Page images
PDF
EPUB

ver de singulières révélations dans notre histoire ; car en prenant la plume, nous nous sommes imposé le devoir de ne respecter que la vérité, et de ne manquer à rien de ce que la probité historique exigerait de nous. Nous avons nous-même connu M. La Fayette et dans des circonstances fort graves; or, si nous ne nous trompons pas, M. La Fayette était plein de bienveillance, de générosité et de bravoure; mais trop amoureux de la popularité, faisant trop de cas des choses de la vie intime, et à cause de cela, s'abandonnant trop facilement aux conseils de ses habitués. M. La Fayette n'était pas un homme à priori; et le jugement de Tallien, que nous avons consigné dans un volume précédent, ne nous paraît pas manquer d'exactitude. Revenons à notre histoire.

Les nouvelles du 17, au matin, excitèrent dans la séance du soir un zèle d'organisation militaire remarquable. On acheva le décret sur le recrutement de l'armée; on adopta un projet de Dumas pour la formation de compagnies de chasseurs volontaires. On applaudit en apprenant le départ des régimens de ligne qui étaient à Paris (1). On rejeta les observations adressées par le colonel d'Affry qui représentait que les capitulations avec la Suisse ne permettaient pas d'éloigner le régiment entier des gardes suisses de la personne du roi; et sur la motion de Carnot, on décréta le départ de deux bataillons de ce corps.

La séance du lendemain 18 fut ouverte par la lecture d'une lettre de Dumourier, qui commençait ainsi :

• Monsieur le président, comme j'ignore s'il existe un ministre de la guerre; comme de deux généraux d'armée, l'un est ou en route pour la Moselle, ou à Paris, l'autre est presque sur la même route; comme me trouvant commandant, par interim, je crois devoir vous rendre compte, ainsi qu'au pouvoir exécutif, des faits qu'on peut ou grossir ou diminuer ; comme on a l'air de regarder les frontières des Pays-Bas comme indifférentes, parce que du système offensif on est tombé dans un système défensif absolu, sous prétexte que toutes les forces de nos ennemis sont

(1) Ces régimens sont appelés les régimens blancs dans les lettres manuscrites du père Lenfant, confesseur du roi, que nous avons sous les yeux.

passées sur les frontières du Rhin, de la Meuse et de la Moselle ; comme enfin, il se trouve qu'avec deux armées redoublées, et se croisant à une vingtaine de lieues d'ici, il ne se trouve pas même sur les frontières de quoi exercer une défensive honorable, je crois devoir rendre à l'assemblée nationale le même compte que j'envoie à M. La Fayette, qu'on m'a annoncé comme général en chef depuis la mer jusqu'à la Meuse. Le 12, M. le maréchal Luckner m'a laissé commandant une division de son armée, composée de six bataillons de gardes nationales; de deux escadrons de cavalerie et d'un régiment de chasseurs à cheval, avec laquelle je dois partir le 20 pour me rendre à Metz. Il m'a laissé en même temps le commandement de toutes les troupes de l'armée du Nord, jusqu'à l'arrivée de M. Arthur Dillon, lieutenant-général, qui doit commander l'armée du Nord sous les ordres de M. La Fayette. Sous ce double rapport, je me trouve dans deux positions très-différentes. Comme lieutenant-général de l'armée du maréchal Luckner, je ne dois m'occuper que de mes six bataillons et de mon prochain départ. Comme commandant de l'armée du Nord, quoique pour un interim très-court, je dois veiller sur la tranquillité du pays. ›

Dumourier annonçait ensuite l'occupation instantanée d'Orchies, par une forte reconnaissance d'Autrichiens. Il avait, disait-il, devant lui un corps ennemi de douze à quinze mille hommes; et pouvait à peine lui opposer six à sept mille hommes de troupes. Il manquait d'instructions, de vivres et d'argent. Que devait-il faire?

La lecture terminée, Gossuin prit la parole pour y ajouter que, pendant la courte occupation d'Orchies, les Autrichiens avaient mis à mort quelques citoyens, et largement pillé.

On lut ensuite une dépêche des grands procurateurs de la nation, qui dénonçaient des manoeuvres pratiquées dans le département du Loiret pour former une garde particulière pour le roi. Ils adressaient plusieurs pièces, dont une lettre signée Pelico et Garran, qui commençait ainsi :

• Messieurs, j'ai l'honneur de vous adresser un engagement

pour aller faire le service auprès de la personne sacrée du roi ; je désire que vous l'accueilliez, et en ce cas, je suis sûr qu'un grand nombre de citoyens se joindront à moi pour remplir.....

Cette lecture fut interrompue avec bruit, et renvoyée au pouvoir exécutif.

Ces nouvelles rappelèrent à l'assemblée plus vivement que l'adresse des fédérés, l'urgence de l'accusation pendante contre M. La Fayette. Elle décida donc que le comité des douze ferait son rapport le lendemain.

Lecointre demanda que la commission instruisît l'assemblée des renseignemens que Luckner avait dû lui communiquer. Cette proposition fut encore adoptée.

Enfin, M. Tardiveau, au nom des douze, proposa l'envoi de huit commissaires, pour vérifier l'état des frontières. Mais cette mesure fut rejetée.

A la séance du soir, on apprit la défaite des rebelles de Jalès et de Bannes; et on décréta d'accusation les prisonniers. On remarqua que quelques expressions, qui peignaient la colère des gardes nationaux, et l'annonce que p'us de deux cents insurgés avaient péri à l'assaut de Bannes, excitèrent les murmures d'une partie de l'assemblée.

[ocr errors]

Le lendemain devait commencer la discussion sur l'affaire La Fayette mais mille incidens, dont quelques-uns semblaient préparés, manquèrent de faire ajourner même le rapport. Ce fut d'abord la présentation d'un projet de décret pour la vente des paJais épiscopaux. Il fut adopté. Ensuite, ce fut un projet sur l'administration de la marine; il fut encore adopté. Puis, ce furent dix-neuf articles proposés par le comité militaire pour achever la loi sur l'augmentation de l'armée. Cambon dénonça le directoire de Paris, comme s'opposant au recrutement, il fut appuyé par Chabot, Mazuyer et Carnot. Enfin, arriva une nouvelle lettre de Dumourier demandant des instructions. Il communiquait des lettres écrites à M. La Fayette et restées sans réponse. Sa position était pressante; il annonçait que les Autrichiens occupaient déjà les

[ocr errors]

villages français de la frontière, et que leurs forces's'accroissaient, et s'élevaient à environ trente mille hommes.

Alors, M. Muraire, rapporteur de l'affaire La Fayette, monta à la tribune. Voici son discours :

M. Muraire, au nom de la commission extraordinaire des douze. La lettre que M. La Fayette a écrite à l'assemblée nationale, le 16 juin dernier, la pétition qu'il a présentée lui-même, le 28, et sa seconde lettre du 29 du même mois, ont fait naître deux questions importantes: 1° les chefs de la force armée peuvent-ils adresser des pétitions sur des intérêts privés? 2o La conduite de M. La Fayette est-elle coupable ou seulement répréhensible? Déjà la commission a fait un rapport, et proposé un projet de décret sur la première des deux questions; je viens aujourd'hui, en son nom, faire connaître sa détermination sur la seconde, et les motifs sur lesquels elle s'est fondée. Il est sans doute dangereux de voir des généraux d'armée adresser des pétitions qu'ils peuvent rendre imposantes par l'aspect de leurs forces, et qui, par la suite et par un abus de leur autorité, peuvent devenir des ordres pour celles des autorités à (qui elles seraient adressées ; mais la Constitution et les lois faites sur le droit de pétition, n'avaient fixé aucune borne à l'exercice de ce droit. D'après la déclaration des droits de l'homme, nul citoyen ne peut être jugé et condamné qu'en vertu d'une loi antérieure au délit ; d'après cela, la commission examinant mûrement la conduite de M. La Fayette, n'y a rien vu de contraire à aucune loi positive. Fondée sur ces considérations, et sur celle surtout qu'il ne lui appartient pas de scruter les intentions qui ont pu déterminer la conduite du général, elle a pensé que l'assemblée devait s'occuper uniquement de discuter le projet de loi qui lui a été présenté par M. Lemontey, dans une des précédentes séances.

M. Rouyer. Je demande l'ajournement de la discussion à trois jours, afin d'avoir le temps de réfléchir sur ce rapport, et qu'avant la discussion, la commission nous rende compte de la conversation qu'elle a eue avec le maréchal Luckner.

Plusieurs membres appuient l'ajournement.

M. Dumolard. Il est étonnant que la veille des batailles on veuille reculer le jugement d'un général qui a besoin d'être investi de confiance.

La question préalable est demandée sur l'ajournement.

Après deux épreuves, M. le président prononce que l'ajournement est rejeté.

Il s'élève des réclamations.

M. Kersaint. On ne peut juger sans avoir préalablement examiné les pièces.

M. Dumolard. Les pièces ont été imprimées, et tout le monde les connaît.

On demande l'ajournement à demain.

M. le président consulte l'assemblée, et prononce que l'ajournement est rejeté. - Plusieurs membres demandent à grands cris l'appel nominal.

Après quelquelques débats assez vifs, l'ajournement à demain est décrété. ]

SÉANCE DU 19 AU SOIR.

[On introduit à la barre une députation de citoyens d'Orléans. L'orateur de la députation. Législateurs, les citoyens d'Orléans viennent déposer dans votre sein leurs justes alarmes. A chaque instant notre brave garde nationale peut être égorgée. A chaque instant les prisonniers peuvent briser leurs fers, et aller grossir l'armée des ennemis. Nous sommes indignés surtout de voir la faculté d'approcher d'eux devenue presque illimitée; des festins somptueux, des jeux continuels, des concerts sans fin, des femmes introduites à tout moment dans les prisons, un jeu de paume qui s'y prépare, voilà ce qui nous fait craindre une évasion. Le geolier seul a le droit de visiter tout ce qui entre dans les prisons. Qui nous rassurera sur la crainte d'une corruption que le crédit d'un ministre ne rend que trop inquiétante? Est-il juste que des conspirateurs présumés soient traités avec plus d'égards que de simples prévenus qui ont à peine troublé momentanément la société? Les citoyens d'Orléans sont déterminés à mourir au poste

« PreviousContinue »