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Il ne peut rester aucun doute sur cette négociation, dans laquelle Vergniaud, Guadet et Gensonné prirent la principale part. On en trouve les preuves irrécusables dans les mémoires de Bertrand de Molleville et dans la Correspondance politique et inédite de Louis XVI publiée par mademoiselle William (1). Les renseignemens sont si nombreux qu'il est impossible de les faire entrer dans ce récit, à moins de lui ôter tout caractère historique. Dans la correspondance inédite (T. 2.), on trouve une lettre du roi à son frère le comte d'Artois, en date du 27 juillet, dans laquelle il lui rend compte d'une conversation avec Vergniaud, et lui apprend que celui-ci lui promet l'appui des Girondins. Mais, il ne parle point des conditions qu'on lui imposait. Dans une autre lettre, Louis XVI donne avis d'une proposition qui lui a été faite d'abdiquer en faveur de son fils. - Les revélations de Bertrand de Molleville ne sont pas moins précises. D'après lui, une note signée Vergniaud, Guadet et Gensonné fut remise au roi d'abord par l'intermédiaire d'un M. Boze peintre du roi et de Thierry son valet de chambre, sur les moyens de sauver et d'assurer le trône. (Cette note fera partie des documens supplementaires sur le 10 août.) M. de Malesherbes fut ensuite chargé de suivre cette négociation, pour laquelle, d'après une lettre que nous citerons tout à l'heure, le roi était assez bien disposé, mais que l'incertitude de ce prince et la rapidité des événemens rendirent inutile.

D'un autre côté, il existait plusieurs autres conspirations royalistes, qui toutes avaient pour but de tirer Louis XVI de Paris. Les pièces saisies, après le 10 août, aux Tuileries chez l'intendant de la liste civile, et dans l'armoire de fer, suffiraient pour en prou

(4) L'authenticité de la correspondance inédite a été mise en doute. Mademoiselle William explique ainsi, dans ses Souvenirs de la révolution, la possession de ce précieux manuscrit : « En 1800, j’achelai cent louis la plupart de ces lettres qui furent trouvées dans l'armoire de fer au Château, et quelques-unes me furent données par M. Desmarets, alors secrétaire de la police générale..... La police a saisi (plus tard) chez moi toute cette correspondance et les originaux doivent se trouver à la préfecture. » Nous ajouterons qu'il existe, en ce moment, entre les mains de M. Charles Coquerel, une lettre autographe de Desmarets, qui parle de cette correspondance en termes qui ne permettent point de douter de son opinion sur la vérité de la collection dont il s'agit. ( Note des auteurs.) 18

T. XVI.

ver l'existence, ainsi que nos lecteurs le verront dans l'analyse de ces pièces, lorsque le moment sera venu de la donner. Mais d'autres révélations, dont, plus tard, nous ne trouverons plus l'occasion de parler, en racontent les détails assez circonstanciés. On trouvera dans une lettre de Lally-Tolendal au roi de Prusse que nous insérons dans les documens supplémentaires sur le 10 août, une copie de la minute d'une séance tenue le 4 août, dont faisaient partie MM. de Montmorin, Bertrand, Clermont-Tonnerre, Lally-Tolendal, Malouet, Gouvernet, de Gilliers et Malesherbes. On y traita du départ du roi, de sa retraite en Normandie, ou dans l'armée de La Fayette. Une partie de ce projet est racontée fort au long dans les Mémoires de Bertrand de Molleville, qui en était l'auteur. Dans le mois de juillet, il avait fait proposer au roi de se retirer au château de Gaillon en Normandie. Ce sejour n'était distant de Paris que de vingt lieues; et cette proximité même fut un motif déterminant pour le choix du prince; car, même en quittant la capitale, il désirait conserver une apparence de respect pour la Constitution en obéissant à l'article qui ne lui permettait pas de s'éloigner davantage du lieu où séjournait le corps législatif. En conséquence, le général Lefort fut envoyé pour reconnaître les lieux, et s'assurer de la disposition de la population. En même temps, on s'occupa de trouver de l'argent, car la caisse de la liste civile était épuisée. Le duc du Châtelet offrait un million; M. de Liancourt toute sa fortune. Sous ce rapport, les royalistes montrèrent le plus grand dévouement. Rien ne manquait. Le général Lefort revint satisfait de son inspection. Le château était prêt à recevoir ses illustres hôtes; on lui avait répondu des bonnes dispositions de la garde nationale de Rouen et de la population de l'ancienne Normandie. Tout donc fut, le 5 août, disposé pour la fuite. Nous passons sur le minutieux détail des moyens à l'aide desquels la famille royale devait fran-' chir les murs des Tuileries et les barrières de Paris. Arrivée à Saint-Denis elle devait trouver les bataillons, suisses qui étaient casernés à Courbevoye; six cents gardes devaient ensuite venir de Versailles la rejoindre sur la route. L'escorte enfin devait être

dès

accrue de divers détachemens suisses disséminés sur la route sous prétexte de surveiller l'arrivage des grains. Ainsi le succès semblait assuré toutes les précautions que la prudence humaine peut désirer, étaient réunies. L'évasion devait avoir lieu dans la nuit du 7 au 8. Mais le roi hésita au dernier moment: le soir il dit d'attendre; et bientôt il fut trop tard. Nous avons trouvé dans la correspondance inédite, la lettre suivante qui semble expliquer ce retard, par la confiance de Louis XVI dans les projets des Girondins.

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« Vous voulez me consoler, ranimer mon courage, et me faire envisager un doux espoir!... Non, il m'est impossible de croire à un avenir heureux! j'avais tout fait pour l'espérer; mes ennemis avaient pour eux l'audace et le crime : ils ont jusqu'à ce jour réussi. Ils n'ont plus qu'une tentative à faire, ils réussiront... Ma position est d'autant plus cruelle, que je suis trahi par tous ceux qui se disent mes amis, qui devraient m'être attachés, et que j'ai appelés aux fonctions publiques; je les vois tous les jours me parler de leur attachement, me jurer qu'ils sont prêts de se sacrifier pour moi; le moment arrive et je les trouve de glace pour mon service, ou ils se rangent du côté de mes ennemis.

› Vous me parlez de quelques rassemblemens de royalistes, de quelques amis qui m'offrent leur fortune et leurs bras; ce n'est plus à moi d'exiger des sacrifices. Un roi malheureux craint d'occasioner la perte de ses amis. Remerciez pour moi ces fidèles sujets; mais voyez mes ennemis; ceux qui peuvent être gagnés par l'intérêt ou par des promesses. Agissez s'il en est temps encore; je m'abandonne à vous. Signé Louis. » (Correspondance politique et inédite de Louis XVI. T. II, p. 125.)

Peut-être aussi, l'hésitation du roi vint-elle moins de l'espoir que lui donnait une négociation entamée avec les Girondins, que du nombre des projets qui lui étaient présentés: il n'y eut pas jusqu'à madame de Staël qui ne fît le sien.

Pour terminer ce que nous avons à dire des arrangemens de

la cour, nous ajouterons qu'elle avait un système d'espionnage organisé; que l'on payait des écrivains et des faiseurs de placards; que l'on soldait des motionnaires qui se répandaient dans les lieux publics, dans les sections, et jusqu'aux Jacobins; que plusieurs prétendus patriotes étaient aux appointemens de la liste civile. Nous trouverons les preuves de toutes ces choses dans l'analyse des pièces saisies aux Tuileries. Bertand de Molieville, rend compte d'un établissement assez singulier formé par son conseil. On avait fondé, sous le nom de Club National, un cercle destiné à servir de centre de ralliement aux gardes nationaux attachés à la cour, et aux royalistes disposés à porter secours au château dans un cas d'alerte. On attacha à cette réunion un corps de six à sept cents auxiliaires choisis parmi les ouvriers d'un sieur Périer : les chefs de ceux-ci étaient payés 5 liv. jour : quant aux simples auxiliaires, ils recevaient 2 liv. les jours où ils étaient employés, et 10 sous tous les autres; leur uniforme était une pique et un bonnet rouge. Ainsi la cour se préparait à tout événement. Mais combien étaient faibles ses moyens, en face de ceux de ses terribles adversaires!

par

Maintenant, rentrons dans la narration des événemens dont la publicité est la garantie. Nous la commencerons par la citation des actes qui furent comme le but de tous les mouvemens qui occupèrent les mois d'août et de septembre. Nous voulons parler des manifestes des puissances étrangères. Celui du duc de Brunswick daté du 25, fut connu le 28 à Paris, fait que le journal de Prudhomme remarque avec étonnement. Le président de l'assemblée nationale en eut connaissance le 1er; mais il attendit pour en donner communication, qu'il lui fût parvenu par une voie officielle il fut obligé d'attendre jusqu'au 3. Nous rendrons compte de cette séance importante à d'autres titres.

DÉCLARATION de S. A. S. le duc régnant de Brunswick-Lunebourg, commandant les armées combinées de LL. MM. l'empereur et le roi de Prusse, adressée aux habitans de la France.

• Leurs majestées l'empereur et le roi de Prusse m'ayant

confié le commandement des armées combinées qu'ils ont fait rassembler sur les frontières de France, j'ai voulu annoncer aux habitans de ce royaume les motifs qui ont déterminé les mesures des deux souverains, et les intentions qui les guident.

» Après avoir supprimé arbitrairement les droits et possessions des princes allemands en Alsace et en Lorraine, troublé et renversé dans l'intérieur le bon ordre et le gouvernement légitime, exercé contre la personne sacrée du roi et contre son auguste famille des attentats et des violences qui se sont encore perpétués et renouvelés de jour en jour, ceux qui ont usurpé les rênes de l'administration ont enfin comblé la mesure en faisant déclarer une guerre injuste à sa majesté l'empereur, et en attaquant ses provinces situées en Pays-Bas : quelques-unes des possessions de l'empire germanique ont été enveloppées dans cette oppression; et plusieurs autres n'ont échappé au même danger qu'en cédant aux menaces impérieuses du parti dominant et de ses émissaires.

Sa majesté le roi de Prusse, unie avec sa majesté impériale par les liens d'une alliance étroite et défensive, et membre prépondérant elle-même du corps germanique, n'a donc pu se dispenser de marcher au secours de son allié et de ses co-états; et c'est sous ce double rapport qu'elle prend la défense de ce monarque et de l'Allemagne.

› A ces grands intérêts se joint encore un but également important, et qui tient à cœur aux deux souverains, c'est de faire cesser l'anarchie dans l'intérieur de la France, d'arrêter les attaques portées au trône et à l'autel, de rétablir le pouvoir légal, de rendre au roi la sûreté et la liberté dont il est privé, et de le mettre en état d'exercer l'autorité légitime qui lui est due.

› Convaincus que la partie saine de la nation française abhorre les excès d'une faction qui la subjugue, et que le plus grand nombre des habitans attend avec impatience le moment du secours pour se déclarer ouvertement contre les entreprises odieuses de leurs opresseurs, sa majesté l'empereur et sa majesté

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