de la manipulation du pain ayant fait tomber quelques parties de vitraux. Nous pouvons donc vous assurer qu'il n'y a pas eu dans ce fait de crime médité, mais une grande négligence, et que ce n'est pas la seule que nous avons à vous dénoncer. Au reste, cet événement n'a eu aucune suite fàcheuse.

L'assemblée ordonne l'impression de cette lettre.

M. Lasource. On ne croit point au système adopté pour agiter le peuple; cependant, ce qui s'est passé hier à la fin de votre séance, ne prouve que trop que ce système se suit avec activité. Ceux qui ont persuade au peuple que cent soixante-dix volontaires nationaux étaient morts empoisonnés, que sept cents autres étaient à l'hôpital, sont manifestement des factieux, des brigands, des séditieux ; c'était un coup monté pour exciter une rumeur dans Paris, faire sonner le tocsin, répandre une alarme générale; enfin, pour exciter un mouvement que l'on attend depuis long-temps. Je demande que l'assemblée charge le pouvoir exécutif, et spécialement le maire de Paris, de faire rechercher les auteurs de ces faux bruits.

M. Tronchon. La conduite du peuple, dans la soirée d'hier, a prouvé qu'il saurait déjouer les manœuvres des agitateurs; la voix d'un seul de vos membres a suffi pour rétablir le calme.

La proposition de M. Lasource est adoptée. ]

Sur le rapport de M. Jean-Debry, l'assemblée rend un décret dont voici le principal article.

Art. I. « Tout Français qui, soit dans les bataillons de volontaires, soit dans les troupes de ligne, soit dans les légions, soit dans les compagnies franches, ou tout autre corps, aura fait la guerre de la liberté, depuis la campagne actuelle, et sera resté sous les drapeaux, ou en activité de service, jusqu'à la paix, jouira du droit de citoyen actif, comme s'il avait servi pendant seize ans.

› Ceux qui auront été blessés, et ne pourront servir jusqu'à la fin de la guerre, jouiront des mêmes droits. »

[ On lit une lettre signée par une députation de fédérés, qui demandent à soumettre à l'assemblée quelques observations.

Après quelques débats, et sur l'observation qu'ils doivent partir demain pour le camp de Soissons, l'assemblée décide qu'ils seront admis à l'instant.

L'orateur de la députation. Un grand attentat a été commis dans

les murs de Soissons; plusieurs de nos frères ont péri par le poison...

- M. le président fait lire aux députés la lettre des commissaires de l'assemblée, qui dément ce fait.

Il continue. Mais il est d'autres crimes bien plus atroces, puisqu'ils tendent à assassiner le peuple entier. Nous vous dénonçons le pouvoir exécutif, le perfide Lajard, les factieux, les conspirateurs qui vous entourent, et qui ont pris le masque du patriotisme pour tromper le peuple. Nous vous demandons une réponse catégorique; pouvez-vous nous sauver, oui ou non? Le peuple est levé, il veut sauver la chose publique et vous sauver avec elle.

M. le président répond aux pétitionnaires, que l'assemblée trouvera dans la Constitution des moyens suffisans de salut. - Ils sont admis à la séance.

Les ministres presentent un méssage du roi. Il est ainsi conçu

Du 3 août 1792, l'an IV de la liberté.

Il circule, monsieur le président, depuis quelques jours, un écrit intitulé: Déclaration de S. A. S. le duc regnant de BrunswickLunebourg, commandant les armées combinées de LL. MM. l'empereur et le roi de Prusse, adressée aux habitans de la France. Cet écrit ne présente aucun des caractères qui pourraient en garantir l'authenticité. Il n'a été envoyé par aucun de mes ministres dans les diverses cours d'Allemagne qui avoisinent le plus nos frontières. Cependant sa publicité me paraît exiger une nouvelle décla→ ration de mes sentimens et de mes principes.

La France se voit menacée par une grande réunion de forces. Reconnaissons tous le besoin de nous réunir. La calomnie aura peine à croire la tristesse de mon cœur, à la vue des dissensions qui existent et des malheurs qui se préparent; mais ceux qui savent-ce que valent à mes yeux le sang et la fortune du peuple, croiront à mes inquiétudes et à mes chagrins.

J'ai porté sur le trône des sentimens pacifiques, parce que la paix, le premier besoin des peuples, est le premier devoir des

rois. Mes anciens ministres savent quels efforts j'ai faits pour éviter la guerre. Je sentais combien la paix était nécessaire; elle seule pouvait éclairer la nation sur la nouvelle forme de son gouvernement; elle seule, en épargnant des malheurs au peuple, pouvait me faire soutenir le caractère que j'ai voulu prendre dans cette révolution. Mais j'ai cédé à l'avis unanime de mon conseil, au vou manifesté d'une grande partie de la nation, et plusieurs fois exprimé par l'assemblée nationale.

La guerre déclarée, je n'ai négligé aucun des moyens d'en assurer le succès. (Des murmures s'élèvent dans une partie de l'assemblée, et un assez violent tumulte dans les tribunes.) Mes ministres ont reçu ordre de se concerter avec les comités de l'assemblée nationale et avec les généraux. Si l'événement n'a pas encore répondu aux espérances de la nation, ne devons-nous pas en accuser nos divisions intestines, les progrès de l'esprit de parti, et surtout l'état de nos armées qui avaient besoin d'être encore exercées avant de les mener au combat. Mais la nation verra croître mes efforts avec ceux des puissances ennemies ; je prendrai, de concert avec l'assemblée nationale, tous les moyens pour que les malheurs inévitables de la guerre soient profitables à sa liberté et à sa gloire.

J'ai accepté la Constitution: la majorité de la nation la désirait; j'ai vu qu'elle y plaçait son bonheur, et ce bonheur fait l'unique occupation de ma vie. Depuis ce moment, je me suis fait une loi d'y être fidèle (Mêmes rumeurs.), et j'ai donné ordre à ines ministres de la prendre pour seule règle de leur conduite. Seul je n'ai pas voulu mettre mes lumières à la place de l'expérience, ni ma volonté à la place de mon serment. J'ai dû travailler au bonheur du peuple; j'ai fait ce que j'ai dû, c'est assez pour le cœur d'un homme de bien. Jamais on ne me verra composer sur la gloire ou les intérêts de la nation, recevoir la loi des étrangers ou celle d'un parti : c'est à la nation que je me dois; je ne fais qu'un avec elle: aucun intérêt ne saurait m'en séparer ; elle seule sera écoutée je maintiendrai jusqu'à mon dernier soupir l'indépendance nationale. Les dangers personnels ne sont rien auprès des mal

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